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<< Comme il continuait à ne vouloir prendre aucun << aliment solide de quelque nature que ce fût, et se << bornait à quelques boissons, telles que du thé léger, << de l'eau panée et une tisane rafraîchissante et apé<< ritive, il devint si faible, qu'il ne s'aidait plus en << rien et pouvait à peine remuer ses membres. Enfin, << le soir du sixième jour depuis notre arrivée à Chalons, <«<il me causa un grand étonnement en me disant de «faire tout préparer pour son départ, de payer ce «< qu'il devait, d'arranger sa malle, de faire en sorte <«< qu'il pût le lendemain de grand matin sortir de « Châlons, où il ne voulait point mourir. Il ajouta « que, si au point du jour il était encore vivant, quel<< que fût d'ailleurs son état, je n'avais qu'à le porter <«< dans sa chaise de poste et le conduire à Lunéville. « Il me dicta quelques lignes pour prévenir monsei« gneur l'évêque et monsieur l'intendant de sa réso«<lution soudaine, et les remercier de leurs bontés. Le << maître de la poste fut chargé de leur faire parvenir «< ces billets après notre départ. Alors il se reposa et << je m'occupai de l'exécution de ses ordres, Le lende«<main, tout étant prêt et les chevaux attelés, je le << portai dans la chaise de poste, enveloppé de sa << robe de chambre et d'une couverture par-dessus. « Je m'assis devant lui et de côté, pour ne le pas per<«<dre de vue et le soutenir s'il retombait en avant; j'ajoutai à cette précaution celle d'attacher ensemble « les poignées des côtés, ce qui formait une sorte de << barrière pour le retenir en place. C'est ainsi que je « le conduisis de Châlons à Saint-Dizier, sans qu'il

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<< proférât une seule parole. Je le voyais si faible et si « pâle, que je tremblais de ne pouvoir le mener vivant << jusqu'à Lunéville. Pendant qu'on relayait à la poste « de Saint-Dizier, il parut s'éveiller comme en sursaut, « et me demanda ou nous étions, et quelle heure il «< était; ayant répondu à ses questions, je lui en fis à << mon tour quelques-unes, mais il ne me répondit «< rien, et parut s'assoupir de nouveau. Nous conti<< nuâmes notre chemin. Entre Saint-Dizier et Bar-le«< Duc, nous rencontrâmes un laquais que madame la <«< marquise du Chatelet envoyait en poste à Châlons, << pour s'assurer plus particulièrement de l'état du << malade, et voir s'il était susceptible d'être trans<< porté jusqu'à Lunévillle. Je fis part de cette rencon« tre à M. de Voltaire; cela parut lui faire plaisir et le << ranimer un peu. Le laquais retourna sur ses pas, et «< nous servit de courrier pour faire préparer les che«vaux sur la route, ce qui nous fit perdre moins de « temps, et nous permit d'arriver à Nancy dans la << soirée, avant la fermeture des portes. Nous descen<< dîmes à la poste, où le laquais nous attendait pour << savoir si l'on n'aurait point quelque ordre à lui << donner. M. de Voltaire me chargea de lui dire de « poursuivre sa route jusqu'à Lunéville, afin que ma<< dame du Chatelet eût plus tôt de ses nouvelles. Quant <«< à lui, il ne pouvait aller plus avant sans beaucoup << de risques. Exténué de fatigue et d'inanition, il lui << fallait nécessairement s'arrêter pour prendre du << repos et quelque nourriture. Je le mis dans un bon << lit en arrivant, où je lui fis apporter un bouillon. Il

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<«<le but tout entier et avec plaisir. Moi-même ayant << presque autant besoin que lui de me restaurer, car « j'étais à peu près à jeun de la journée, je me fis ap« porter à souper dans sa chambre, où j'avais fait << mettre aussi un lit de camp. La nuit comme le jour << je restais auprès de lui. Voyant avec quelle avidité «< je dévorais ce qu'on m'avait servi. Que vous êtes heureux, me dit-il, d'avoir un estomac et de digérer! Il << avait vu disparaître la moitié d'une éclanche de <«< mouton et une entrée. On m'apporta ensuite deux «grives rôties et une douzaine de rouges-gorges, qui << sont les ortolans du pays. C'était alors leur saison. << Je demandai à M. de Voltaire s'il n'était pas tenté de << sucer un de ces petits oiseaux. Oui, me dit-il, je « veux essayer. Je lui en choisis deux des plus gras, et «<les lui portai, avec un morceau de mie de pain, sur « son lit, où s'étant à moitié redressé, il en mangea << une bonne partie et avec goût; il demanda ensuite <«< un verre de vin coupé d'un tiers d'eau, qu'il avala << assez lestement. Après cela il me dit qu'il se sentait << quelque disposition au sommeil; qu'après que j'au<< rais fini de souper, je n'avais qu'à me coucher; que <«<le lendemain matin à son réveil nous partirions << pour Lunéville. Alors se remettant la tête sur l'oreil<«<ler, il ne tarda guère à s'assoupir. De mon côté, je « dormis très-bien jusqu'à près cinq heures du matin. « A six heures, toutes les petites dispositions pour le << départ étaient faites; je n'attendais plus que le réveil « de M. de Voltaire. Je le voyais dormir d'un si pro« fond sommeil, que rien n'aurait pu me déterminer

<< à l'interrompre. J'allais de temps en temps jeter un « coup d'œil sur lui, bien résolu de le laisser se ré<«< yeiller de lui-même. Je ne m'attendais pas que ce << moment n'arriverait qu'à trois heures après midi. Il <«< tira alors ses rideaux en me disant qu'il avait bien «< reposé; il l'avait fait mieux et plus longtemps qu'il « ne le croyait. Je l'aidai à se lever et à s'habiller; ce « sommeil l'avait rafraîchi, et je le trouvai beaucoup << plus dispos. Après qu'il eut pris un bouillon avec du << pain trempé, nous partîmes à cinq heures pour Lu« néville, où nous arrivâmes aisément le même soir. « M. de Voltaire se trouvait alors beaucoup mieux. La « présence de madame du Chatelet acheva de le ra<< nimer...

« Cette maladie provenait évidemment du grand « échauffement qu'il s'était donné à Paris, par un << travail outré, une agitation excessives, et le chagrin « de s'y voir en butte à des tracasseries injustes qu'il << fallait sans cesse déjouer. »

Ces accès, assez fréquents chez lui, nous expliquent les soins qu'il prenait pour en éviter les retours; mais même dans cet état de prostration apparente, le travail pour lui n'était pas suspendu : il arrangeait alors ses plans de tragédie, parfois même les versifiait tout entières, et les retenait par cœur pour les dicter dans ses premiers moments de convalescence.

XXIII

Voltaire arriva malade à Lunéville; mais toute la petite cour était en fête. Cependant le roi Stanislas, au milieu de ces plaisirs, en fumant sa pipe, paraissait plus mélancolique encore qu'autrefois. Madame de Boufflers fait tout pour le divertir; mais ces divertissements mêmes attirent le jeune Saint-Lambert, et l'ex-roi de Pologne, qui voit très-clair, devient soupçonneux au point de ne vouloir plus que la marquise de Boufflers s'éloigne un seul instant d'auprès de lui. Madame du Chatelet, de son côté, est plus radieuse et plus gaie que jamais. Voltaire à peine rétabli, on le prie de faire une comédie pour une fête que l'on se propose de donner au prince; il écrit à cette occasion la Femme qui a raison; mais, pour la première et pour l'unique fois de sa vie, sa verve est en défaut, il ne peut finir assez vite, il a besoin qu'on l'aide; et cette petite pièce (en vers à la vérité) est le seul de ses ouvrages écrit en collaboration... Partageait-il, pour son propre compte, les soupçons du roi Stanislas? C'est un point difficile à décider. On dit cependant que des doutes lui étaient déjà venus sur Émilie, depuis qu'il avait surpris le mathématicien Clairault enfermé avec elle dans son appartement. La scène même, si l'on en croit Longchamp, avait été violente: Voltaire avait enfoncé

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