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XXV

Madame du Chatelet, rentrée à Cirey, reprit en grande hâte et avec ardeur ses travaux scientifiques. Malheureusement la première découverte qu'elle fit fut qu'elle était enceinte. Elle sentit que ceci était pour elle la mort. Il faut dire qu'elle avait vécu depuis plus de quinze ans, non pas séparée, mais éloignée de M. du Chatelet, qui ne lui avait fait que de rares visites et fort peu maritales. Il fallait pourtant lui épargner ce chagrin, sauver son honneur et celui de son fils. M. de Voltaire fut celui à qui on eut recours. Émilie, dès les premiers jours, se confia à lui. Malgré sa douleur d'une telle aventure, se prêtant par amitié, par bonté, à ce qu'on voulait de lui, il fut chargé d'inventer ce qu'il fallait pour attirer tout de suite à Cirey M. du Chatelet. Celui-ci vint en effet : on lui fit l'accueil le plus admirable, le plus enchanteur. Dès le premier soir, au souper, Voltaire sut se montrer si jeune, si spirituel, si gai, qu'Émilie rajeunit elle-même et que M. du Chatelet retrouva dans ses yeux les tendres sourires d'autrefois. A cette vue, le vieux soldat rajeunit lui-même, et se croit transporté de vingt-cinq ans en arrière au jour de son mariage... Le voilà trompé ! Cependant Émilie déclare à M. de Voltaire qu'elle ne survivra pas à tout ceci. En proie à une

tristesse sombre, elle fait déjà ses dispositions mortuaires, écrit à une amie très-chère de la venir voir pour la dernière fois. Dans cet intervalle de quelques mois, elle se hâta d'achever un travail important, mit au net ses papiers, retourna à Lunéville pour y faire ses couches, ne se reposa pas une seule heure, et ne termina son dernier ouvrage qu'au milieu de la nuit du 3 septembre 1749, pour mettre au monde une petite fille.

Madame du Chatelet avait quarante-quatre ans : elle était restée si mélancolique durant sa grossesse, elle avait si nettement affirmé qu'elle mourrait en couches, que son mari, son fils, ses amis, avaient fini par concevoir quelques inquiétudes. Quelle fut donc leur joie de voir que cet événement si redouté s'était passé de la façon la plus heureuse! Le lendemain elle était aussi bien que possible, le surlendemain mieux encore. Mais le quatrième ou cinquième jour une imprudence (un verre d'orgeat à la glace bu malgré tout le monde) la mit subitement en danger. Les fonctions naturelles s'arrêtèrent, des suffocations la prirent, que les médecins réussirent à calmer, mais qui revinrent par intervalles. Le soir du sixième jour, dans un moment où elle paraissait un peu mieux, Voltaire, MM. du Chatelet père et fils, quelques autres personnes prenaient leur souper chez madame de Boufflers, lorsque Saint-Lambert entre tout éperdu au milieu de la salle et s'écrie qu'il n'y a plus d'espoir, que madame du Chatelet vient d'être reprise d'une manière terrible, qu'elle est à l'agonie. On se lève, on

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court vers la malade; mais il n'était plus temps, ce petit intervalle avait suffi: Émilie était morte! Le mari, le fils, se précipitent sur le lit; on les fait retirer. M. de Voltaire et M. de Saint-Lambert restent seuls auprès du lit, immobiles, silencieux. Mais tout à coup M. de Voltaire gagne la porte, court dans les corridors, cherche une issue, veut fuir le palais sans savoir où il va, sans proférer un mot. Arrivé au bas de l'escalier extérieur, on le voit tomber la tête sur la pierre, au pied du factionnaire. Un domestique accourt, le relève; Saint-Lambert arrive en même temps et le prend dans ses bras. Voltaire, reprenant un peu connaissance, regarde fixement Saint-Lambert, puis laissant échapper un torrent de larmes : «Ah! mon ami, lui dit-il, c'est vous qui me l'avez tuée! »

XXVI

Il n'y avait que quelques moments que madame du Chatelet n'était plus, lorsque madame de Boufflers appela Longchamp à l'écart, et lui dit à l'oreille de voir si madame du Chatelet n'avait pas au doigt une bague qu'elle lui désigna; que si elle y était encore, il eût à la prendre et à la lui apporter. Cette bague était en effet au doigt de madame du Chatelet. Longchamp l'ayant ôtée, la porta à madame de Boufflers, qui en souleva le chaton et en tira le portrait de

Saint-Lambert. Cela fait, elle rend la bague à Longchamp, avec recommandation de la remettre le jour même à M. du Chatelet.

Cependant Voltaire, dans la nuit, ayant retrouvé un peu de calme, voulut annoncer la fatale nouvelle à madame du Deffant, amie de madame du Chatelet; il lui écrivit en ces termes :

« Je viens de voir mourir, madame, une amie de << vingt ans qui vous aimait véritablement, et qui me << parlait deux jours avant cette mort funeste du plai<< sir qu'elle aurait de vous voir à Paris, à son premier « voyage. J'avais prié M. le président Hénault de vous <«< instruire d'un accouchement qui avait paru si sin«gulier et si heureux : il y avait un grand article pour « vous dans ma lettre. Madame du Chatelet m'avait « recommandé de vous écrire et j'avais cru remplir << mon devoir en écrivant à M. le président Hénault. << Cette malheureuse petite fille dont elle était accou«< chée, et qui a causé sa mort, ne m'intéressait pas << assez. Hélas! madame, nous avions tourné cet évé<< nement en plaisanterie, et c'est sur ce malheureux <«<ton que j'avais écrit par son ordre à ses amis. Si « quelque chose pouvait augmenter l'état horrible où « je suis, ce serait d'avoir pris avec gaieté une aven<«<ture dont la suite empoisonne le reste de ma vie << misérable. Je ne vous ai point écrit pour ses couches, «<et je vous annonce sa mort. C'est à la sensibilité de « votre cœur que j'ai recours dans le désespoir où je << suis. On m'entraîne à Cirey avec M. du Chatelet. De <«<là, je reviens à Paris, sans savoir ce que je devien

« drai, et espérant bientôt la rejoindre. Souffrez qu'en <«< arrivant j'aie la douloureuse consolation de vous « parler d'elle, et de pleurer à vos pieds une femme <«< qui, avec ses faiblesses, avait une âme respecta<< ble.»

Cette mort était arrivée le 10 septembre; le 12 ou le 13, M. de Voltaire donna ordre à Longchamp de s'informer si une bague que portait habituellement madame du Chatelet ne serait pas restée entre les mains de la première femme de chambre, et il lui dit que si cela était, il fallait d'une certaine manière en soulever le chaton, sous lequel, ajouta-t-il, vous trouverez mon portrait et me l'apporterez. Longchamp répondit que cette bague avait été remise par lui-même à M. du Chatelet, et qu'à l'égard de son portrait, il n'y était plus. «Comment le savez-vous ?» dit M. de Voltaire. Longchamp fut forcé de lui faire le détail de ce qui s'était passé chez madame de Boufflers, relativement au portrait de M. de Saint-Lambert. Voltaire l'écoutait épouvanté. « O ciel! s'écria-t-il, voilà bien les femmes !..» Cependant, le 14 septembre, encore il écrit tout en larmes à l'abbé de Voisenon:

« Mon cher abbé, mon cher ami, que vous avais-je << écrit! Quelle joie malheureuse! Quelle suite fu<< neste! Quelle complication de malheurs, qui ren<< draient encore mon état plus affreux, s'il pouvait «<l'être ! Conservez-vous, vivez; et si je suis en vie, je << viendrai bientôt verser dans votre sein des larmes << qui ne tariront jamais.

« Je n'abandonne pas M. du Chatelet, je vais à Cirey

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