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ans, il avait toujours été languissant; sa constitution. loin de se fortifier en approchant de la trentaine, comme on lui avait fait espérer, ne faisait chaque jour que s'affaiblir. Il se montrait encore aimable et gai avec ses amis; mais qui eût lu dans son âme n'y eût vu que douleur. Il laisse même quelquefois percer ces sentiments, par exemple lorsqu'il écrit, en juillet 1722, à vingt-huit ans, à madame de Bernières : << J'irai tristement à Paris, car en vérité je suis honteux « de ne me présenter devant mes amis qu'avec un <<< estomac malade et un esprit chagrin. Je ne veux <«< vous donner que mes beaux jours et ne souffrir qu'incognito. >>

Cette mélancolie, il l'avait exprimée déjà, quatre ans auparavant, dans une épître à son ami Genonville. Il lui confie ses chagrins! et va jusqu'à lui manifester, parmi ses appréhensions, celle de voir sa raison se troubler :

De mes ans passagers la trame est raccourcie ;
Mes organes lassés sont morts pour les plaisirs ;
Mon cœur est étonné de se voir sans désirs.
Dans cet état il ne me reste

Qu'un assemblage vain de sentiments confus,
Un présent douloureux, un avenir funeste,

Et l'affreux souvenir d'un bonheur qui n'est plus.
Pour comble de malheur je sens de ma pensée

Se déranger les ressorts;

Mon esprit m'abandonne, et mon âme éclipsée
Perd en moi de mon être, et meurt avant mon corps.
Est-ce là ce rayon de l'essence suprême

Qu'on nous peint si lumineux ?

Est-ce là cet esprit survivant à lui-même ?

Il naît avec nos sens, croît, s'affermit comme eux;
Hélas! périra-t-il de même ?...

VI

En proie à ces doutes, que produisit-il depuis la tragédie d'Artémire, en 1720, jusqu'à Mariamne en 1724? Rien que l'Epitre à Uranie, empreinte d'une si profonde mélancolie.

Dans cette situation d'esprit, au commencement de novembre 1723, à vingt-neuf ans, il tomba dangereusement malade chez M. de Maisons. Une fièvre maligne le prit avec des transports qui effrayèrent. On le saigna, et, malgré la saignée, après quarante-huit heures de fièvre, on vit apparaître une légère éruption : c'était la petite vérole. S'en étant aperçu, il voulut lui-même qu'on le saignât une deuxième fois, malgré les préjugés vulgaires. «M. de Maisons, dit-il, eut la « bonté de m'envoyer le lendemain M. de Gervasi, « médecin de M. le cardinal de Rohan, qui ne vint

qu'avec répugnance. Il craignait de s'engager inuti<«<lement à traiter dans un corps délicat et faible une «< petite vérole déjà parvenue au second jour de l'éruption, et dont les suites n'avaient été prévenues << que par deux saignées trop légères et sans aucun << purgatif.

<< Il vint cependant et me trouva avec une fièvre « maligne. Il eut d'abord une fort mauvaise opinion « de ma maladie : les domestiques qui étaient auprès

<«< de moi s'en aperçurent et ne me le laissèrent point <«< ignorer. On m'annonça dans le même temps que le <«< curé de Maisons, qui s'intéressait à ma santé, et qui « ne craignait point la petite vérole, demandait s'il « pouvait me voir sans m'incommoder je le fis en« trer aussitôt, je me confessai et je fis mon testament, « qui, comme vous croyez bien, ne fut pas long. Après << cela, j'attendis la mort avec assez de tranquillité, << non toutefois sans regretter de n'avoir pas mis la << dernière main à mon poëme et à Mariamne, ni sans « être un peu fâché de quitter mes amis de si bonne « heure. Cependant M. de Gervasi ne m'abandonnait « pas d'un moment; il étudiait en moi avec attention << tous les mouvements de la nature; il ne me donnait « rien à prendre sans m'en dire la raison; il me lais<< sait entrevoir le danger, et il me montrait clairement «<le remède; ses raisonnements portaient la conviction << et la confiance dans mon esprit : méthode bien né«< cessaire à un médecin auprès de son malade, puis« que l'espérance de guérir est déjà la moitié de la «< guérison ».

Thieriot, un ami dont il avait fait la connaissance. chez le procureur de la rue Perdue, ayant appris sa maladie, accourut en poste de quarante lieues pour le soigner, et jusqu'à la fin de sa maladie il ne le quitta pas un instant, ni la nuit, ni le jour. Voltaire n'oublia jamais ce service; il lui fit pardonner dans la suite bien des légèretés au pauvre Thieriot.

Grâce au traitement de M. de Gervasi, grâce aux soins de Thiriot, grâce à je ne sais quelle vague espê

rance qui lui revint dans sa maladie même, il guérit. « J'étais le 15 absolument hors de danger, dit-il, et je faisais des vers le 16, malgré la faiblesse extrême.»

Bien des fois dans la suite, en racontant lui-même cette maladie, il se plut à insister sur ce petit détail qu'une célèbre devineresse lui avait prédit qu'il mourrait cette année-là.

VII

Dans sa convalescence, nous venons de le voir, il faisait des vers, il faisait de la prose, il préparait des ouvrages nouveaux, corrigeait les anciens (toujours enfantant, toujours léchant, dit-il). D'abord il acheva Mariamne. La première représentation de la tragédie nouvelle eut lieu le 5 janvier 1724, la veille des Rois. Au moment où la reine portait à ses lèvres la coupe empoisonnée, quelqu'un au parterre s'avisa de crier: « La Reine boit.» Ce fut dans la salle un éclat de rire dont la pièce ne put se relever. Mais ne croyons pas qu'elle tomba seulement à cause de ce bon mot. Il y avait une autre raison : Voltaire, après le succès d'Edipe, succès tout populaire, presque séditieux, avait voulu obtenir un triomphe plus calme. Il est probable que milord Bolingbroke, qui faisait gloire de professer pour le peuple et les petits bourgeois le plus extrême mépris, avait un peu contribué à faire naître chez Voltaire le désir de

n'appuyer sa réputation que sur les classes éclairées Il avait donc, dans ce but, écrit Artémire, mais Artémire avait été sifflée; maintenant il recommençait, dans les mêmes vues, pour ainsi dire la même pièce, on le sifflait encore. Pourquoi cela? La pièce n'était pas sans mérite, le style même en valait mieux que celui d'OEdipe; les mêmes spectateurs tous les jours applaudissaient des pièces beaucoup moins bonnes, et Mariamne, si elle n'eût pas été de Voltaire, eût eu du succès. Mais ceux qui la sifflèrent firent une action de bon sens, ils rendirent par là le plus grand hommage à l'auteur en le forçant de rentrer dans ses vraies voies. Ce n'était point là les pièces qu'après OEdipe et la Henriade on devait attendre de lui; il fallait qu'il fût celui qui, sur la scène, devant le public, en présence du peuple et des rois, oserait tout dire, celui qui, avant les assemblées politiques, saurait le premier créer une tribune et parler à la France. Il ne lui était point permis de rester, pour grandes qu'elles soient, dans les voies de Corneille et de Racine; ou du moins si on le lui permettait pour la forme littéraire, on le lui interdisait pour le fonds. Les Crébillon, les La Motte, les Lagrange-Chancel, pouvaient à leur gré rester dans ces voies, on les y applaudissait même; mais, de lui, on attendait autre chose. A lui d'être le novateur! Tant qu'il continuerait de se faire l'écolier, même avec génie, des tragiques du siècle précédent, il serait sifflé. Qu'on lise Mariamne, on y trouvera quelques belles scènes, mais pas un de ces vers qui sentent leur Voltaire, de

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