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livres, interprétés comme ils l'étaient, pris servilement à la lettre, défendus jusque dans leurs contre-sens, donnés, malgré les chants barbares du peuple juif, comme base de toute loi morale, loin de le satisfaire, révoltaient sa conscience.

Il partit donc. Et le voici à la Haye; il y prépare l'impression de la Henriade, et cependant il ne pouvait savoir encore quand elle serait publiée : la cour refusait le privilége. Il en circulait des exemplaires manuscrits, mais ils ne suffisaient point à l'avidité du public, qui commençait à perdre patience. Voltaire se décidait presque à la faire imprimer en pays étranger (plusieurs riches Anglais, à la tête desquels était milord Bolingbroke, se mettaient eux et leur bourse à sa disposition pour cela). Ce qui le faisait hésiter à accepter leur offre, c'est qu'il désirait, pour l'honneur de la France, que son unique poëme épique ne fût pas imprimé hors de ses frontières, il désirait le dédier au roi. Il avait cent raisons pour cela. Des gazetiers, opprobre et rebut de la littérature, d'affreux fanatiques fortifiés de tous les charlatans et de tous les sots de ce monde, se déchaînaient contre lui; il se sentait sans appui : son ambition eût été d'amener la royauté à protéger la liberté de conscience. Et quel poëme plus capable que le sien de rendre un nouvel éclat à la royauté ? Quel livre la défendrait mieux contre les résistances des autres pouvoirs et contre les atteintes du fanatisme? Il espérait donc que le privilége pour son poëme, que la permission de le dédier au roi ne pourraient lui être longtemps refusés, et il se hâtait

tout en parcourant la Hollande, d'y mettre la dernière main. Mais des libraires avides en ayant publié sans son aveu deux éditions très-fautives, à Rouen et à Londres, le voilà forcé de le faire imprimer lui-même.

Ces embarras, le changement de pays, les relations nouvelles, l'achèvement de son poëme, l'espérance d'un nouveau succès lui rendirent quelque joie.

On le voit, dans ce voyage, attentif à tout observer, nature, mœurs, commerce, institutions: «Il n'y a rien <«< de plus agréable que la Haye, écrit-il, quand le so«<leil daigne s'y montrer. On ne voit ici que des prai<«<ries, des canaux et des arbres verts; c'est un paradis « terrestre depuis la Haye jusqu'à Amsterdam. J'ai vu << avec respect cette ville qui est le magasin de l'uni<«< vers. Il y avait plus de mille vaisseaux dans le port. << De cinq cent mille hommes qui habitent Amster<< dam, il n'y en a pas un d'oisif, pas un pauvre, pas « un petit-maître, pas un insolent. Nous rencontrâmes <«<le Pensionnaire à pied, sans laquais, au milieu de la

populace. On ne voit là personne qui ait de cour à <«< faire. On ne se met point en haie pour voir passer un << prince. On ne connaît que le travail et la modestie. »>

Il est ravi de trouver là réunis ensemble des ambassadeurs de tous les pays de la terre. Le commerce, la navigation, les relations de la Hollande à cette époque, attiraient chez elle de toutes les parties du globe des marchands et des voyageurs. Il est vrai qu'il y avait à la Haye un opéra détestable; mais en revanche, il pouvait prendre part aux discussions religieuses si fréquentes dans ce pays divisé en sectes nombreuses.

Il aimait à les suivre dans leurs protestations contre l'Eglise romaine. Leurs discours si variés étaient pour lui une inépuisable mine. Mais que concluait-il, lorsqu'il les voyait ne pouvoir point s'entendre entre eux? Calvinistes, arméniens, sociniens, rabbins, anabaptistes, jouaient à ses yeux une comédie bien autrement intéressante que toutes les nouveautés de l'opéra. Aussi s'accoutumait-il très-bien à se passer de Paris.

En passant à Bruxelles, Voltaire vit J.-B. Rousseau. Dans son enfance il avait été accoutumé à admirer les poésies de Rousseau; quelques biographes prétendent même qu'à l'âge de trois ans on lui avait appris la Moïsade, et qu'à cet âge il la récitait tout entière avec de petits airs étonamment malins. J.-B. Rousseau (maintenant en exil) avait passé longtemps pour un grand poëte, personne n'avait été plus vanté; mais il était tombé dans le mépris public pour des scandales littéraires (dont on l'a dit-on justifié depuis). Coupable ou non de ces scandales, il restait assez de cynisme dans ses œuvres... mais il était devenu dévot; Voltaire qui le croyait au moins un homme de goût lui lut son Epitre à Uranie (dédiée à madame de Rupelmonde, sa compagne de voyage). Il exprimait dans cette épître ses doutes, ses amertumes. Cette épître trop sincère blessa le pieux Rousseau. Il voulut corriger, non pas seulement les vers, mais les pensées de Voltaire, disons mieux : il voulut l'empêcher de penser. L'auteur d'OEdipe s'indigna que l'on voulût toucher à sa conscience; il sentit alors (une chose dont il s'était toujours douté) qu'il n'avait là devant les yeux qu'une

cymbale sans âme; il ne le revit plus et se soucia fort peu de monsieur le traducteur des Psaumes. Seulement cette poésie vide ne fit que l'encourager davantage à mettre quelque chose dans la sienne et à exprimer avant tout les sentiments d'un homme. Aussi essayerat-il désormais de ramener à plus de bon sens une nation trop frivole en littérature comme dans tout le reste.

V

Après plusieurs mois de séjour en Hollande, après l'achèvement du poëme de la Ligue (car la première édition de la Henriade parut sous ce titre), il revint à Paris attendre l'arrivée de son petit Henri. Il arriva enfin le royal poëme; il fut mis au jour, le public put le lire. Les éloges qui éclataient partout, quoiqu'il en fût très-fier, aveuglèrent si peu Voltaire que déjà il refaisait son œuvre d'un bout à l'autre, sauf le deuxième chant, et qu'il en préparait une édition nouvelle où tout serait changé jusqu'au titre.

Non-seulement il corrigeait la Henriade, mais il refaisait sa tragédie sifflée d'Artémire; pour la refaire, il avait trouvé un autre sujet à peu près semblable, celui de Marianne, déjà traité au siècle précédent par un auteur oublié.

Au milieu de ces occupations, il avait repris sa vie

vagabonde; il allait de château en château dans les plus illustres familles du royaume, qui toutes l'admiraient, qui se faisaient un sujet de gloire de recevoir le jeune poëte.

Malgré ce bon accueil, il était retombé dans la tristesse, sa santé l'inquiétait; quelquefois il était 'atteint de pressentiments funestes. Il ne voyait pas assez clairement quelle serait sa carrière; sa fortune était incertaine; il n'avait point de places et n'en désirait pas, car pour en obtenir il aurait fallu consentir à se taire. Le pouvait-il? D'un autre côté, comment dire tout ce qu'il sentait se soulever au fond de sa conscience? Dans quelle citadelle échapperait-il aux attaques des sots, des fous et des hypocrites, s'il osait jeter la lumière sur les choses de ce monde ? Se sentait-il la force, la dignité morale qui conviennent pour se faire l'apôtre de la vérité et de la justice? Il est vrai que dès cette époque il trouvait en lui des trésors imprévus qui lui faisaient admirer les infinies ressources de la nature humaine.

Je me vis un courage

Que je n'attendais pas de la légèreté
Et des erreurs de mon jeune âge.

Mais qui l'aiderait dans une telle entreprise? Il n'y avait alors ni Diderot, ni d'Alembert, ni Buffon; jamais la France n'avait été plus pauvre de grands hommes, et jamais elle n'avait été plus folle. Voltaire. était donc seul! Plus il y songeait, plus il se voyait une destinée impossible. Il crut sincèrement pendant quelque temps qu'il ne vivrait pas. Il avait vingt-neuf

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