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A PROPOS DE LA QUESTION DU SUAIRE

A l'heure où j'écris ces lignes, sept mois environ se sont écoulés depuis que la communication de M. Yves Delage à l'Académie des sciences et le livre de M. Paul Vignon ont renouvelé la question du suaire de Turin.

On se rappelle quelle curiosité manifesta le public, et quelles vives polémiques s'échangèrent. Elles ne sont pas terminées. Mais il est intéressant de les caractériser. D'ailleurs, tant d'attaques et de réponses ont précisé le problème avec rigueur et elles nous aident à le poser.

Deux circonstances les ont immédiatement influencées. Tout d'abord, au mois d'avril dernier, la question était loin d'être neuve. Mais l'authenticité du suaire avait été jusque là combattue ou fondée principalement par les arguments de l'histoire. Personne ne doute que sur ce terrain l'authenticité ne peut être établie, ni par conséquent défendue, Mais les historiens qui avaient le plus raisonnablement du monde pris parti contre le suaire, considéré comme pièce historique, se trouvaient automatiquement amenés à une attitude défensive, hostile aux constatations de M. Vignon. Quoique les partis n'aient aucun caractère confessionnel, et se composent d'éléments fort mêlés, les contradicteurs de M. Vignon reçurent un compromettant et scandaleux appui des passions antireligieuses. Tel savant qui s'était d'abord montré convaincu, crut devoir retirer une adhésion qui aurait paru donnée à Jésus de Nazareth. La Lanterne retentit d'érudition et d'invectives.

Le ton des polémiques est remarquable. La campagne fut menée avec frénésie par des hommes que l'on croyait

qui participaient de la sérénité de la science. Les meilleurs ont un ton de confiance et de jactance, une sûreté hautaine de négation. La plupart, quand un fait les gêne, se contentent de se taire ou d'affirmer la supercherie. Ils ont trop peu de scrupule à faire dire à l'adversaire ce qu'il n'a pas dit, et à se boucher les oreilles pour ne pas entendre ses réponses. Chez d'autres les insinuations se transforment en assez basses injures.

L'Académie des Sciences garda une contenance prudente. Pour l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, l'affaire était déjà jugée. Elle avait, avant l'apparition du livre de M. Vignon, attribué à M. le chanoine Chevalier un prix de mille francs, que celui-ci a maintes fois rappelé. En présence des faits nouveaux, elle ne se déjugea point. Elle se borna néanmoins à des manifestations indirectes. Rome, où il n'y eut d'ailleurs (je le crois du moins) d'examen approfondi que d'un ouvrage antérieur et tout à fait inconsidéré du Père S. Solaro, se montra particulièrement préoccupée de ne pas inquiéter la dévotion des fidèles.

I

Une question préjudicielle s'est posée. Les documents sur lesquels a travaillé M. Vignon sont-ils exacts? Les photographies que M. Pia a faites en 1898 de la toile de Turin sont-elles correctes et sincères ?

On sait que plusieurs objections ont été soulevées. Elles se divisent en deux catégories les unes reposaient sur des hypothèses fausses', les autres sur des hypothèses gratuites 2. Elles sont d'ailleurs toutes réduites à néant par un seul fait c'est que l'oeil humain voit

1. Photographie par transparence, renversement des valeurs par l'inertie photogénique de certaines couleurs.

2. Surexposition.

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réellement les empreintes du suaire comme l'objectif de M. Pia les a vues et traduites, c'est-à-dire en négatif. De cela nous avons deux sortes de témoignages. Un témoignage graphique les copies existantes du suaire; ces copies contiennent des contresens, naturels en un temps où l'on ne savait pas interpréter un négatif; mais leur intention est nette et suggère exactement le modèle, tel que M. Pia l'a reproduit. Un témoignage écrit: les relations de ceux qui ont vu le suaire et particulièrement la description détaillée qu'en ont faite les Clarisses qui l'ont réparé en 1534. Cette relation nous est parvenue dans une copie du xvIIe siècle. En admettant même qu'elle ne soit pas authentique, elle est certainement de quelqu'un qui a vu le suaire, et qui l'a même examiné soigneusement. Cette relation indique nettement le modelé négatif de la face. « Les sourcils paraissaient bien formés; les un peu moins; le nez, comme la partie la plus éminente du visage, est bien imprimée.

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yeux

Parmi les hypothèses qui ont été faites pour expliquer comment les photographies de M. Pia donnent un modelé interverti, une seule est vraiment ingénieuse; elle est due à M. de Mély. Il suppose que dans l'image qui se trouve sur le suaire de Turin, les lumières sont indiquées par un rouge plus clair que le fond. Cette image est donc positive. Seulement comme en photographie le rouge vient en noir, ces lumières rouges deviennent des ombres sur le cliché, et l'échelle des valeurs se trouve renversée.

Cette hypothèse qui souffre d'ailleurs certaines difficultés, a actuellement le défaut d'être fondée tout entière sur un postulat; à savoir que les taches rouges sont plus claires que le fond

1. C'est ce qui existe sur l'illustration en couleurs qu'il publie dans son livre. Cf., contra, son propre témoignage ap. L. de Meurville, Correspondant, 10 mai 1902, pp. 549 et 550.

Ce postulat suppose lui-même que tous les témoins ont commis une erreur dans l'appréciation des valeurs, non seulement les modernes, mais les anciens, qui en prenant les taches rouges pour du sang, nous disent implicitement qu'elles sont plus obscures que le fond. Il y a donc de fortes raisons de repousser cette hypothèse. Elle est néanmoins de celles qui font désirer un examen direct du drap.

Cet examen direct réglerait aussi la question du croisement des mains, qui d'ailleurs ne paraît pas douteuse 1.

Une deuxième question préjudicielle se pose: la toile elle-même n'a-t-elle pas été altérée par la suite des temps? L'image qu'elle porte ne se serait-elle pas négativée, par exemple à la suite de l'incendie de 1532? — M. Vignon a facilement répondu que l'intervention des valeurs supposait la présence et l'altération d'un blanc à base de plomb, lequel ne peut pas exister sans donner à l'étoffe une certaine rigidité que l'étoffe de Turin n'a point; et que d'ailleurs ce blanc en s'altérant ne pourrait que noircir et non pas prendre la teinte rouge qui est celle du suaire.

Mais l'image n'a-t-elle pas été totalement transformée par l'épreuve de l'huile bouillante qu'elle a subie en 1503? Cette épreuve nous est rapportée par un témoin qu'on peut supposer oculaire, Antoine de Lalaing 2. Pour éprouver si c'était bien le vrai linceul, dit-il, « on l'a boulit en huille, bouté en feu, et buet par plusieurs fois. » Texte tout à fait propre à faire rêver, s'il mérite créance. Car enfin, si les épreuves ont été sincères, c'est un miracle que demandaient les assistants et qui devait seul affirmer.

1. C'est bien la droite qui est croisée sur la gauche. Cf. la miniature de Giulio Clovio, et la copie du suaire, aquarelle de Chambéry (Vignon, p. 151). - Quant aux Clarisses, elles disent la main gauche, mais elles voient aussi à gauche la goutte de sang du front, que nous voyons sur le sourcil à droite. Elles intervertissent les termes dans tout leur témoignage.

2. Il ne dit pas formellement qu'il ait assisté aux épreuves.

l'authenticité du linceul. Comme nous ne pouvons guère penser qu'ils l'aient obtenu, et comme cependant le linceul a survécu, nous sommes bien obligés de croire qu'il y eut une part de cérémonie et de simulation. Alors nous sommes de nouveau dans l'inconnu, et nous ignorons complètement ce qu'a été l'épreuve. Il est certain que le linceul n'en a pas été assez transformé pour que la foi d'Antoine de Lalaing en ait souffert. Il semble au contraire relater que le résultat n'a pas été sensible. D'ailleurs a-t-on opéré sur la totalité du linceul? Plus on presse ce texte, et plus on le trouve rempli d'invraisemblances.

II

Nous devons considérer les clichés de M. Pia comme corrects, et nous devons raisonner sur la toile de Turin comme si elle était semblable à elle-même depuis le XIVe siècle.

Ceci posé, tout le monde accorde que les images qu'on nous en montre sont des négatifs..

C'est de ces négatifs que M. Vignon a donné une explication.

II

Il y a dans son livre trois choses :

1o Une étude intrinsèque des images, qui élimine la possibilité de les considérer comme l'œuvre d'un peintre.

2o Une hypothèse sur leur origine; elles seraient dues à l'action de vapeurs ammoniacales sur une toile enduite d'aloès; ces vapeurs ammoniacales proviendraient de la décomposition de l'urée, qui se trouve en abondance dans. la sueur fébrile.

3o Une concordance entre l'histoire du corps qui a été placé dans ce linceul, et celle du corps du Christ.

L'étude intrinsèque qu'il a faite des images reste jusqu'à présent absolument entière. Elle montre que ces images sont exactement ce qu'elles devraient être si, un corps

REVUE DE L'INSTITUT CATHOLIQUE, 1902. No 5.

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