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<< du mois d'octobre, et le froid se faisait déjà sentir « d'une manière assez rude. Au milieu d'une certaine << nuit où il n'avait pu trouver le sommeil, il était <<< sorti de son lit, et après avoir fait quelques pas à << tâtons dans sa chambre, il se sentit si faible, qu'il << dut s'appuyer contre une console pour ne pas tom«< ber. Il resta là, debout, assez longtemps, souffrant « de froid et craignant de me réveiller en m'appelant. « Il s'efforça ensuite de passer dans la salle voisine, où << presque tous ses livres se trouvaient encore amoncelés << sur le parquet (c'étaient des livres provenant du démé«nagement de Cirey). Mais il était loin de s'en ressou<< venir, et, la tête toujours remplie du même objet, il croyait traverser cette salle lorsque, s'étant heurté «< contre une pile d'in-folio, il trébucha, et, ne pouvant << se relever, il m'appela alors à plusieurs reprises; « mais il avait la voix si faible, que les premières fois << je ne l'entendis point, quoique je fusse couché assez « près de là. M'étant enfin éveillé, je l'entendis gémir, « et répéter faiblement mon nom. Je sautai aussitôt de <«< mon lit et me portai en hâte vers le lieu d'où partait « sa voix. J'étais sans lumière, et, marchant avec pré<< cipitation, mes pieds s'embarrassèrent dans les siens, <«<et je tombai sur lui. M'étant relevé, je le trouvai sans « parole et presque glacé. Je me hâtai de l'enlever, « et le reportai dans son lit à travers l'obscurité, mais << avec toute la précaution que la circonstance exigeait. « Je m'eus bientôt procuré de la lumière, et après avoir << fait un grand feu, je tâchai de réchauffer M. de <«< Voltaire en lui enveloppant de temps en temps le

«< corps et les membres de serviettes chaudes. Cela << produisit un bon effet. Je le vis se ranimer peu à peu; <«<il ouvrit les yeux, et, me reconnaissant, il me dit << qu'il se sentait très-fatigué, et avait besoin de repos; << je le couvris bien, et ayant fermé ses rideaux, je res<< tai dans la chambre le reste de la nuit. Il ne tarda << pas à s'endormir, et le sommeil ne le quitta que vers << les onze heures du matin. »

Voilà l'état dans lequel il resta quelque temps encore; mais ici commence une phase nouvelle et dernière de cette tragédie: Longchamp, inquiet de voir son maître dans cet abattement, voulut l'en tirer, et crut avoir un moyen infaillible pour cela. Ayant aidé M. du Chatelet à brûler une partie des papiers de sa femme, il était parvenu, dit-il, subtilement, à sauver quelques lettres de madame du Chatelet, dans lesquelles elle s'exprimait sur le compte de M. de Voltaire d'une façon assez légère pour faire croire qu'elle ne l'aimait pas. Ce fut à ces lettres qu'il eut recours pour calmer la douleur et la passion de son maître; il eut en effet la cruauté de les lui montrer. Voltaire pâlit et frémit en lisant; mais il connaissait trop bien le cœur humain pour conclure (ainsi que le faisait Longchamp) qu'Émilie ne l'eût jamais aimé. D'ailleurs, quelque quelque légère qu'eût pu être sa vie, ses derniers mois si sérieux et sa mort ne réparaient-ils pas tout? Si elle avait commis quelques fautes à l'égard de Voltaire, elle avait bien mérité de la philosophie: elle avait commenté Newton. Voltaire continua donc de la pleurer et de l'embellir dans son imagination et dans son

souvenir. En dépit des papiers de Longchamp, il la vit plus belle encore que dans son vivant; et c'est à travers ce mirage qu'il a transmis son nom à la postérité.

XXVII

Voltaire, en arrivant à Paris, s'était donc emménagé dans sa propre maison, rue Traversière; mais quoique malade, quoiqu'il ne reçût que ses plus particuliers et plus anciens amis, à peine le bruit de son retour se fut-il répandu parmi les oisifs et les beaux esprits de la ville, que les gazettes commencèrent à se déchaîner. Fréron était alors au plus fort de sa malheureuse influence; encouragé par une reine dévote et crédule, il commença au milieu des sots et des envieux, etc., etc., dans sa misérable feuille, à prêcher une nouvelle croisade contre Voltaire. Celui-ci eut la simplicité, pendant quelque temps, de croire que le roi, ou que tout au moins madame de Pompadour mettrait un terme à tant d'infamie; il n'imaginait pas que l'on pût laisser ainsi traîner dans les égouts des gazettes le nom d'un historiographe de France et d'un gentilhomme de la Chambre. Mais, loin de là, il ne reçut pas même une invitation de la cour. Les gazettes, tous les matins, publiaient que M. de Voltaire allait bouleverser le royaume; et l'on voyait le roi, le parlement,

le clergé saisis d'épouvante. La terreur augmentait de moment en moment. Ces gens-là sentaient d'instinct que l'esprit de Voltaire était une flamme qui allait brûler tout arbre stérile, et le mauvais arbre tremblait jusque dans ses racines. « Tous ces gens-là craignent ies philosophes, disait Duclos, comme les voleurs craignent les réverbères. »

Voltaire prévoyait même qu'il lui serait impossible de rien imprimer : le chancelier d'Aguesseau, qui remplissait les fonctions de censeur, malgré toutes ses belles phrases imitées des Romains, n'était à l'égard de Voltaire qu'un sot solennel.

L'auteur de la Henriade, en présence de tant d'obstacles et de tant de chagrins, crut quelque temps que son rôle était fini, qu'il fallait renoncer à réformer l'Europe. Le bruit courut même et parmi ses amis, qu'il allait se retirer chez les bénédictins, dans l'abbaye de Sénones, auprès de dom Calmet.

Cependant, comme sa santé ne se remettait point, il appela près de lui, pour tenir son ménage, sa nièce, madame Denis, veuve depuis quelques années. A peine se fut-elle installée, que le bonheur de se sentir de nouveau en famille lui rendit le courage, il s'aperçut qu'il guérirait encore, et qu'il fallait s'arranger pour vivre, c'est-à-dire pour reprendre son rôle : « Ma «< chère enfant, disait-il à madame Denis, c'est la des<< tinée qui dispose de nous, et je me laisse aller à la « mienne sans savoir trop ce qu'elle veut accomplir « par moi.

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Puisque son rôle n'était point possible au milieu

des Welches, il songea à partir, et fit, quoiqu'il lui en coûtât, ses dispositions pour quitter la France. Son projet (si la destinée le lui laissait accomplir) était d'aller d'abord passer quelque temps chez le roi de Prusse, puis chez le pape. Toutefois, comme il ne savait point encore dans quel pays il s'établirait définitivement, il laissa madame Denis à Paris. Cette nièce, d'ailleurs, était fort habile, fort entendue aux affaires, et il lui confia la conduite d'un procès qu'elle gagna très-bien. Avant son départ, dans l'incertitude de ce qu'il pourrait devenir, il fit rentrer ce qu'il put de ses fonds, en fit passer dans tous les pays de la terre, afin de ne se trouver nulle part sans ressources; cela réglé, il lègue à sa nièce sa maison, son argenterie, ses cheBerlin. vaux, et le voici en route pour

XXVIII

Il y fut reçu avec les plus grands témoignages d'amitié, logé dans la principale partie du palais, celle même qu'avait. eue le maréchal de Saxe! Le vainqueur de la Silésie n'est plus seulement pour Voltaire lė Marc-Aurèle, le Salomon du Nord; ce palais devient, à ses yeux, le palais enchanté d'Alcine Frédéric. Jamais tant de séductions, de coquetteries et de grâces, ne furent employées pour attirer et retenir quelqu'un. L'auteur de la Henriade semblait être pour lui l'objet

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