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négligence, leur peu d'élévation, la faiblesse de leur style, leur absence d'originalité, étaient encore les plus tolérables, faisons-en le triste aveu.

La Motte, un excellent homme, que l'on ne connaît plus de nos jours, avait au théâtre, parmi le beaut monde, un succès de passage.

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Il y avait aussi M. Lagrange-Chancel, avec ses tragédies pompeuses. Mais Voltaire sentait le néant de ces rhéteurs; ne trouvant rien à apprendre chez eux, ne pouvant d'ailleurs s'en rapporter aux anciens sur les choses de son temps, il prit le parti de s'interroger lui-même. Partout, autour de lui, les âmes étaient vides, malades, en délire. Interrogeait-il la littérature sacerdotale; jetait-il un coup d'œil sur cette Église de France si hautaine encore un demi-siècle avant ? Bossuet, Pascal, le grand Arnaud, Fénelon, tout était mort. D'où viendraient-ils les nouveaux Pères de l'Église ? L'horizon restait vide. Il est vrai que l'évêque Languet méditait de relever l'épiscopat; dans ces vues, il écrivait la vie de Marie Alacoque. Grâce à lui, grâce aux visions de la béate hystérique, les dévôts en extase n'allaient plus voir de l'Homme-Dieu qu'un viscère; une religion sensuelle allait remplacer le bigotisme austère inauguré au siècle précédent par la femme sans cœur, madame de Maintenon. Au reste, il est bien remarquable, que tout, en France, au sortir des dernières années dévotes de Louis XIV, tournait au sensualisme.

Où donc se réfugieraient les esprits? Voilà précisément la question qui occupait Voltaire dans

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sa prison, tout en écrivant OEdipe et la Henriade. Il était renfermé là depuis plusieurs mois, lorsque, par la protection du Régent il fut mis en liberté; celui-ci, pour l'indemniser (ce qui n'arrive guère) de l'erreur dont il venait d'être victime, lui fit accepter une gratification.

« Monseigneur, dit Voltaire en souriant, je remercie Votre Altesse Royale de vouloir bien se charger de ma nourriture, mais je la prie de ne plus se charger de mon logement. >>

Deux années se passèrent dans le travail, mêlé toujours de quelques plaisirs, sans qu'aucune aventure vint le déranger, sauf quelques moments de passion pour la maréchale de Villars. Cette passion, sans être partagée, fut sérieuse, lui fit perdre du temps; et, plus tard, il se la reprocha beaucoup.

Ce qui, dans ces deux années, commença de fixer sur lui l'attention du public, ce fut la représentation et le succès d'Edipe, pamphlet anti-clérical qui lui attira la malveillance de la cour; sous le prétexte de relations trop actives avec le duc de Richelieu, ennemi du Régent, et pour des couplets satiriques qu'il n'avait point faits, il fut exilé de Paris. Et les sots, les charlatans, les gazetiers s'attroupèrent après lui: «< Voilà bien des ennemis, écrivait-il; si je fais encore une tragédie, où fuirai-je ? »>

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On l'avait condamné à s'exiler de Paris, mais non pas de la France; il se mit donc à se promener en province, de château en château. Cet exil lui servit à étendre ses relations. Il vit en Touraine, en 1721, mi

lord Bolingbroke, dont l'esprit, dont le savoir et la conversation sérieuse l'enchantèrent. Milord Bolingbroke avait été ministre sous la reine Anne; il avait tenté, durant son ministère, de faire une révolution dans son pays, ce qui, depuis trois ans lui valait son exil en France. Il y vivait dans une admirable retraite, occupé de sciences et d'écrits politiques. C'est là que Voltaire lia avec le célèbre Anglais une amitié qui eut tant d'influence sur lui, influence sur plusieurs points fâcheuse.

Cette vie vagabonde chez des amis riches, n'était pas sans quelques charges; les plus dures étaient le biribi et le pharaon. On voit même qu'il perdit un jour cent louis à ce dernier jeu; et malheureusement il perdait toujours.

Toutefois, à la même époque, profitant habilement de ses relations avec quelques traitants, il n'en songeait pas moins à consolider sa fortune, qu'il ne perdit jamais de vue, sachant fort bien de quelle utilité elle serait à son indépendance.

Son exil de Paris ne fut point de très-longue durée ; mais la manière dont il rentra en grâce auprès de la cour mérite d'être dite. Il fit une tragédie nouvelle (Artémire) que le public siffla. On crut alors s'être exagéré son talent, on crut qu'il allait cesser de faire peur aux honnêtes gens intéressés au maintien des abus, et on le rappela de l'exil.

Mais Paris avec ses sifflets pour sa tragédie nouvelle, avec ses prisons, avec ses pauvretés administratives, avec ses oisifs, ses sots et ses Welches, lui plaisait peu.

Son chagrin se conçoit, lorsqu'on songe qu'il avait écrit sa tragédie d'Artémire pour une actrice qu'il aimait et qu'il avait formée lui-même. Dans son dépit de voir siffler sa pièce et son élève, il renonça au séjour de Paris pour accompagner en Hollande madame de Rupelmonde.

Voltaire aimait la Hollande, il aimait cette terre d'industrie, de travail et de liberté; il l'avait entrevue au temps de Pimpette; mais il désirait revoir ce pays pour le mieux étudier. Voilà pourquoi il saisit avec empressement l'occasion d'y accompagner cette dame.

IV

Jusqu'à vingt-six ans, il ne s'était occupé que de poésies; mais à cette époque il commence à se livrer à l'étude des sciences physiques et voici à quelle occasion. Le jour de la Pentecôte, 1720, il parut dans le soleil un phénomène extraordinaire. Le peuple et les prêtres firent aussitôt sur ce phénomène les interprétations les plus effrayantes, les plus folles. Voltaire, indigné, non pas d'entendre le peuple, mais d'entendre les prêtres jeter un tel défi au bon sens, voulut, en les flétrissant, rassurer les honnêtes gens contre leurs pronostics, et tandis qu'ils se servaient de ce phénomène pour abrutir les âmes, il voulut s'en servir pour les éclairer, Sur-le-champ il se mit en relation avec

M. de Fontenelle, célèbre alors par son livre de la Pluralité des mondes, et lui demanda une explication scientifique de ce phénomène. Il est difficile de dire si. la réponse de Fontenelle fut satisfaisante, mais on voit Voltaire, à partir de cette époque, étudier l'astronomie, les lois générales de la physique, et particulièrement l'optique. Il voulait se mettre en état de comprendre Newton, qui, par sa découverte des lois de l'attraction, venait de renverser l'hypothèse des tourbillons de Descartes. Newton, mort depuis quelques années seulement, était encore inconnu sur le continent, -car le peuple anglais vivait alors en relation avec les autres peuples à peu près comme Robinson dans son île (dont précisément l'histoire ‚ venait de paraître); mais Voltaire avait été instruit

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de la découverte de Newton dans ses entretiens en Touraine avec milord Bolingbroke.

Pour le présent, il s'en allait donc en Hollande avec madame de Rupelmonde. Mais quelle était sa situation d'esprit ?

Le souvenir de sa passion malheureuse pour madame de Villars, le souvenir de sa tragédie sifflée, la mort récente d'un ami, M. de Genonville, ne lui laissaient plus que les apparences de la gaieté. Sa santé très-mauvaise, sa fortune incertaine, n'étaient point aussi sans lui causer quelque inquiétude. Il était triste de voir le public lui attribuer souvent des vers dénués de goût et de raison, triste de voir une nation légère, vide de citoyens, peuplée de laquais, de danseurs et de petitsmaîtres. Il lut à ce moment les livres sacrés ; mais ces

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