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ensanglanté cette contrée ? Non ; jamais l'antique foi des Bataves n'a été démentie. Administrateurs et administrés, tous laborieux et modestes comme leurs aïeux, n'ont connu d'autres jouissances que celles attachées au travail et à la vertu; jamais, dans leurs divisions politiques, ils n'ont porté atteinte aux principes de l'ordre social. C'est avec cet esprit de conduite et de probité qu'ils ont miraculeusement soutenu l'édifice chancelant de leur patrie, dont tous les observateurs éclairés présageoient chaque jour l'écroulement. Mais tout s'use et s'épuise; et après avoir, par d'incroyables sacrifices, différé jusqu'à ce moment la fatale catastrophe, ils n'ont plus qu'à gémir sur l'inévitable et prochaine destruction de leur pays.

Pour vous convaincre, citoyen premier consul, de l'immense danger qui menace la Batavie, il suffira de vous offrir l'ensemble de sa situation financière. Notre ambassadeur est chargé de vous présenter des tableaux détaillés qui ne prouvent que trop, hélas ! l'exactitude de nos calculs.

En 1795, lorsque les François entrèrent en Hollande, la dette des Provinces-Unies se montoit à 787 millions de florins : depuis cette époque, elle s'est accrue de 339 millions; ce qui la porte aujourd'hui à 1126 millions de florins.

Une dette de 1126 millions de florins pour un pays dont la population ne s'élève pas à plus de 1,800,000 ames!!! Que l'on ôte de ce nombre les vieillards, les femmes et les enfans, et l'on verra à quoi se réduit la population active et industrieuse. Depuis 1795 jusqu'à la fin de 1803, c'est-à-dire dans l'espace de huit ans, il a été prélevé sur les habitans

de la Batavie 1615 millions de florins dont 276 millions en impôts ordinaires, et 339 millions sur les capitaux et en emprunts forcés et extraordinaires!! Y a-t-il, toutes proportions gardées, une seule nation en Europe qui ait fait d'aussi étonnans efforts? Eh! sans doute, il n'y a que l'amour le plus épuré de la patrie, le respect le plus religieux pour son antique indépendance, et le désir de la maintenir au rang que, depuis tant de siècles, elle occupe si honorablement dans l'Europe, qui puisse déterminer à de semblables sacrifices. Et quel peuple a pu opérer ces prodiges? C'est une petite agrégation d'hommes réunie sur un territoire étroit et ingrat, qui, depuis dix ans, a vu successivement disparoître la majeure partie de ses richesses et anéantir son commerce, seule et unique source de sa prospérité passée.

Ces emprunts accumulés ont chargé l'état d'intérêts considérables : ces intérêts se montent aujourd'hui à 34 millions de florins par an. Les revenus de la république, dans les temps de la plus grande splendeur, ne se sont jamais élevés au-dessus de cette somme de 34 millions de florins; ils sont encore les mêmes, et cela doit prouver à quels énormes impôts sont assujétis nos concitoyens, puisque, malgré la privation de tant de capitaux, malgré la stagnation de toutes affaires commerciales, ils fournissent, pendant les temps de la plus cruelle détresse, ce qu'ils payoient aux jours de l'opulence et du bonheur. Nous ne craignons pas de le dire, citoyen premier consul, l'impôt ordinaire et régulier qui se perçoit en Batavie est excessif et intolérable; il pèse sur tous les objets d'une manière effrayante; et pourtant la

somme de 34 millions de florins qu'il est susceptible de rendre, suffit à peine au payement des rentes dont l'état est grevé.

Les besoins de cette année exigent 85,600,000 fl.

Nous ne pouvons compter en recette que les 34,500,000 florins de

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Nous le disons avec la plus profonde amertume, citoyen premier consul; il est au-dessus de l'intelligence humaine de concevoir les moyens de combler ce déficit sans entraîner le bouleversement de ce pays. Recourroit-on à de nouveaux impôts, ceux qui écrasent le peuple sont tels, que l'on ne peut sans barbarie s'arrêter à cette idée. Voudroit-on tenter des emprunts, il faut aux prêteurs un gage plus matériel que celui de la moralité des gouvernans et de la confiance personnelle qu'ils inspirent. Ces emprunts seroient-ils forcés, la baïonnette seule pourroit présider à leur perception; et l'histoire de toutes les nations atteste qu'en finances la baionnette a bien pu faire quelques victimes, mais qu'elle n'a jamais produit d'autres résultats que ceux de l'émigration, du désespoir et de la révolte.

Que l'on ne soit pas assez injuste pour nous accuser d'avoir trop rembruni les couleurs de ce tableau;

qu'on ne nous fasse point l'injure de dire que nous affectons une feinte pauvreté; qu'il y a encore des richesses en Hollande; que le gouvernement est gêné, mais que les particuliers y sont dans l'aisance. Dans l'aisance! Qu'ils viennent donc en Batavie, ces hommes ou profondément ignorans, ou perfidement égoïstes et légers; qu'ils parcourent nos campagnes et nos cités; qu'ils visitent nos manufactures et nos comptoirs; qu'ils pénètrent dans l'intérieur des familles, ils verront nos campagnes désolées, nos cités dans la consternation, nos manufactures sans activité, nos comptoirs épuisés, et nos familles dans les larmes. Il est vrai que des regards superficiels qui ne s'attacheroient qu'aux signes extérieurs n'apercevroient pas tous ces maux. Ces signes extérieurs ne prouvent rien autre chose que l'esprit d'ordre et de conservation qui, dans tous les temps, a caractérisé l'administration batave. Nos maux n'en sont pas moins réels, et la position du peuple est absolument celle d'un malade courageux qui, abattu par de longues souffrances, attend avec calme et fermeté le coup qui va terminer ses douleurs et sa vie.

Est-ce dans cette position sinistre que l'on nous offriroit la perspective d'un meilleur avenir? Mais à quoi bon l'avenir pour ceux qui n'ont pas même de lendemain?

Les faits que nous venons de vous présenter, citoyen premier consul, ne démontrent que trop la certitude de notre chûte, et nous serions coupables de n'avertir nos amis que par le bruit de notre désastre. Faut-il donc d'ailleurs en attendre, et ne croira-t-on à nos malheurs que lorsqu'ils seront sans remède? Seroit

ee sous le consulat de Buonaparte que nous donnerions ce spectacle à l'Europe, et que nous comblerions ainsi les vœux les plus ardens de l'Angleterre ? Cette France, si grande et si généreuse, laisseroit-elle succomber son allié fidèle sous le poids des efforts qu'il a faits pour la cause commune? La France oublieroit-elle les nombreux sacrifices que la Batavie a faits à l'alliance qui unit les deux peuples? Que cette alliance devienne aujourd'hui vraiment tutélaire et bienfaisante; il en est temps encore, la république batave peut être sauvée ; mais elle ne peut l'être que par le héros qui, ayant contracté l'habitude des miracles, ne souffrira pas que la postérité puisse dire de lui: Il sut sauver la France; mais il laissa périr sa plus fidèle et sa plus utile alliée.

C'est au nom de votre gloire, citoyen premier consul, au nom de l'honneur et de la sensibilité connue du peuple françois, que nous vous conjurons d'adopter à l'égard de ce pays un système politique et financier prescrit dans tous les temps par son existence artificielle, et que commaudent bien plus impérieusement encore aujourd'hui les malheurs qui l'accablent. Le désir de vous donner un témoignage éclatant de notre zèle et de notre considération profonde, l'espoir d'une prompte paix nous déterminèrent beaucoup plus que la conviction de nos moyens, à ratifier la convention du 25 juin dernier. Nous pressentions dès-lors que cet acte, plutôt exigé que négocié, deviendroit pour nous, dans le cas où la guerre seroit prolongée, d'une éxécution impossible; mais, en vous prouvant notre dévouement, nous comptions sur votre générosité. C'est ce sentiment que nous invoquons, en vous pressant de

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