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plus de décénce, plus de gravité qu'ailleurs; et l'on sentait, dit-il, qu'en tout cette Église, quand elle était libre et bien gouvernée, était faite pour donner des leçons aux autres.

Mais de tels aveux ne le rendent que plus fort ensuite et plus éloquent pour démontrer comment le saint-siége devint quelquefois le siége de tous les crimes.

- Rien ne l'arrête lorsqu'il s'agit d'être juste. La plupart des beaux esprits au dix-huitième siècle se moquaient de saint Louis, par la raison qu'il avait été saint. Voltaire n'hésite pas à dire qu'il fut «< en tout le << modèle des hommes. Sa piété, dit-il, qui était celle « d'un anachorète, ne lui ôta aucune vertu de roi. Une «sage économie ne déroba rien à sa libéralité. Il sut «< accorder une politique profonde avec une justice « exacte (leçon à tous les souverains); et peut-être << est-il le seul souverain qui mérite cette louange : << Prudent et ferme dans le conseil, compatissant «< comme s'il n'avait jamais été que malheureux. Il << n'est pas donné à l'homme de porter plus loin la <<< vertu. >>

-La joie de Voltaire, c'est de trouver du bien sur la terre. Ce qu'il aime, ce qu'il exalte, c'est la vertu; dès qu'il l'aperçoit quelque part, il la montre avec orgueil; partout il est à sa recherche, comme d'autres à la recherche du mal. Les plus grands scélérats même (chose admirable!), il est content s'il peut leur enlever un seul de leurs crimes, s'il peut prouver qu'on leur en attribue plus encore qu'ils n'en ont commis. Il a ainsi disculpé de deux ou trois crimes,

Néron, Tibère, et jusqu'au misérable pape Alexandre VI. L'histoire n'était à ses yeux qu'une longue calomnie de l'espèce humaine.

C'était une opinion générale au dix-huitième siècle, que la chevalerie avait été une institution extravagante; mais Voltaire sait remettre les choses à leur vraie place, et rend justice à cette institution :

<< Ces temps de

<< grossièreté, de séditions, de rapines et de meurtres, « furent cependant le temps le plus brillant de la che<< valerie. Elle servait de contre-poids à la férocité << générale des mœurs... >>

Quant à la Pucelle d'Orléans, devenue un objet de raillerie depuis le ridicule poëme de Chapelain, rendu plus ridicule encore par les satires de Boileau, le dix-huitième siècle pouvait-il la comprendre? Les beaux esprits d'alors ne savaient que rire de la pauvre villageoise. Voltaire, malgré son propre poëme (écrit pour amuser l'aristocratie de son temps), n'en fut pas moins le premier à apercevoir en elle la vraie sainte de la France. « Elle fit à ses juges une réponse digne d'une mémoire éternelle, » dit-il ; et un peu plus loin, il ajoute: Elle aurait eu des autels dans les temps héroïques...

Personne n'expose mieux que lui l'enchaînement des événements de ce monde, et c'est à quoi il revient sans cesse : « Dans la foule des révolutions que nous << avons vues, dit-il, d'un bout de l'univers à l'autre, << il paraît un enchaînement fatal des causes qui en<< traînent les hommes... »

A la longue il trouve, parmi ce spectacle de ruines, quelques consolations :

<< Au milieu de ces saccagements et de ces destruc«<tions que nous observons dans l'espace de neuf <«< cents années, nous voyons un amour de l'ordre qui <«< anime en secret le genre humain, et qui a prévenu << sa ruine totale. C'est un des ressorts de la nature qui << reprend toujours sa force; c'est lui qui a formé le «< code des nations... >>

Et ailleurs, avec plus de force, il dit encore : « Com<<ment peut-on imaginer qu'il y ait un ordre, et que << tout ne soit pas la suite de cet ordre?... >>

Au moment où toutes les religions étaient attaquées, comme autant d'impostures, par les libres penseurs anglais, par quelques Allemands et même par deux ou trois encyclopédistes, lorsque toutes les sectes s'accusaient réciproquement de toutes les horreurs, Voltaire, qui se reprochait maintenant, chose bien remarquable! d'avoir fait Mahomet (dans sa tragédie) plus méchant qu'il n'avait été, Voltaire, dis-je, eut le courage de soutenir que « la religion enseigne la « même morale à tous les peuples, sans aucune << exception; les cérémonies asiatiques sont bizarres, << les croyances absurdes, disait-il, mais les préceptes << justes...

<< En vain quelques voyageurs et quelques mission<«< naires nous ont représenté les prêtres d'Orient « comme des prédicateurs de l'iniquité; c'est calom«< nier la nature humaine : il n'est pas possible qu'il y << ait jamais une société religieuse instituée pour invi<< ter au crime...

<< On s'est servi dans toute la terre de la religion

<< pour faire le mal, continue-t-il, mais elle est partout <«< instituée pour porter au bien..... »

Quant à ceux qui abusent de la crédulité des peuples et de leur faiblesse, l'Europe frémit encore, après un siècle, des foudres vengeresses que Voltaire fit éclater contre eux.

Tel était le livre que l'auteur de Zaïre, presque exilé, voulait publier en rentrant en France!

XXXVI

Entouré d'ennemis puissants et implacables, brouillé avec deux rois, que ne risquait-il pas en publiant cette histoire des neuf derniers siècles, où la vérité était dite sur tout, lorsque déjà le Siècle de Louis XIV ne lui avait attiré que malveillance? Où trouver un asile ? Il chercha quelque temps dans les Vosges; il ne voulait pourtant qu'un abri pour y mourir en paix. Voilà au moins ce qu'il disait en tous lieux; et il se félicitait presque d'être malade, quoique cette mauvaise santé, lui causât aussi du chagrin et de l'inquiétude; mais qu'il en sut tirer un admirable parti! Je meurs, je suis à l'agonie, disait-il sans cesse; cependant il n'en commençait pas moins des entreprises de jeune homme; il songeait à fonder une colonie agricole; mais où se fixer? Car s'il voulait cultiver la terre, il tenait aussi à publier son Essai. Les Français étaient plus que jamais

affolés du théâtre; pour se rendre chez eux l'opinion favorable, il leur donna une tragédie nouvelle : l'Orphelin de la Chine. Il n'avait rien fait pour le théâtre depuis la mort de madame du Chatelet, et cette pièce est faible; le cinquième acte cependant parut si pathétique, fit verser tant de larmes, que voici de nouveau tous les cœurs à M. de Voltaire. Mais les esprits changent vite en France, et il n'était pas sans inquiétude sur l'orage qu'allait soulever certainement l'Histoire générale. Les chapitres sur Léon X et Luther, les querelles du sacerdoce et de l'empire, etc., etc., le plongeaient dans mille appréhensions.

Le pis, c'est qu'on avait imprimé furtivement deux volumes de cette Histoire générale, remplis, pour le perdre, des plus indignes interpolations.

Ce qui aggravait la situation, c'est qu'on le menaçait partout de publier la Pucelle. Il écrivit à d'Argental, dans son effroi : « Il n'y a que trop de copies de << cette dangereuse plaisanterie. Je sais à n'en pas << douter qu'il y en a à Paris et à Vienne, sans compter Berlin. C'est une bombe qui crèvera tôt ou tard pour « m'écraser. »

Pour comble d'horreur, Fréron parla de ce poëme dans son journal : « Mon ange, ajoutait Voltaire, il faut fuir je ne sais où. >>

Il songeait à se cacher en Suisse, lorsqu'une circonstance imprévue vint lui rendre quelque sécurité : étant allé à Lyon, où le duc de Richelieu lui avait donné rendez-vous, il reçut du public, dans cette ville, et principalement au théâtre, un si brillant

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