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Est-il Dieu ? N'est-il qu'un homme? Vous voulez n'être qu'historien et critique? Mais vous ne pouvez caractériser ni Jésus ni son ouvre sans vous prononcer sur ce point, vous ne pouvez le juger sans préjuger cette question capitale. Vous n'êtes qu'un curieux vulgaire ou un dilettante? Votre curiosité, grossière ou raffinée, ne sera pas satisfaite sans cette réponse. Philosophe ou psychologue, comment expliquer Jésus, comment essayer de comprendre sa psychologie, si vous ne savez ce qu'il est et ce qu'il a prétendu être? Artiste ou poète, vous prétendez sans doute traduire une âme, un caractère, le fond mystérieux des choses? Et donc pour vous aussi l'inévitable question se pose. Nul ne peut s'en désintéresser, qui veut savoir quelque chose sur lui; nul ne peut en faire abstraction, qui prétend dire sur lui quelque chose qui vaille.

Et c'est là, quand on y pense, un fait étrange, unique, une de ces singularités que nous rencontrerons à chaque pas dans notre étude de Jésus. Il n'est pas un autre personnage historique à propos de qui la même question se pose sérieusement. On peut essayer le départ entre l'histoire et la légende dans la vie du Bouddha ou de Confucius; on peut se demander si Socrate croyait à son démon familier, et quel était l'état mental de Mahomet. Mais la question qui s'impose à propos de Jésus ne saurait même se poser à propos de nul autre.

Cette question, grâce à Dieu, n'en est pas une pour nous. Comme saint Paul « nous vivons en la foi au fils de Dieu », et comme saint Pierre, nous lui redisons sans cesse par nos paroles et par nos actes: « Vous êtes le Christ, fils du Dieu vivant ». C'est en croyants que nous étudierons Jésus, et la lumière de la foi éclairant notre route, nous ne comprendrons pas tout, mais nous saurons où nous allons, et nous aurons le mot de la grande énigme. Loin d'être un obstacle à l'étude de Jésus, la foi seule donne le mot qui explique tout, fournit la lumière qui

REVUE DE L'INSTITUT CATHOLIQUE, 1902. — No 1.

éclaire tout. Qu'on veuille étudier Jésus en historien ou en philosophe, en savant ou en poète, on le comprend toujours mieux quand on l'étudie en croyant.

VI

Mais quel sera l'objet précis de notre étude, quel en sera le caractère? Nous n'étudierons pas tout Jésus. On n'y saurait songer en dix leçons. Un autre professeur, dans une autre série, s'occupera plus directement du Christ. comme personne divino-humaine et comme centre du monde mystique et moral. Nous, nous le suivrons cette année dans sa vie terrestre, nous le considérerons dans les mystères de son existence mortelle. Mais ici encore, nous aurons à nous borner. Nous ne raconterons pas l'histoire de Jésus. Le temps nous manquerait, et nous ne saurions entrer dans cette voie sans changer le but immédiat et le caractère propre de ce cours. Je ne puis donc, à cet égard, que vous renvoyer à quelqu'une des vies de Jésus qui sont indiquées à la bibliographie, que vous renvoyer surtout à l'Évangile même. Ne faut-il pas que tout catholique ait l'Évangile et le sache; qu'il l'ait par conséquent, non dans un écrin d'où il ne sorte jamais, mais comme le livre de chevet qu'on lit et qu'on relit sans cesse? Quant à ce cours, il doit être entendu que ce ne sera pas une œuvre historique.

Ce ne sera pas non plus une œuvre de piété. Tandis que les poètes et les artistes suivent Jésus à la trace pour saisir, si c'est possible, cette divine physionomie et la reproduire ensuite, les âmes chrétiennes (nous entendions tout à l'heure Lacordaire nous le dire en paroles enflammées) ont toujours aimé à le contempler dans les différentes phases de sa vie pour le mieux connaître, le mieux aimer, le mieux reproduire en elles comme le modèle idéal du chrétien: étude qui part de la foi et de l'amour,

étude qui tend à l'amour et à la transformation de tout soi-même en Jésus. Les âmes chrétiennes ont toujours fait cela, depuis la Vierge Marie et depuis Madeleine jusqu'à saint Augustin ou saint Anselme; depuis saint François d'Assise et saint Bonaventure jusqu'à saint François de Sales ou Marguerite-Marie; depuis saint Ignace, qui a écrit en quelques mots simples et clairs la théorie de cette étude amoureuse de Jésus et en a montré la pratique, jusqu'à la foule sans nombre de ceux qui, suivant ses indications, contemplent Jésus et font de cette contemplation la vie de leur vie spirituelle. Notre but n'est pas si haut. Nous restons dans la spéculation. Nous ne voulons ici que nous instruire pour fortifier notre foi en l'éclairant.

Cette même étude spéculative peut se faire avec une intention apologétique. Dans ce cas, on démontre l'autorité humaine des Évangiles, comme on ferait de Thucydide ou de Tacite, et l'on montre Jésus tel que l'Évangile nous le présente, pour conclure que sa mission est divine; divine, par conséquent, la religion fondée par lui, et inébranlables les fondements de notre foi.

Dans ce cours, nous ne ferons pas d'apologétique proprement dite. Notre but n'est pas la démonstration chrétienne. Nous croyons à Jésus. Nous voulons éclairer notre foi pour l'affermir, pour la défendre au besoin. Nous le savons d'ailleurs, dès qu'on connaît Jésus, on croit en lui; et plus on le connaît, plus on y croit et plus on l'aime. La foi et l'amour jaillissent comme naturellement d'une étude

sérieuse.

Que sera donc exactement notre étude? Ce sera une étude théologique des faits. Nous supposons les faits connus; nous les regardons comme acquis et nous tâcherons de les comprendre, de nous les expliquer, en quelque façon; nous nous demanderons le pourquoi et le comment des choses. Ainsi, nous croyons à l'Incarnation,

au mystère du Dieu fait homme; nous chercherons humblement pourquoi Dieu a voulu l'Incarnation, s'il l'aurait voulue au cas où Adam n'aurait pas péché, si et jusqu'où elle était nécessaire dans l'hypothèse de la chute et de la réparation. L'Évangile nous montre Jésus tenté : que peut être la tentation pour Jésus, et pourquoi a-t-il voulu être tenté? Jésus priant: que pouvait être la prière de Jésus, et dans quelles limites était-il sûr d'être exaucé? Jésus progressant comment le progrès était-il compatible avec les infinies perfections de Jésus, et en quoi pouvait consister ce progrès? Jésus souffrant : comment Jésus pouvaitil souffrir puisqu'il jouissait de la vision béatifique, incompatible en apparence avec la douleur; et comment Dieu a-t-il pu permettre ou vouloir que son Fils bien-aimé passât, comme il l'a fait, par toutes les humiliations et par toutes les tortures? Ainsi les problèmes théologiques se dressent à chaque pas de la vie de Jésus, problème de sa science, problème de sa liberté inconciliable en apparence avec sa science et sa sainteté, etc.

Nous ne pourrons les examiner tous. Mais nous tâcherons de prendre une vue d'ensemble du sujet, et nous isolerons quelques points spéciaux pour les étudier plus à loisir. Ainsi, admettant les faits, nous essayerons de les comprendre et de les expliquer.

Ce procédé est-il légitime? Évidemment oui. Avec des croyants, la chose va de soi. Nous savons par ailleurs la réalité des faits, et nous avons les preuves que Jésus est Dieu. Nous n'avons plus à acquérir ce qui est acquis. Tout revient, pour nous, à nous instruire, à mieux comprendre et mieux nous rendre compte. Même aux yeux des incroyants, ce procédé est légitime et il est utile. Légitime, car on ne leur demande qu'un assentiment provisoire et conditionnel, en attendant qu'on leur ait prouvé, soit par la critique historique ou philosophique, soit par le spectacle de l'Église portant au front la marque du

miracle, la réalité des faits que nous tâchons d'expliquer. Utile, car combien jugent de Jésus sans le connaître et sans le comprendre? Après un coup d'œil rapide, où ils voient des choses qui leur déplaisent, ils condamnent sans appel. Qu'ils instruisent au moins la cause avant dé prononcer.

Jules Lemaître, En marge des Évangiles, nous représente un bourgeois romain, Mucius Nasica, en face des principaux faits évangéliques. Tout le choque, tout lui déplaît. Il voit l'enfant au temple, et il le trouve bien prétentieux; il entend quelques-unes de ses paroles, et il le trouve bien relâché. Ame vulgaire, intelligence bornée et suffisante, Mucius Nasica ne comprend rien au Maître, ni à sa conduite, ni à sa doctrine... Longtemps après seulement, en voyant les premiers bienfaits de l'Église chrétienne, mûri aussi par l'expérience, moins satisfait de lui-même et de ses lumières, il commence à soupçonner qu'il y a là quelque chose qu'il n'avait pas entrevu jusque-là. C'est alors qu'il est conduit à saint Jean, et l'apôtre conclut ainsi ses explications : « Enfin s'il reste dans la vie du Sauveur des choses qui vous embarrassent, vous les comprendrez à mesure que vous aurez le cœur plus pur et la volonté meilleure. Et si vous ne pouvez tout éclaircir, vous vous souviendrez à propos que Jésus est le fils de Dieu, et vous adorerez le mystère1. » C'est là en effet qu'il faut toujours en revenir étudier Jésus avec un cœur de plus en plus pur, avec une volonté tous les jours meilleure, et puis se souvenir que Jésus est le Fils de Dieu et adorer humblement le mystère.

A personne d'ailleurs, ni aux incrédules ni aux croyants, le théologien ne prétend tout expliquer, ni dire le dernier mot qui répond à toutes les questions, qui dissipe toutes les obscurités. C'est notre condition ici-bas de marcher

1. Opinions à répandre, p. 363. Paris, 1901.

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