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tinuer à faire voir à Monsieur, à tous les momens du jour, la nécessité de se défaire du cardinal; de lui parler moins qu'à l'ordinaire du détail de l'action, afin d'en moins hasarder le secret; de se contenter de l'en entretenir en général, et pour l'y accoutumer et pour lui pouvoir dire en temps et lieu que l'on ne la lui avoit pas célée; que l'on avoit plusieurs expériences qu'il ne pouvoit lui-même être servi qu'en cette manière; qu'il l'avoit lui-même avoué maintes fois à lui La Rochepot; qu'il n'y avoit donc qu'à s'associer de braves gens qui fussent capables d'une action déterminée ; qu'à poster des relais, sous pré→ texte d'un enlèvement, sur le chemin de Sedan; qu'à exécuter la chose au nom de Monsieur et en sa présence, dans la chapelle, le jour de la cérémonie ; que Monsieur l'avoueroit de tout son cœur dès qu'elle seroit exécutée ; et que nous le menerions de ce pas sur nos relais à Sedan, dans un intervalle où l'abattement des sous-ministres, joint à la joie que le Roi auroit d'être délivré de son tyran, auroit laissé la cour en état de songer plutôt à le rechercher qu'à le poursuivre. Voilà la vue de La Rochepot, qui n'étoit nullement impraticable; et je le sentis par l'effet que possibilité prochaine fit dans mon esprit, tout différent de celui que la simple spéculation y avoit produit.

la

J'avois blâme peut-être cent fois avec La Rochepot l'inaction de Monsieur et celle de M. le comte à Amiens. Aussitôt que je me vis sur le point de la pratique, c'est-à-dire sur le point de l'exécution de la même action dont j'avois réveillé l'idée moimême dans l'esprit de La Rochepot, je sentis je ne sais quoi qui pouvoit être une peur. Je le pris pour

un scrupule. Je ne sais si je me trompai : mais enfin l'imagination de l'assassinat d'un prêtre, d'un cardinal, me vint à l'esprit. La Rochepot se moqua de moi, et me dit ces propres paroles : « Quand vous serez à << la guerre, vous n'enleverez point de quartiers, de «< peur d'y assassiner des gens endormis. » J'eus honte de ma réflexion ; j'embrassai le crime, qui me parut consacré par de grands exemples, justifié et honoré par de grands périls. Nous prîmes et nous concertâmes notre résolution. J'engageai dès le soir Launoi, que vous voyez à la cour sous le nom de marquis de Pienne. La Rochepot s'assura de La Frette, du marquis de Boissy, et de L'Etourville qu'il savoit être attaché à Monsieur et enragé contre le cardinal. Nous fîmes nos préparatifs. L'exécution étoit sûre; le péril étoit grand pour nous, mais nous pouvions raisonnablement en sortir, parce que la garde de Monsieur, qui étoit dans le logis, nous eût infailliblement soutenus contre celle du cardinal, qui ne pouvoit être qu'à la porte. La fortune, plus forte que sa garde, le tira de ce pas. Il tomba malade, ou lui, ou Mademoiselle : je ne m'en souviens pas précisément. La cérémonie fut différée. Il n'y eut plus d'occasion. Monsieur s'en retourna à Blois, et le marquis de Boissy. nous déclara qu'il ne nous découvriroit pas ; mais qu'il ne pouvoit plus être de cette partie, parce qu'il venoit de recevoir je ne sais quelle grâce du cardinal.

Je vous confesse que cette entreprise, qui nous eût comblés de gloire si elle nous eût réussi, ne m'a jamais plu. Je n'en ai pas le même scrupule que des deux fautes que je vous ai marqué ci-dessus avoir commises contre la morale; mais je voudrois de tout

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mon cœur n'avoir jamais été de cette entreprise. L'ancienne Rome l'auroit estimée mais ce n'est pas par cet endroit que j'estime l'ancienne Rome. Je ressens avec tant de reconnoissance et avec tant de tendresse la bonté que vous avez de vouloir bien être informée de mes actions, que je ne me puis empêcher de vous rendre compte de toutes mes pensées ; et je trouve un plaisir incroyable à les aller chercher dans le fond de mon ame, à vous les apporter et à vous les soumettre.

Il y a assez souvent de la folie à conjurer; mais il n'y a rien de pareil pour faire les gens sages dans la suite, au moins pour quelque temps. Comme le péril, dans ces sortes d'affaires, dure même après les occasions, l'on est prudent et circonspect dans les momens qui le suivent.

Le comte de La Rochepot, voyant que notre coup étoit manqué, se retira à Commercy, qui étoit à lui, pour sept ou huit mois. Le marquis de Boissy alla trouver M. le duc de Rouanez, son père, en Poitou, Pienne, La Frette et L'Etourville prirent le chemin des lieux de leurs maisons. Mes attachemens me retinrent à Paris, mais si serré et si modéré que j'étudiois tout le jour, et que le peu que je paroissois laissoit toutes les apparences d'un bon ecclésiastique. Nous les gardâmes si bien les uns et les autres, que l'on n'eut jamais le moindre vent de cette entreprise pendant le temps de M. le cardinal de Richelieu, qui a été le miniştre du monde le mieux averti. L'imprudence de La Frette et de L'Etourville fit qu'elle ne fut pas secrète après sa mort. Je dis leur imprudence : car il n'y a rien de plus mal habile que de se faire croire capable des choses dont les exemples sont à craindre.

La déclaration de M. le comte nous tira quelque temps après hors de nos tanières, et nous nous réveillâmes au bruit de ses trompettes. Il faut reprendre son histoire d'un peu plus loin.

J'ai remarqué ci-dessus qu'il s'étoit retiré à Sedan par la seule raison de sa sûreté, qu'il ne pouvoit trouver à la cour. Il écrivit au Roi en y arrivant : il l'assura de sa fidélité, et il lui promit de ne rien entreprendre, dans le temps de son séjour en ce lieu, contre son service. Il est certain qu'il lui tint trèsfidèlement sa parole; que toutes les offres de l'Espagne et de l'Empire ne le touchèrent point, et qu'il rebuta même avec colère les conseils de Saint-Ibal et de Bardouville, qui le vouloient porter au mouvement. Campion (1), qui étoit son domestique, et qu'il avoit laissé à Paris pour y faire les affaires qu'il pouvoit avoir à la cour, me disoit tout ce détail par son ordre ; et je me souviens, entre autres, d'une lettre qu'il lui écrivoit un jour, dans laquelle je lus ces propres paroles : « Les gens que vous connoissez n'oublient rien « pour m'obliger à traiter avec les ennemis. Ils m'ac<< cusent de foiblesse, parce que je redoute les exemples de Charles de Bourbon et de Robert d'Artois. » Campion avoit ordre de me faire voir cette lettre, et de m'en demander mon sentiment. Je pris la plume au même instant, et j'écrivis, à un petit endroit de la réponse qu'il avoit commencée : Et moi je les accuse de folie. Ce fut le propre jour que je partis pour aller en Italie. Voici la raison de mon sentiment:

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M. le comte avoit toute la hardiesse du cœur, que

(1) Campion: Alexandre. Son frère a laissé des Mémoires, qui ont été publiés en 1807 par M. le général Grimoard.

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l'on appelle communément vaillance, au plus haut point qu'un homme la puisse avoir; et il n'avoit pas,: même dans le degré le plus commun, la hardiesse de l'esprit, qui est ce qu'on nomme résolution. La première est ordinaire et même vulgaire ; la seconde est même plus rare que l'on ne se le peut imaginer : elleest toutefois encore plus nécessaire que l'autre pour les grandes actions; et y a-t-il une action au monde plus grande que celle d'un parti? Celle d'une armée a sans comparaison moins de ressorts; celle d'un Etat en a davantage, mais les ressorts n'en sont pas à beaucoup près si fragiles ni si délicats. Enfin je suis persuadé qu'il faut de plus grandes qualités pour former un bon chef de parti que pour faire un bon empereur de l'univers; et que, dans le rang des qualités qui le composent, la résolution marche de pair avec le jugement je dis avec le jugement héroïque, dont le principal usage est de distinguer l'extraordinaire de l'impossible.

M. le comte n'avoit pas un grain de cette sorte de jugement qui ne se rencontre même que très-rarement dans un grand esprit. Le sien étoit médiocre, et susceptible par conséquent des injustes défiances, qui est de tous les caractères celui qui est le plus opposé à un bon chef de parti, dont la qualité la plus souvent et la plus indispensablement praticable est de supprimer en beaucoup d'occasions, et de cacher en toutes, les soupçons même les plus légitimes.

Voilà ce qui m'obligea à n'être pas de l'avis de ceux qui vouloient que M. le comte fît la guerre civile. Varicarville, qui étoit le plus sensé et le moins emporté de toutes les personnes de qualité qui étoient

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