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DU

CARDINAL DE RETZ,

ÉCRITS PAR LUI-MÊME

A MADAME DE ***.

LIVRE PREMIER (1).

MADAME, quelque répugnance que je puisse`avoir à vous donner l'histoire de ma vie, qui a été agitée de tant d'aventures différentes, néanmoins, comme vous me l'avez commandé, je vous obéis, même aux dépens de ma réputation. Le caprice de la fortune m'a fait honneur de beaucoup de fautes, et je doute qu'il soit judicieux de lever le voile qui en cache une partie. Je vais cependant vous instruire nuement et sans détour des plus petites particularités, depuis le moment que j'ai commencé à connoître mon état ; et je ne vous célerai aucune des démarches que j'ai faites en tous les temps de ma vie. Je vous supplie très-humblement de ne pas être surprise de trouver si peu d'art et au contraire tant de désordre dans ma narration, et de considérer que si, en récitant les diverses parties

(1) Nous avons cru devoir conserver quelques notes des anciennes éditions. On les reconnoîtra par les lettres initiales A. E.

qui la composent, j'interromps quelquefois le fil de l'histoire, néanmoins je ne vous dirai rien qu'avec toute la sincérité que demande l'estime que je sens pour vous. Je mets mon nom à la tête de cet ouvrage, pour m'obliger davantage moi-même à ne diminuer et à ne grossir en rien la vérité. La fausse gloire et la fausse modestie sont les deux écueils que la plupart de ceux qui ont écrit leur propre vie n'ont pu éviter. Le président de Thou l'a fait avec succès dans le dernier siècle ; et dans l'antiquité César n'y a pas échoué. Vous me faites sans doute la justice d'être persuadée que je n'alléguerois pas ces grands noms sur un sujet qui me regarde, si la sincérité n'étoit une vertu dans laquelle il est permis et même commandé de s'égaler

aux héros.

Je sors d'une maison illustre en France, et ancienne en Italie. Le jour de ma naissance, on prit un esturgeon monstrueux dans une petite rivière qui passe sur la terre de Montmirel en Brie, où ma mère accoucha de moi. Comme je ne m'estime pas assez pour me croire un homme à augure, je ne rapporterois pas cette circonstance, si les libelles qui ont depuis été faits contre moi, et qui en ont parlé comme d'un prétendu présage de l'agitation dont ils ont voulu me faire l'auteur, ne me donnoient lieu de craindre qu'il n'y eût de l'affectation à l'omettre.

Je le communiquai à Artichi, frère de la comtesse de Maure, et je le priai de se servir de moi la première fois qu'il tireroit l'épée. Il la tiroit souvent, et je n'attendis pas long-temps. Il me pria d'appeler pour lui Melbeville, enseigne-colonel des gardes, qui se ser

vit de Bassompierre, celui qui est mort, avec beaucoup de réputation, major général de båtaille dans l'armée de l'Empire. Nous nous battîmes à l'épée et au pistolet, derrière les Minimes du bois de Vincennes. Je blessai Bassompierre d'un coup d'épée dans la cuisse, et d'un coup de pistolet dans le bras. Il ne laissa pas de me désarmer, parce qu'il passa sur moi, et qu'il étoit plus âgé et plus fort. Nous allâmes séparer nos amis, qui étoient tous deux fort blessés. Ce combat fit assez de bruit, mais il ne produisit pas l'effet que j'attendois. Le procureur général commença des poursuites; mais il les discontinua, à la prière de nos proches et ainsi je demeurai là, avec ma soutane et un duel.

La mère s'en aperçut; elle avertit mon père, et l'on me ramena à Paris assez brusquement. Il ne tint pas à moi de me consoler de son absence avec madame Du Châtelet: mais comme elle étoit engagée avec le comte d'Harcourt, elle me traita d'écolier, et elle me joua même assez publiquement sous ce titre, en présence de M. le comte d'Harcourt. Je m'en pris à lui; je lui fis un appel à la comédie. Nous nous battîmes le lendemain au matin, au-delà du faubourg SaintMarcel. Il passa sur moi, après m'avoir donné un coup d'épée qui ne faisoit qu'effleurer l'estomac. II me porta par terre; et il eût eu infailliblement tout l'avantage, si son épée ne lui fût tombée de la main en nous colletant. Je voulus raccourcir la mienne pour lui en donner dans les reins: mais comme il étoit beaucoup plus fort et plus âgé que moi, il me tenoit le bras si serré sous lui que je ne pus exécuter mon

dessein. Nous demeurions ainsi sans nous pouvoir faire de mal, quand il me dit : « Levons-nous, il n'est << pas honnête de se gourmer. Vous êtes un joli gar« çon, je vous estime, et je ne fais aucune difficulté, << dans l'état où nous sommes, de dire que je ne vous «< ai donné aucun sujet de me quereller. » Nous convînmes de dire au marquis de Poissy, qui étoit son neveu et mon ami, comment le combat s'étoit passé; mais de le tenir secret à l'égard du monde, à la considération de madame Du Châtelet. Ce n'étoit pas mon compte : mais quel moyen honnête de le refuser? On ne parla que peu de cette affaire, et encore fut-ce par l'indiscrétion de Noirmoutier, qui, l'ayant apprise du marquis de Poissy, la mit un peu dans le monde: mais enfin il n'y eut point de procédures, et je demeurai encore là, avec ma soutane et deux duels.

Permettez-moi, je vous supplie, de faire un peu de réflexion sur la nature de l'esprit de l'homme. Je ne 'crois pas qu'il y eût au monde un meilleur cœur que celui de mon père (1), et je puis dire que sa trempe étoit celle de la vertu. Cependant et ces duels et ces galanteries ne l'empêchèrent pas de faire tous ses efforts pour attacher à l'Eglise l'ame peut-être la moins ecclésiastique qui fût dans l'univers. La prédilection pour son aîné, et la vue de l'archevêché de Paris, qui étoit dans sa maison, produisirent cet effet. Il ne le crut pas, et ne le sentit pas lui-même. Je jurerois

(1) De mon père : Philippe-Emmanuel de Gondy. Il fut général des galères, et acquit quelque gloire, soit en combattant les Barbaresques, soit dans une expédition contre les Rochellois. Ayant perdu son épouse en 1625, il se retira dans la maison de Saint-Magloire, et se fit oratorien. Il embrassa depuis assez vivement la cause des jansénistes.

même qu'il eût lui-même juré, dans le plus intérieur de son cœur, qu'il n'avoit en cela d'autre mouvement que celui qui lui étoit inspiré par l'appréhension des périls auxquels la profession contraire exposeroit mon ame: tant il est vrai qu'il n'y a rien qui soit si sujet à l'illusion que la piété. Toutes sortes d'erreurs se glissent et se cachent sous son voile : elle consacre toutes sortes d'imaginations; et la meilleure intention ne suffit pas pour y faire éviter les travers. Enfin, après tout ce que je viens de vous raconter, je demeurai homme d'Eglise; mais ce n'eût pas été assurément pour long-temps, sans un incident dont je vais vous rendre compte.

M. le duc de Retz, aîné de notre maison, rompit dans ce temps-là, par le commandement du Roi, le traité de mariage qui avoit été accordé quelques années auparavant entre M. le duc de Mercœur (1) et sa fille. Il vint trouver mon père dès le lendemain, et le surprit très-agréablement, en lui disant qu'il étoit résolu de la donner à son cousin pour réunir la maison. Comme je savois qu'elle avoit une sœur qui possédoit plus de quatre-vingt mille livres de rente, je songeai au même moment à la double alliance. Je n'espérois pas que l'on y pensât pour moi, connoissant le terrain comme je le connoissois; et je pris le parti de me pourvoir de moi-même. Comme j'eus quelque lumière que mon père n'étoit pas dans le dessein de me mener aux noces, peut-être en vue de ce qui en arriva, je fis semblant de me radoucir à l'égard de ma profession. Je feignis d'être touché de ce que l'on m'avoit

(1) Louis, duc de Mercoeur, depuis cardinal de Vendôme, père de M. le duc de Vendôme et de M. le grand prieur; mort en 1669. (A. E.)

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