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tude enfin qui convient le mieux à la raison humaine devant l'éblouissante majesté de l'être divin, c'est de se voiler la face, comme les Chérubins d'Isaïe, en criant: Sanctus, Sanctus, Sanctus!

C'est pour n'avoir pas compris cette impuissance de la raison humaine devant le divin que les hérétiques ont sacrifié l'une des données du problème, ceux-ci niant la liberté pour sauver la grâce ou la prescience, ceux-là niant la grâce pour sauver la liberté. Ce n'est pas là, notons-le bien, usage légitime de la raison, c'est abus; ce n'est pas sens vrai de la valeur et des forces de l'esprit humain, c'est présomption et fol orgueil. Car la raison même nous dit qu'il ne faut pas chercher à tout voir et à tout comprendre, quand il s'agit de Dieu; que vouloir expliquer le mystère, c'est le dénaturer; que l'infini divin ne saurait être enfermé dans les étroites limites de nos idées bornées; qu'il est sage d'adorer là où l'on ne voit pas, et qu'il ne faut jamais abandonner une vérité qu'on tient pour ne pas savoir l'accorder avec une autre vérité qu'on tient également.

VII

Ce n'est pas qu'il faille renoncer à nous rendre compte de ce que nous croyons. Au contraire, il y a une science de la foi. « Je crois pour comprendre comme Augustin ou Anselme, et comme eux « je m'efforce à comprendre ce que je crois ». Quoi de plus légitime, et quel plus noble usage de la raison? Il est vrai, je ne verrai pas tout; car « l'œil de l'homme, dit le vieil Aristote, est devant les choses divines comme l'oeil de la chouette devant le soleil ». Mais je verrai quelque chose, et Aristote disait encore qu' il est plus beau et plus doux d'en savoir

plus de force. S. Thomas lui a fait écho. On sait que les mystiques parlent de même.

quelque chose sur les choses les plus hautes que d'en savoir beaucoup sur des objets moins dignes et moins relevés ». C'est sous cette poussée de la nature et de la foi, c'est avec cette robuste confiance en la raison, qui s'allie à merveille avec une vue nette de ses limites et de ses

impuissances, que les Pères, que les Docteurs de l'Église, que les théologiens ont scruté curieusement les mystères divins, ne perdant rien de ce qu'ils pouvaient entendre, tournant et retournant les formules qu'ils avaient reçues pour trouver des aspects nouveaux, systématisant, faisant jaillir des vérités nouvelles du choc des vérités connues, éclairant la foi par la raison et fortifiant la raison par la foi. Là où la vérité certaine se dérobait, ils ont bâti des systèmes hardis et puissants, mêlés de faux le plus souvent, contradictoires parfois, faibles par endroit et inadéquats à la plénitude du mystère, mais en faisant d'ordinaire saillir quelques aspects avec un relief spécial, et contribuant, par leur variété même et leur opposition, à mieux saisir sous toutes ses faces la plénitude de la vérité révélée.

Nous ferons comme ces grands maîtres, dans la mesure du possible. Nous tâcherons de mieux comprendre ces grands problèmes qui nous touchent de si près. Là où nous n'aurons plus pour nous guider la clarté obscure de la foi, nous pourrons jeter un coup d'oeil, au moins de loin, sur les explications des docteurs et sur les systèmes des théologiens. Non pas tant pour prendre passionnément parti, que pour examiner la beauté des constructions, pour voir sous quel aspect le dogme s'y présente, pour suivre enfin le mouvement de la pensée chrétienne autour de ces grandes vérités.

Plus d'une fois, Dieu, dans l'Écriture, gourmande

l'homme de vouloir scruter les voies de Dieu et de s'attaquer à des questions qui dépassent ses faibles forces: Mes pensées ne sont pas vos pensées et mes voies ne sont

pas vos voies; autant il y a de distance entre le ciel et la terre, autant il y en a entre mes voies et vos voies, entre mes pensées et vos pensées; qui a sondé la pensée de Dieu et qui a été son conseiller? quel homme pourra savoir les desseins de Dieu, et qui pourra se rendre compte de ses volontés? Est-ce au vase de dire au potier: « Que fais-tu? Pourquoi m'as-tu fait ainsi? » L'Écriture est pleine de maximes semblables, et l'idée qui se dégage le plus nettement du livre de Job, c'est peut-être que l'homme ne comprend rien à la Providence divine, et que ceux-là s'en font une notion inexacte qui en jugent selon leurs courtes vues et les règles mesquines de la sagesse humaine. Mais Dieu ne défend pas une recherche humble et soumise, ni même une certaine curiosité filiale.

Garo est ridicule et impie de critiquer Dieu, et de vouloir réformer l'oeuvre divine. Le chien à qui on coupe les oreilles est sot de se plaindre et d'accuser son maître d'injustice et de cruauté: Mais il n'y a rien que de légitime, rien que de saint et de filial à étudier les voies de Dieu pour le louer de sa grandeur et de sa bonté. Les psaumes sont pleins de ces méditations priantes, et les saintes âmes se sont toujours plu à louer Dieu de sa Providence si bonne et si sage. Voir les desseins de Dieu, pénétrer les secrets de la politique divine et de son action dans le monde, ce sera une des plus douces occupations des Bienheureux dans le ciel. Pourquoi ne commencerions-nous pas, avec les lumières de la foi et de la raison, l'étude que nous ferons éternellement là-haut sans jamais épuiser la profondeur des conseils divins, que les anges, nous dit saint Pierre, ne se lassent pas de regarder? Jésus, parlant des desseins providentiels de Dieu, rendait grâce à son père de ce qu'il avait caché ces choses à l'orgueil des sages et des prudents, pour les révéler aux petits. Et c'est ce qui se voit tous les jours. Tandis que les orgueilleux ne comprennent rien aux voies

REVUE DE L'INSTITUT CATHOLIQUE, 1903. No 3.

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de Dieu et n'y trouvent que scandale, la foi simple et aimante entre comme de plain-pied dans les vues de Dieu : il semble qu'elle voit déjà, tant tout lui paraît convenable et digne de Dieu; et elle trouve jusque dans ce qui choque et scandalise des âmes moins dociles matière à louer la sagesse et la puissance et la bonté de Dieu. Ainsi fait la sainte Vierge dans le Magnificat, qui est, en même temps que l'extase de l'humilité, le cantique de la Providence de Dieu sur la Vierge dont il a regardé la petitesse, sur les superbes qu'il abaisse et les riches qu'il renvoie les mains vides tandis qu'il exalte les humbles et qu'il comble ceux qui n'ont rien, sur le peuple choisi enfin qu'il sauve miséricordieusement, fidèle à ses anciennes pro

messes.

C'est dans cet esprit de foi docile et filiale que nous poursuivrons notre étude. Nous n'aurons pas la clarté parfaite, et bien des questions se poseront dont nous devrons attendre la solution jusqu'au lever du jour éternel. Mais nous en verrons assez pour nous rendre compte qu'il n'y pas contre la Providence divine d'objection insoluble, et pour conclure en connaissance de cause que les voies de Dieu sur le monde sont, en même temps que des voies de puissance et de justice, des voies de sagesse et de bonté.

Pour assurer ce résultat, qu'il me soit permis de dédier ces leçons à la sainte Vierge. Nulle créature n'a pénétré plus avant dans les conseils divins, nulle n'en fait mieux resplendir en elle-même la sagesse et la grandiose bonté, nulle n'y a si merveilleusement correspondu, nulle n'a tant fait et ne fait tant encore pour qu'ils se réalisent pleinement. N'est-ce pas elle enfin que nous nommons Notre-Dame de la Providence?

J.-V. BAINVEL.

LETTRES INÉDITES DE XAVIER DE MAISTRE

Un très important dossier de lettres inédites de Xavier de Maistre ayant été mis à notre disposition par un de ses petits-neveux, nous y avons fait choix de celles qui jettent le plus de jour sur la vie, jusque là très peu connue, de l'auteur du Voyage, du Lépreux, de la Jeune Sibérienne et des Prisonniers du Caucase. Le Correspondant a donné le 10 et le 25 décembre 1902 la plus grande partie de ce recueil; mais il a semblé convenable d'en faire profiter aussi la Revue de l'Institut catholique. On a gardé pour elle, en particulier, deux lettres qui constituent de véritables documents sur l'histoire de la Russie et que nous allons reproduire d'abord. Nous y ajouterons quelques lettres plus courtes et d'un caractère privé, qui apportent leur contribution à la biographie de Xavier de Maistre.

I

On n'ignore pas que Xavier de Maistre arriva en Russie bien avant son frère et dès l'année 1800, qu'il s'y engagea comme officier, qu'il y épousa en 1812 une demoiselle d'honneur de l'impératrice, qu'il y resta plus de dix ans après le départ de Joseph, et que, s'il séjourna en Italie de 1826 à la fin de 1838 pour la santé de ses enfants, ce fut à Saint-Pétersbourg que, de 1839 à 1852, il acheva sa longue vie.

Il fut témoin de l'étrange révolte qui souleva les troupes de la capitale, le 26 décembre 1825, à la mort d'Alexandre Ier; et il nous en a laissé un récit qui, pour l'exactitude comme pour l'intérêt, nous semble tout à fait digne d'être publié. Rappelons que Constantin, l'aîné des frères du grand tsar, avait renoncé à la succession impériale en 1823 par un acte authentique, mais resté secret. Nicolas, celui de ses frères qui le remplaçait dans ses droits, n'en savait lui-même rien. A la mort d'Alexandre, Constantin, qui se trouvait à Varsovie, proclama empereur son frère Nicolas, tandis que celui-ci le faisait reconnaître à Pétersbourg. Il y eut là quelques jours d'étonnante confusion. Les sociétés secrètes ne résolurent rien moins que d'en tirer une Révolution.

Nous l'avons échappé belle, mon cher ami, écrit Xavier de

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