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<< avec lui. Il faut y aller, il faut remplir ce cruel de« voir. Je reverrai donc ce château que l'amitié avait << embelli, et où j'espérais mourir dans les bras de <« votre amie ! Il faudra bien revenir à Paris; je << compte vous y voir. J'ai une répugnance horrible à « être enterré à Paris. Je vous en dirai les raisons. Ah! « cher abbé, quelle perte ! »

En effet, il accompagna à Cirey M. du Chatelet et son fils. Il fallut d'abord mettre ordre à toutes choses. Voltaire fit emporter sa bibliothèque, ses collections, ses instruments de physique et de mathématiques, ses statues, ses tableaux, ses papiers. Tout cela fut transporté à la maison qu'il n'avait point cessé de tenir à Paris, dirigée en partie par l'abbé Moussinot, et dont l'entretien lui coûtait 30,000 livres par année.

Il écrivit de Cirey, au comte d'Argental (un vieil ami d'enfance, qui chaque année lui était devenu de plus en plus cher):

« Je ne sais, mon adorable ami, combien de jours << nous resterons encore dans cette maison que l'ami<< tié avait embellie, et qui est devenue pour moi un << objet d'horreur. Je remplis un devoir bien triste, et << j'ai vu des choses bien funestes. Je ne trouverai ma <«< consolation qu'auprès de vous. Vous m'avez écrit « des lettres qui, en me faisant fondre en larmes, ont <«< porté le soulagement dans mon cœur. Je partirai << dans trois ou quatre jours, si ma malheureuse santé « me le permet.

« Je meurs dans ce château : une ancienne amie de

<«< cette malheureuse femme y pleure avec moi; j'y <«< remplis mon devoir avec le mari et avec le fils. Il « n'y a rien de si douloureux que ce que j'ai vu de<< puis trois mois, et qui s'est terminé par la mort. << Mon état est horrible, vous en sentez toute l'amer« tume..... >>

Ceci, le 21 septembre; mais le 23, il écrit de nou

veau :

« Je suis encore pour deux jours à Cirey. De là je << vais passer encore deux jours chez une amie de ce <«< grand homme et de cette malheureuse femme, et je << reviens à petites journées par la route de Saint<< Dizier et de Meaux. Enfin je n'aurai la consolation « de vous revoir que les premiers jours d'octobre. « J'ai relu plus d'une fois votre dernière lettre et celle « de madame d'Argental. Vous faites ma consolation, << mes chers anges (il les appelait habituellement ainsi), « vous me faites aimer les malheureux restes de ma << vie. >>

Il ne veut point, dit-il, à Paris, habiter sa propre maison, il craint la curiosité, il lui faut la retraite ; il voudrait vivre auprès des d'Argental, occuper le devant de leur hôtel. «J'en donnerai aux locataires, dit-il, tout ce qu'ils voudront, je leur ferai un pont d'or.» Mais, il prévoit bien que ces locataires ne pourront partir sur-le-champ et qu'il sera obligé de loger chez lui. Il ajoute ceci : «Je vous avouerai même qu'une maison << qu'elle habitait, en m'accablant de douleur, ne m'est << point désagréable. Je ne crains point mon affliction, << je ne fuis point ce qui me parle d'elle. J'aime Cirey,

<< je ne pourrais pas supporter Lunéville, où je l'ai « perdue d'une manière plus funeste que vous ne << pensez; mais les lieux qu'elle embellissait me sont «< chers. Je n'ai point perdu une maîtresse ; j'ai perdu << la moitié de moi-même, une âme pour qui la mienne << était faite, une amie de vingt ans que j'avais vue << naître. Le père le plus tendre n'aime pas autrement « sa fille unique. J'aime à en trouver partout l'idée. << J'aime à parler à son mari, à son fils....>>

Croira-t-on que dans ces entrefaites, quatre vers ayant paru sur la mort de madame du Chatelet, une partie du public fut assez sotte pour les attribuer à Voltaire? Jamais rien de la part des esprits légers ne le blessa davantage. Il écrit à une dame : « Il a couru « après sa mort, quatre vers assez médiocres à sa «<louange. Des gens qui n'ont ni goût, ni âme, me les « ont attribués. Il faut être bien indigne de l'amitié, <«<et avoir un cœur bien frivole, pour penser que, << dans l'état horrible où je suis, mon esprit eût la << malheureuse liberté de faire des vers pour elle.»>

A tous ses amis il ne parle que d'elle: on sent qu'il l'a aimée de tous les amours à la fois, comme amie, comme sœur, comme fille; comme fille surtout, car elle était pour lui l'espoir de l'avenir; il voyait par elle la philosophie arriver aux femmes, aux mères. La première parmi les personnes de son sexe, elle était entrée dans ces vérités nouvelles révélées par les Newton, les Huygens, les Descartes, les Galilée... Elle était belle et respectable à ses yeux de tout ce que son imagination, son amour et sa raison supérieure savaient

trouver en elle. Elle était d'ailleurs toute sa famille ; avant elle il avait été seul au monde, et par sa mort il se retrouvait seul. Représentant des idées de réformes qui agitaient son siècle, c'était comme si tout à coup les femmes eussent été arrachées à cette entreprise sacrée. Comme homme, comme philosophe, il perdait sa compagne. Aussi dans toutes ses lettres, pendant deux mois, on ne retrouve qu'Emilie. On sent que pour Voltaire tout un monde a péri avec elle. C'est maintenant qu'il l'aime, c'est maintenant qu'il comprend qu'elle était l'espoir de la philosophie! Il respecte en elle le souvenir d'un grand homme ou plutôt celui d'une femme unique au monde : «Une femme, <«< dit-il, qui a traduit et éclairci Newton, et qui avait << fait une traduction de Virgile, sans laisser soupçon« ner dans la conversation qu'elle avait fait ces pro<< diges; une femme qui n'a jamais dit de mal de per<«< sonne et qui n'a jamais proféré un mensonge; une <<< amie attentive et courageuse dans l'amitié; en un « mot, un très-grand homme que les femmes ordinai<< res ne connaissaient que par ses diamants et le << cavagnole.>>

Les préparatifs sont enfin terminés pour le départ : il a, de ses propres mains, vidé cette chère maison qu'il avait autrefois embellie avec elle !... Le 3 octobre, accompagné de M. du Chatelet, il a quitté Cirey pour toujours, et le voici à Châlons, d'où il écrit de nouveau à M. et madame d'Argental :

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<< Je viens de relire des matériaux immenses de << métaphysique que madame du Chatelet avait assem

« blés avec une patience et une sagacité qui m'effrayent. << Comment pouvait-elle pleurer après cela à nos tra<< gédies ? C'était le génie de Leibnitz avec de la sen<«<sibilité. Ah! mon cher ami, on ne sait pas quelle « perte on a faite ! »

C'est pourtant dans ce voyage, qu'il fit très-lentement, voulant autant que possible retarder son retour à Paris, que Voltaire commença à reprendre un peu le travail. Il retomba tout d'abord dans ses préoccupations sur Cicéron. Il écrit à M. et madame d'Argental : « J'ai revu enfin Catilina dans ma route; << mais qu'il s'en faut que je puisse travailler avec «< cette ardeur que j'avais quand je lui apportais un << acte tous les deux jours! Les idées s'enfuient de moi. « Je me surprends des heures entières sans pouvoir « travailler, sans avoir d'idée de mon ouvrage. Il n'y << en a qu'une qui m'occupe jour et nuit. » A mesure qu'il approchait de Paris, sa tristesse, que le travail avait calmée quelques instants, paraissait augmenter et prendre même un caractère plus sombre que dans les premiers jours.

« A son arrivée à Paris, dit Longchamp, M. de Vol«taire était malade; sa faiblesse ne diminuait point; |«< il était toujours sombre, triste et rêveur. Il ne vou<< lait voir personne, ne sortait point de chez lui, et ne << pouvait se consoler de la mort de madame du Cha<< telet. Pendant les nuits, il se relevait plein d'agita

tion; son esprit frappé croyait voir cette dame; il << l'appelait, et se traînait avec peine de chambre en «< chambre, comme pour la chercher. C'était à la fin

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