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Dans ces Voyages de Scarmentado, par exemple, en quelques pages on parcourt l'Europe, on en sonde les misères... Le héros du roman est accablé de malheurs et de persécutions chez tous les peuples, pour avoir été un peu moins aveugle que les autres hommes.

XXII

Voltaire allait ainsi, instruisant et divertissant ses contemporains, et préparant la plus grande réforme qu'il y ait eu sur la terre.

Outre les ouvrages nombreux et importants qu'il composa à Cirey, que de lettres charmantes adressées à tous les personnages célèbres, artistes, savants, philosophes, princes! Que de poésies improvisées à plume courante, épigrammes, chansons, odes, stances, inventions de tous genres!

Ne perdons pas de vue les entreprises commerciales au milieu de ces combats et de ces triomphes littéraires. Dans les années qui nous occupent, il eut à essuyer, de ce côté-là, un grand désastre: une partie considérable de ses capitaux fut engloutie dans la banqueroute d'un certain Michel, receveur général des finances.

A ces désastres financiers il faut ajouter les maladies fréquentes. Sa santé semblait tout à fait altérée par l'excès des veilles. Il était, dès ce temps-là, d'une mai

greur devenue célèbre : on ne voyait plus de son visage, sous sa vaste perruque, que ses deux yeux brillants comme des escarboucles.

Voltaire vieillissait; il avait cinquante-quatre ans lorsqu'il fit, en revenant de Paris à Lunéville, chez le roi Stanislas, où était restée madame du Chatelet, la maladie dont Longchamp, son domestique, va nous rendre compte. Je demande pardon au lecteur de cette longue citation de Longchamp; mais quel témoin mieux informé pourrions-nous entendre? qui saurait, avec des détails plus circonstanciés, nous faire assister à la vie intérieure de Voltaire? Qui aurait jamais le charme de ce récit fait à la première personne ?

Longchamp était passé, depuis quelques années, du service de madame du Chatelet à celui de Voltaire. Le commentateur de Newton, ayant découvert en ce garçon une intelligence heureuse, lui avait donné des leçons de physique, et il s'en faisait aider dans ses expériences sur le feu et sur les forces motrices; il lui avait confié, en outre, les fonctions de son secrétaire : Longchamp ne le quittait donc plus.

Dans ce voyage de 1748, « M. de Voltaire, dit-il, en << arrivant à Paris, ne jouissait pas d'une bonne santé. « Une fièvre lente le minait sourdement. Le repos et << son régime accoutumé auraient pu le calmer et même « l'en délivrer, mais il lui était impossible d'y penser « dans cette ville où il était toujours en agitation. De << jour c'étaient des visites, des courses continuelles ; « de nuit, c'étaient des écritures qui se prolongeaient << presque jusqu'au matin : à peine donnait-il quelques

« heures au sommeil. Sa fièvre augmenta. Quoique «< très-fatigué et souffrant, il n'en persista pas moins <«< dans sa résolution de partir; les observations de ses << amis sur les dangers de son imprudence furent sans «< effet. Il me dit de tout disposer pour le départ, et il « fallut lui obéir, quoique à regret. Ce n'était pas sans << inquiétude que je le voyais s'exposer ainsi à une << nouvelle fatigue dans l'état de faiblesse où il était. Il << supporta assez bien le commencement de la route; << mais, arrivé à Château-Thierry, sa fièvre devint plus « forte et son abattement s'accrut; cependant il voulut poursuivre la course, que nous poussâmes jusqu'à « Châlons, où nous nous arrêtâmes à la poste. Là il <«< fallut rester : il était impossible à M. de Voltaire «< d'aller plus loin; il n'avait plus la force de se soute<< nir ni de parler. Je fus obligé de le porter de sa voi<«<ture dans un lit. Craignant que ce ne fût le com<< mencement d'une maladie dangereuse, je crus devoir « faire avertir de son arrivée monseigneur l'évêque et << monsieur l'intendant de Châlons, qui lui avaient toujours témoigné beaucoup d'attachement. L'un et « l'autre vinrent le voir dans la même journée, et le << pressèrent à l'envi de se laisser transporter chez l'un <«< d'eux, afin qu'il pût être mieux soigné. M. de Vol<taire, très-sensible à leurs offres, n'en profita point, << et s'excusa de les accepter sur ce qu'il était assez « bien à la poste, et qu'il se sentait déjà beaucoup «< mieux depuis qu'il avait pris quelque repos dans le «<lit. Monsieur l'intendant voulut à toute force lui en<< voyer son médecin. Celui-ci vint effectivement le

<< soir, examina le malade, et lui prescrivit pour le << lendemain la saignée et divers médicaments. M. de «Voltaire l'écouta avec beaucoup de patience, et répon<«< dit le plus laconiquement possible à ses questions; « mais, le docteur parti, il me dit qu'il ne ferait rien de << ses ordonnances, qu'il savait se gouverner en mala<< die comme en santé, et continuerait d'être son propre « médecin comme il l'avait toujours été. Le prélat et << l'intendant n'ayant pu le déterminer à quitter l'hôtel « de la Poste, avaient insisté pour qu'il permît du <«< moins que quelques-uns de leurs gens vinssent le « soigner; il les en avait également remerciés, en disant « qu'une femme était déjà retenue pour le garder et << faire ses bouillons; que je lui servirais d'aide et suffi<< rais pour les commissions au dehors. M. de Voltaire << n'avait encore rien pris depuis que nous avions quitté Paris. A l'entrée de la nuit, je lui proposai de « prendre un bouillon. Il y consentit. Je fis chauffer le <<< bouillon et le lui présentai, en l'aidant à le porter à « la bouche; mais à peine eut-il touché ses lèvres, « qu'il le repoussa en me faisant signe de la tête qu'il << n'en voulait pas; et alors, d'une voix presque éteinte, <«< il me dit de ne point l'abandonner et de rester près de « lui pour jeter un peu de terre sur son corps quand il se«rait expiré. Je fus surpris et encore plus effrayé de «< ces paroles, et ce n'était pas sans raison, car il fal<< lait qu'il se sentît bien mal pour tenir ce langage. En << effet, la nuit fut des plus mauvaises : il avait un fièvre << brûlante accompagnée de transport, et quand l'accès « était passé, il tombait dans un accablement total.

<< Dans la matinée suivante, il eut de nouveau la visite « de monseigneur l'évêque, de monsieur l'intendant et « du médecin. A peine ces messieurs purent-ils avoir << une parole de lui, et ils le virent toujours repousser <«<les drogues que le médecin essayait de lui faire ava«ler. En le quittant, ils ne me cachèrent pas leur << crainte de le voir périr, et accélerer lui-même sa fin << par son obstination à ne vouloir point se prêter à ce << qu'on exigeait de lui pour le sauver. Quand ils furent <«< sortis, il me fit rapprocher de son lit, et mettant « dans ma main une bourse pleine d'or, qui était dans « le tiroir de sa table de nuit, il me dit que s'il succom«< combait à sa maladie, son intention était que je gardasse «< cette somme, que c'était tout le bien qu'il me pouvait faire en ce moment; que si, au contraire, il échappait au « danger qui le menaçait, je lui remettrais la bourse, vu « l'utilité immédiate dont elle lui serait en ce moment, et qu'ily suppléerait par une récompense dont je serais plus « satisfait; qu'il me priait de ne pas l'abandonner dans la « situation où il se trouvait, et de rester jusqu'à la fin près de « lui, pour lui fermer les yeux. Je lui répondis, les larmes << aux yeux, que je ne le quitterais jamais ; que ses ordres «< m'étaient sacrés; que je conservais l'espérance de le << revoir encore en santé, et que c'était là tout mon désir. << Il put compter sur la sincérité de mes paroles, car je <«< l'aimais et je lui étais bien véritablement attaché. »

Ici Longchamp raconte comment il écrivit à madame du Chatelet et à madame Denis, nièce de M. de Voltaire, pour les prévenir de l'état où se trouvait son maître; puis il reprend:

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