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chaumois sont prêts à servir Votre Majesté, en faisant de leurs mains, à travers les montagnes, le chemin que Votre Majesté projète de Versoix et de la route de Lyon en Franche-Comté; ils ne demandent qu'à vous servir. Le chapitre de Saint-Claude, ci-devant couvent des Bénédictins, persiste à vouloir qu'ils soient ses esclaves.

<< Ce chapitre n'a point de titres pour les réduire en servitude, et les suppliants en ont pour être libres. Le chapitre a pour lui une prescription d'environ cent années. Les suppliants ont en leur faveur le droit naturel; et des pièces authentiques déjà produites devant Votre Majesté.

<< Il s'agit de savoir si ces actes authentiques doivent relever les suppliants de la faiblesse et de l'ignorance qui ne leur ont pas permis de les faire valoir, et si la jouissance d'une usurpation pendant cent années communique un droit au chapitre contre les suppliants. La loi étant incertaine et équivoque sur ce point, les habitants susdits ne peuvent recourir qu'à Votre Majesté, comme au seul législateur de son royaume; c'est à lui seul de fixer, par un arrêt solennel, l'état de douze mille personnes qui n'en ont point. << Votre Majesté est seulement suppliée de considérer à quel état pitoyable une portion considérable de ses sujets est réduite :

«< 1° Lorsqu'un serf du chapitre passe pour être malade, l'agent ou le fermier du chapitre commence par mettre à la porte la veuve et les enfants et par s'emparer de tous les meubles. Cette inhumanité seule dépeuple la contrée.

« 2o L'intérêt du chapitre à la mort de ces malheureux est tellement visible, que voici ce qui arriva le mois d'avril dernier et qui mérite d'être mis sous les yeux de Votre Majesté :

<«<Le chapitre, en qualité d'héritier, est tenu de payer le chirurgien et l'apothicaire. Un chirurgien de Morez, nommé Nicod, demanda au mois d'avril, son payement à l'agent du chapitre. L'agent répondit ces propres mots : «< Loin de vous payer, le chapitre devrait <«< vous punir; vous avez guéri l'année dernière deux << serfs dont la mort aurait valu 2,000 écus à mes <<< maîtres. »

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<< Nous avons des témoins de cet horrible propos, nous demandons à en faire la preuve.

« Nous ne voulons point fatiguer Votre Majesté par le récit avéré de cent désastres qui font frémir la nature; d'enfants à la mamelle abandonnés et trouvés morts sous le scellé de leur père, de filles chassées de la maison paternelle, où elles avaient été mariées, et mortes dans les environs au milieu des neiges; d'enfants estropiés de coups par les agents du chapitre, de peur qu'ils n'aillent demander justice. Ces récits trop vrais déchireraient votre cœur paternel.

« Nous sommes enfermés entre deux chaînes de montagnes, sans aucune communication avec le reste de la terre. Le chapitre ne nous permet pas même des armes pour nous défendre contre les loups, dont nous sommes environnés. Nous avons vu, l'hiver dernier, nos enfants dévorés sans pouvoir les secourir; nous restons en proie au chapitre de Saint-Claude et aux

bêtes féroces. Nous n'avons que Votre Majesté pour nous protéger. »>

Quelques jours plus tard, un autre cri se faisait entendre de Ferney adressé A tous les Magistrats du royaume. Il parle cette fois au nom de paysans persécutés et malheureux presque autant que les serfs du Jura:

<< La portion la plus utile du genre humain, celle qui vous nourrit, crie du sein de la misère à ses protecteurs :

<< Vous connaissez les vexations qui nous arrachent si souvent le pain que nous préparons pour nos oppresseurs même. La rapacité des préposés à nos malheurs n'est pas ignorée de vous. Vous avez tenté plus d'une fois de soulager le poids qui nous accable, et vous n'entendez de nous que des bénédictions, quoique étouffées par nos sanglots et par nos larmes.

<< Nous payons les impôts sans murmure, taille, taillon, capitations, double vingtième, ustensiles, droits de toute espèce, impôts sur tout ce qui sert à nos chétifs habillements, et enfin la dîme à nos curés de tout ce que la terre accorde à nos travaux, sans qu'ils entrent en rien dans nos frais. Ainsi au bout de l'année tout le fruit de nos peines est anéanti pour nous. Si nous avons un moment de relâche, on nous traîne aux corvées à deux ou trois lieues de nos habitations, nous, nos femmes, nos enfants, nos bêtes de labourage également épuisées, et quelquefois mourant pêle-mêle de lassitude sur la route...

<< Tous ces détails de calamités accumulées sur

nous ne sont pas aujourd'hui l'objet de nos plaintes. Tant qu'il nous restera des forces nous travaillerons; il faut ou mourir, ou prendre ce parti.

« C'est aujourd'hui la permission de travailler pour vivre que nous vous demandons. Il s'agit de la quadragésime et des fêtes. »>

Au dix-septième siècle, cette loi du chômage était respectée du peuple et assez généralement suivie. Mais au dix-huitième siècle, il y eut quelques résistances çà et là, ou tout au moins quelques hésitations. Les curés se récrièrent contre les progrès de l'irréligion. De pauvres gens furent traînés en prison, enlevés à leurs familles et ruinés à jamais, pour avoir donné quelques soins à leurs maigres récoltes au jour de la Purification, de la Visitation, ou de saint Mathias et de saint Barnabé.

Il s'agissait aussi du carême dans la Requête à tous les magistrats. Il n'y avait pas encore bien des années que des malheureux avaient été condamnés à mort, pour avoir mangé un morceau de vieux lard, plutôt que de se laisser mourir de faim. Mais laissons la parole à celui qui prit la noble tâche de parler au nom de tant d'infortunés :

«Tous nos jours sont des jours de peine. L'agriculture demande nos sueurs pendant la quadragésime comme dans les autres saisons. Notre carême est de toute l'année. Est-il quelqu'un qui ignore que nous ne mangeons presque jamais de viande ? Hélas! il est prouvé que si chaque personne en mangeait, il n'y en aurait pas quatre livres par mois pour chacune. Peu

d'entre nous ont la consolation d'un bouillon gras dans leurs maladies. On nous déclare que, pendant le carême, ce serait un grand crime de manger un morceau de lard rance avec notre pain bis. Nous savons même qu'autrefois, dans quelques provinces, les juges condamnaient au dernier supplice ceux qui, pressés d'une faim dévorante, auraient mangé en carême un morceau de cheval ou d'autre animal jeté à la voirie... »

Puis il ajoute en note:

<«< Copie de l'arrêt sans appel, prononcé par le grandjuge des moines de Saint-Claude, le 28 juillet 1629:

« Nous, après avoir vu toutes les pièces du procès, et • de l'avis des docteurs en droit, déclarons ledit Guil«<lou, écuyer, dûment atteint et convaincu d'avoir, le << 31 du mois de mars passé, jour de samedi, en carême, <«< emporté des morceaux d'un cheval jeté à la voirie, « dans le pré de cette ville, et d'en avoir mangé le «1er d'avril. Pour réparation de quoi, nous le con<«< damnons à être conduit sur un échafaud, qui sera <«< dressé sur la place du marché, pour y avoir la tête << tranchée, etc.

<< Suit le procès-verbal de l'exécution. >>

Voltaire a dit lui-même : « Après avoir vécu chez des rois, je me suis fait roi chez moi ; je jouis... »

Mais jouir, pour lui, c'était faire du bien aux hommes, c'était agir; aussi, son activité s'était-elle augmentée avec le temps: chaque année semblait lui apporter des facultés nouvelles.

<< Il semblait, dit son secrétaire Wagnière, que le

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