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mains, les poètes cependant beaucoup moins que les artistes. Jusqu'à ces dernières années, les pièces sur Notre-Seigneur sont rares chez nos poètes, et la plupart sonnent faux. Vigny et Mme Ackermann n'ont trouvé dans l'agonie de Jésus et dans sa passion qu'un thème à leur pessimisme blasphématoire. Leconte de Lisle, dans ses Poèmes barbares, a décrit Jésus en croix comme s'il eût décalqué un tableau :

Le troisième, une ouverture au flanc,
Attaché par trois clous à son gibet sanglant,

Ceint de
les
par
ronces, meurtri
de lanières,
coups
Reposait, au sortir des angoisses dernières,
Allongeant ses bras morts et ployant les genoux.
Il était jeune et beau, sa tête aux cheveux roux
Dormait paisiblement sur l'épaule inclinée,
Et, d'un mystérieux sourire illuminée,

Sans regret, sans orgueil, sans trouble et sans effort,
Semblait se réjouir dans l'opprobre et la mort'.

Le poète ne s'est pas contenté de décrire. Pour une fois, il est sorti de son impassible objectivité pour nous dire ce qu'il pensait de Jésus :

Certes, de quelque nom que la terre le nomme,
Celui-là n'était point uniquement un homme.

La raison qu'il en donne est faible et d'une poésie bien nuageuse. Il conclut :

Et je le contemplais, n'ayant rien vu de tel,
Parmi les rois au trône et les dieux sur l'autel.

Cela n'est pas d'une foi bien ferme. Encore est-il qu'il y a là un effort qui dépasse le monde où se meut d'ordinaire Leconte de Lisle.

De nos jours, enfin, Jésus et l'Évangile sont tombés dans le domaine de la poésie, et je ne sais s'il faut s'en

1. Poèmes barbares, Le Corbeau, p. 277.

réjouir ou s'en plaindre. Il faudrait s'en réjouir, si l'on y mettait le tact, la foi pieuse, le respectueux amour de nos poètes des temps de foi, ou de ceux qui de nos jours font revivre dans un coin de la Bavière les Passions du moyen âge. Mais, vous le savez mieux que moi, le Jésus que l'on voit sur nos théâtres n'est pas le Jésus de l'Évangile : c'est un Jésus bien humain et bien profane, quand ce n'est pas Jésus profane exprès. Le divin s'est évaporé : les noms seuls et les situations extérieures rappellent encore la

vérité.

1

Ce que je dis des poètes, je pourrais le dire des peintres. Ce n'est pas avec de la couleur locale, ni avec des types juifs, ni avec des costumes arabes que l'on nous donnera le vrai Jésus, vivant et réel, et les plus fins connaisseurs sont les premiers à reconnaître que l'exactitude du détail matériel et réaliste est moins exacte au fond que ces figures idéales qui semblaient éclairées d'un rayon d'en haut.

Parmi ceux qui s'essayent ainsi à nous reproduire Jésus, plus d'un est croyant; mais combien peu ont su incarner leur foi dans leurs créations d'artistes! Quelques-uns y ont réussi cependant. J'en veux donner deux exemples bien différents, l'un de Veuillot et l'autre de Verlaine.

Veuillot, quoique moins poète en vers qu'en prose, a su rendre en belles strophes l'impression que Jésus a dû produire sur Pilate dans les scènes de la Passion. La pièce a pour titre Les Pensées de Pilate. En voici un passage :

On dirait qu'il le veut, et que son âme pure
Par un secret amour cherche cette torture,

La croix, l'horrible croix pour sauver des ingrats...
Ah! cet homme est plus grand que le juste d'Horace!
Quand on le flagellait, son regard faisait grâce;
Innocent, il subit le sort des scélérats.

Il ne m'a point bravé, je ne l'ai pas vu craindre.
Trahi par ceux qu'il aime, il ne veut point se plaindre;

Moins qu'esclave, plus qu'homme, il semblait en ce lieu
Lui-même à ses bourreaux sur lui donner empire,
Et si je comprenais un Dieu qu'on pût proscrire,
Dans ce supplicié j'aurais cru voir un Dieu.

Quand je le menaçais, de quel regard suprême,
Triste, sans aucun trouble, il me troubla moi-même !
Doux et profond regard d'ami compatissant:
Comme s'il m'avait plaint, dans cette scène infâme,
De n'oser être juste et d'avilir mon âme...
J'aurais dû le sauver... '

Verlaine est plus direct, si je puis dire, et plus personnel. De cette série de sonnets où, dans Sagesse, Jésus et l'âme dialoguent en termes qui rappellent l'Imitation, je veux détacher quelques vers:

Mon Dieu m'a dit : « Mon fils, il faut m'aimer. Tu vois
Mon flanc percé, mon coeur qui rayonne et qui saigne,
Et mes pieds offensés que Madeleine baigne

De larmes, et mes bras douloureux sous le poids
De tes péchés, et mes mains! Et tu vois la croix,
Tu vois les clous, le fiel, l'éponge, et tout t'enseigne
A n'aimer, en ce monde où la chair règne,

Que ma Chair et mon Sang, ma parole et ma voix.
Ne t'ai-je pas aimé jusqu'à la mort moi-même,
O mon frère en mon Père, ô mon fils en l'Esprit,
Et n'ai-je pas souffert, comme c'était écrit ?
N'ai-je pas sangloté ton angoisse suprême,
Et n'ai-je pas sué la sueur de tes nuits,
Lamentable ami qui me cherches où je suis? »
J'ai répondu « Seigneur, vous avez dit mon âme.
C'est vrai que je vous cherche et ne vous trouve pas,
Mais vous aimer ! Voyez comme je suis en bas,
Vous dont l'amour toujours monte comme la flamme,
Vous, la source de paix que toute soif réclame,
Hélas! voyez un peu tous mes tristes combats!
Oserai-je adorer la trace de vos pas?...

Seigneur, j'ai peur. Mon âme en moi tressaille toute.

1. L. Veuillot. Satires, 1, 4, p. 198-9, Paris 1863.

Je vois, je sens qu'il faut vous aimer. Mais comment
Moi, ceci, me ferais-je, ô mon Dieu, votre amant?...
Et je vous dis De vous à moi quelle est la route1? »

Enfin on peut étudier Jésus en chercheur, de bonne volonté, qui ne sait pas encore, mais qui veut sincèrement s'éclairer. La recherche peut être longue, mais si elle est sincère, si la bonne volonté ne manque pas, ne se lasse pas, ne se laisse pas égarer par le préjugé, si elle est, comme elle doit l'être, active, humble et priante, elle est sûre de trouver. C'est Jésus qui l'a dit : « Cherchez et vous trouverez ». Cette bonne volonté elle-même, cette recherche humble et confiante, est déjà un don de Dieu, indice que Jésus est proche. « Tu ne me chercherais pas, l'entendit dire Pascal, si tu ne m'avais trouvé. » Celui qui donne la bonne volonté ne saurait manquer à la bonne volonté. Ils sont nombreux déjà ceux qui étudient ainsi Jésus, et ils le deviennent tous les jours davantage. Après avoir essayé de tout, essayé de la science, essayé de la philosophie, essayé du scepticisme, et avoir trouvé le vide de tout, ils en viennent à se demander si la voie, la vérité, la vie ne serait pas là d'où ils sont follement partis, ne serait pas le Jésus de leur enfance.

Mais plusieurs cherchent mal. Quelques-uns ne cherchent pas, ils attendent; il leur faudrait, comme le demandait Maxime du Camp, une grâce qui les terrassât, une lumière qui les éblouît un nouveau chemin de Damas pour de nouveaux Pauls. Il est probable que Dieu ne fera pas un miracle pour eux.

D'autres cherchent vraiment; mais ils ne cherchent pas comme il faut. Ceux-ci veulent la certitude mathématique en matière religieuse et morale, comme si le beau ou le bien se démontrait par a plus b; ceux-là ne veulent rien devoir qu'à eux-mêmes, comme si la grande loi de la soli

1. Sagesse, 3o édit. II, 5, p. 72-77.

darité humaine ne pénétrait pas le monde moral et religieux, comme elle pénètre le monde des intérêts matériels et le monde de la science; comme si chaque homme pouvait refaire à lui seul tout le travail de l'humanité présente et passée. Nombreuses sont les causes qui arrêtent en route les chercheurs, même sincères, de la vérité religieuse. Et je ne saurais les énumérer toutes. Je constate seulement que beaucoup cherchent encore ou croient avoir à chercher qui déjà ont trouvé. Ils ont la foi, et ils font comme s'ils ne l'avaient pas, soit qu'ils croient, en effet, ne l'avoir pas, soit qu'ils trouvent un secret plaisir d'orgueil à se poser comme s'ils ne l'avaient pas. Combien, par cette attitude imprudente, ont laissé perdre la foi qu'ils possédaient!

Est-ce donc que la recherche est défendue au croyant? La recherche qui doute, la recherche oublieuse du trésor déjà possédé pour tâcher de le trouver au loin par des voies périlleuses, oui. Il n'y a pas à chercher, disait Tertullien, quand on possède; il n'y a pas, comme disait Ollé-Laprune, pour y voir plus clair, à commencer par éteindre toute clarté. Que le croyant garde sa foi; mais qu'il cherche à l'éclairer et à la fortifier; qu'il n'oublie pas ce qu'il sait; mais, convaincu que ce qu'il sait n'est rien auprès de ce qu'il devrait savoir, qu'il cherche à en savoir toujours plus. Le mystère de Jésus a des profondeurs que les Anges eux-mêmes, nous dit saint Pierre, n'auront jamais fini de sonder. Cherchons et nous trouverons.

Insister davantage sur ces considérations serait peut-être nous exposer à perdre de vue notre sujet. Arrivons à la conclusion où nous amène notre analyse des différentes manières d'étudier Jésus.

V

Qu'on le veuille ou non, on ne peut se trouver en face de Jésus sans qu'aussitôt se pose une question formidable :

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