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MORALE LAIQUE ET MORALE RELIGIEUSE'

On ne parle partout, aujourd'hui, que de morale..... Pourquoi?

Il me semble qu'on pourrait répondre à cette question en en posant quelques autres.

Quand parle-t-on des fortifications d'une ville? - Quand elles deviennent branlantes.

Quand parle-t-on de la pluie et du beau temps? C'est dans les temps douteux.

Quand parle-t-on de la santé? -——- Quand on commence à se porter mal.

La morale publique et privée est dans le même cas. Si l'on en parle tant, c'est qu'on tremble pour elle, et ce sentiment d'insécurité tient à ce qu'on a voulu la détacher de l'idée religieuse, la livrer entièrement à l'arbitraire des opinions individuelles, la laïciser, en un mot.

Autrefois, la morale faisait corps avec l'idée religieuse, tout comme la vie sociale, et il en résultait une grande solidité pour ses principes, une efficacité certaine, quoique toujours restreinte, sur les masses. On obtenait malgré tout quelque chose du « bon gorille », comme dit Renan. C'est que l'idée religieuse s'incarnait, pour le catholique, dans une organisation sociale, possédant une autorité reconnue et dans une bonne mesure respectée. Il s'ensuivait cette conséquence qui ravissait Auguste Comte, c'est que le droit d'examen, toujours délicat à exercer en pareille

1. Conférence prononcée à l'Institut Catholique, le 14 janvier

matière, était maintenu « dans ses limites normales »; c'est qu'il y avait un gouvernement des consciences, comme il y avait un gouvernement des états »; c'est que la décision des problèmes fondamentaux de la vie humaine n'était pas livrée au caprice, mais confiée à un corps enseignant qui en faisait «< sa spécialité », et qui, indépendamment de l'autorité divine qu'il invoquait, présentait des garanties de science et d'impartialité qui n'étaient certes pas absolues, mais qu'on peut dire, à coup sûr, incomparables; c'est enfin que, grâce à ce « pouvoir spirituel », comme l'appelait lui-même Auguste Comte, tout l'Occident et même une partie de l'Orient étaient arrivés à posséder une « âme commune ». Et cela constituait une force immense, et cela formait, en politique, la Chrétienté, et en morale, ce qu'on appelait morale chrétienne.

Aujourd'hui, la chrétienté est morte, et la morale chrétienne, en tant que doctrine indiscutée, capable de nous donner une âme commune, on veut la faire mourir aussi.

Ce serait un irréparable malheur, je vous dirai pourquoi; mais en attendant, je constate que c'est là ce qui produit cette crise de la morale, dont tout le monde parle, mais dont tout le monde ne démêle pas les causes.

Ce que je voudrais faire avec vous, ce serait de débrouiller un peu cette question complexe; de voir comment juger la crise; quelle part peut être faite à la morale dite laïque, et quelle place il faut nous efforcer de conserverà défaut de la souveraineté d'autrefois à la morale religieuse.

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Seulement, dès le début, une distinction essentielle s'impose; car, faute de l'avoir faite, beaucoup de quiproquos sont nés, et quelques catholiques se sont attiré de justes reproches.

Il faut donc distinguer le rôle que peuvent avoir la religion et la pensée laïque dans la constitution de la morale comme science, et celui qui leur revient ou peut leur reve

nir dans l'adaptation de cette science aux besoins des àmes et aux réalités de la vie humaine. L'importance de cette distinction éclate, et nous voici donc en face d'une double question :

1o La constitution de la morale comme science est-elle solidaire de la pensée religieuse?

2o L'efficacité de la morale, une fois constituée comme science, peut-elle être assurée d'une façon un peu satisfaisante sans le secours de la religion?

C'est à préciser ces deux points de vue que je voudrais m'appliquer avec vous.

* **

Quand on parle de constituer la morale comme science, il faut bien définir, tout d'abord, quel est le point de départ qu'on adopte; car, une morale ne se suffit pas à ellemême; elle procède toujours d'un ensemble de conceptions plus générales qui lui imposent des conditions.

La morale, dans sa notion universelle, est l'ensemble des règles qui doivent diriger l'activité humaine. Or, l'activité humaine devrait se diriger de manières entièrement différentes, suivant qu'on ferait, au sujet de la condition humaine, telles ou telles hypothèses.

Si l'on supposait, par exemple, que l'homme est un <«< animal dévoyé », un « animal dépravé », qui n'a rien de mieux à faire que de rentrer au plus vite dans le rang dont il n'est sorti que pour son malheur, vous concevez que la morale construite sur cette hypothèse ne serait pas la même que celle de Platon, pour qui l'homme est une âme habitant dans son corps comme dans une prison.

De même, si l'on suppose, pour en venir de suite à ce qui nous intéresse, que l'homme n'est pas seul pour combiner sa vie; qu'il y a une parole de Dieu dans le monde; la Révélation est un fait, pourra-t-on établir la morale,

que

même comme science, sans tenir compte de ce fait? Ce serait une absurdité évidente. Ce serait comme si l'on voulait établir aujourd'hui l'astronomie sans tenir compte de la rotation de la terre. Un fait humain d'une importance pareille ne saurait être omis, quand il s'agit de régir l'homme. Toute la teneur de la révélation, en ce qui concerne la direction pratique, devra entrer, en ce cas, dans la science morale, et nous aurons comme morale vraie et complète, non pas une philosophie, mais une théologie morale.

Et c'est le fait des catholiques.

Le catholique n'a pas le droit de se croire moral s'il n'est pas religieux. Car, être moral, c'est suivre la loi de l'homme, et comment ne pas faire entrer dans la loi de l'homme une loi portée par le Créateur de l'homme et dûment promulguée à l'humanité?

La religion, pour le catholique, fait donc partie de la morale, et il ne saurait être pleinement honnête sans être pleinement religieux.

Toutefois, comme dans toute science il y a des chapitres; comme on peut toujours distinguer, au bénéfice de l'ordre ou de la division du travail, ce qui se rapporte à un ordre de considérations et ce qui se rapporte à un autre; comme on peut être philosophe, en un mot, et se comporter comme tel, tout en étant au fond théologien, il restera loisible au savant, même catholique, de mettre à part ce qui, en fait de direction de la vie, ne relève absolument que de la révélation, et ce qui, se trouvant en soi du ressort de la raison naturelle, ne reçoit de la révélation qu'une confirmation et un appui.

Il n'est pas besoin, par exemple, du Sinaï fumant, ni des tables de pierre, pour dire à l'homme : Tu ne tueras point. S'il écoute dans sa conscience, il y entendra ce précepte hautement formulé, et avec une autorité suffi

sante, que la parole divine ne fait que rappeler, en somme, puisqu'au fond, la conscience étant la voix de la nature, n'est autre que la voix de Dieu.

Or, il en est ainsi, avec plus ou moins d'évidence, de la plupart des préceptes moraux contenus dans la théologie catholique. Celle-ci les envisage au point de vue révélé ; mais elle n'en change pas pour autant l'essence naturelle, et si un philosophe écarte l'idée de révélation, soit qu'en réalité il n'y croie point, soit qu'il veuille simplement s'en abstraire au nom de sa méthode de travail, il n'en pourra pas moins constituer une morale, exclusivement appuyée sur des principes rationnels, et comprenant, en somme, sauf le culte, tout ce que l'homme doit faire.

Et que cela soit légitime, je n'ai pas besoin de l'affirmer autrement, puisque la science morale ainsi comprise est celle que j'enseigne.

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Mais là n'est pas la principale question.

La morale, en effet, étant une science pratique, le principal n'est pas de savoir si elle peut, à elle seule, se constituer comme science, le principal est de savoir si elle peut agir.

Nous en faisons, ici, de la science morale, et quelquesuns de vous peuvent en témoigner, nous y suivons une méthode rigoureusement et exclusivement scientifique. Tant que nous sommes dans la salle de cours, il ne s'agit aucunement, entre nous, de la révélation. Nous sommes philosophes, et nous parlons en philosophes. Mais, la leçon finie, chacun de nous se retrouve chrétien ou prêtre, et ce n'est pas uniquement la force des raisons inscrites dans les notes de cours qui actionne nos âmes.

Or, il s'agit de savoir si ceux qui n'ont que cela, qui n'ont que leurs notes de cours, s'ils suivent le haut ensei

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