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rez les Francs et les Gaulois se donnant la main en signe d'alliance pour l'expulsion des Romains, le sacre de Clovis à Reims, Charlemagne couvert de fleurs de lis, et Philippe-Auguste en armure d'acier, à la mode du seizième siècle, posant sa couronne sur un autel, le jour de la bataille de Bouvines.

Je ne puis m'empêcher d'insister sur ce dernier trait, dont la popularité chez nous est une sorte de scandale historique. C'est sans doute une action trèsédifiante que celle d'un roi qui offre publiquement sa couronne et son sceptre au plus digne; mais il est extravagant de croire que de pareilles scènes aient jamais été jouées ailleurs que sur le théâtre. Et comme le moment est bien choisi pour cette exhibition en plein air de tous les ornements royaux! c'est l'instant où l'armée française est attaquée à l'improviste; et que cela est bien d'accord avec le caractère du roi Philippe, si habile, si positif et si prompt en affaires! La première mention de cette bizarre anecdote se trouve dans une chronique contemporaine, il est vrai, mais écrite par un moine qui vivait hors du royaume de France, au fond des Vosges, sans communication directe ou indirecte avec les grands personnages de son temps. C'était un homme d'une imagination fantasque, ami du merveilleux, écoutant volontiers les récits extraordinaires et les transcrivant sans examen. Entre autres circonstances de la bataille de Bouvines, il raconte sérieusement que le porteur de l'oriflamme transperça le comte Férand d'outre en outre, de manière que l'étendard ressortit tout sanglant par derrière. Le reste du récit est à l'avenant: il est impossible

d'y trouver un seul fait vrai ou probable; et, pour en revenir à la fameuse scène de la couronne, voici les paroles du chroniqueur :

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« Le roi de France, Philippe, ayant assemblé les « barons et les chevaliers de son armée, debout sur « une éminence, leur parla ainsi : « O vous, braves chevaliers, fleur de la France, vous me voyez por<< tant la couronne du royaume; mais je suis un << homme comme vous; et si vous ne souteniez cette « couronne, je ne saurais la porter. Je suis roi. » Et « alors, ôtant la couronne de sa tête, il la leur pré<< senta en disant : « Or, je veux que vous soyez tous << rois, et vraiment vous l'êtes; car roi vient de régir, et, sans votre concours, seul je ne pourrais régir le royaume... Soyez donc gens de cœur, et << combattez bien contre ces méchants. J'ordonne à «< tous vassaux et sergents, et cela sous peine de la <«< corde (il avait fait d'avance élever plusieurs gibets), « qu'aucun de vous ne se laisse tenter de prendre quoi que ce soit aux ennemis avant la fin de la ba« taille, si ce n'est des armes et des chevaux... » Et « tous crièrent d'une seule voix et assurèrent qu'ils << obéiraient de bon cœur à l'exhortation et à l'or« donnance du roi 1. »

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On a peine à s'expliquer comment de ce fond burlesque ont pu sortir, sous la plume de nos histoiens, les paroles héroïques que nous avons tous

1. «... Ego sum rex. » Et ita ablatam coronam de capite su porrexit eis dicens : « Ecce volo vos omnes reges esse, et vere estis, quum rex dicatur a regendo; nisi per vos, regnum solu « regere non valerem. » (Richerii Senoniensis abbatiæ in Vosago Chronic., apud Script. rer. gallic, et francic., t. XVIII, p. 690.)

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apprises par cœur, et, qui pis est, retenues sans concevoir la moindre défiance de leur authenticité. «Valeureux soldat (c'est le récit d'Anquetil), qui êtes près d'exposer votre vie pour la défense de cette, <«< couronne, si vous jugez qu'il y ait quelqu'un parmi « vous qui en soit plus digne que moi, je la lui cède << volontiers, pourvu que vous vous disposiez à la con«< server entière et à ne la pas laisser démembrer. << -Vive Philippe! vive le roi Auguste! s'écrie toute « l'armée; qu'il règne et que la couronne lui reste « à jamais 1!..... » La version de l'abbé Velly est d'un style encore plus tragique : « On dit que quelques <«< heures avant l'action, il mit une couronne d'or sur « l'autel où l'on célébroit la messe pour l'armée, et « que, la montrant à ses troupes, il leur dit : Généreux François, s'il est quelqu'un parmi vous que vous jugiez plus capable que moi de porter ce premier « diadème du monde, je suis prêt à lui obéir; mais <«< si vous ne m'en croyez pas indigne, songez que « vous avez à défendre aujourd'hui votre roi, vos << familles, votre honneur! » — « On ne lui répondit

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que par des acclamations et des cris de Vive Phi« lippe; qu'il demeure notre roi : nous mourrons pour sa « défense et pour celle de l'État2! »

Interrogez maintenant le récit d'un témoin oculaire, chapelain du roi Philippe, homme du treizième siècle, qui n'avait pas, comme nos historiens modernes, traversé trois siècles de science et un siècle

1. Anquetil, Hist. de France, continuée par M. de Norvins, 1839, t. I, p. 374.

2. Velly, Ilist. de France. Paris, 1770, in 4o, t. II, p. 227 et 228.

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de philosophie, vous n'y trouverez rien de ce désintéressement de parade, ni de ces exclamations de loyauté niaise tout est en action, comme dans une grande journée où personne n'a de temps à perdre. Le roi et l'armée sont à leur devoir; ils prient et se battent ce sont des hommes du moyen âge, mais ce sont des figures vivantes et non des masques de théâtre.

« On avança jusqu'à un pont, nommé le pont de «Bovines, qui se trouve entre le lieu appelé Sanghin << et la ville de Cisoing. Déjà la plus grande partie des « troupes avait passé le pont, et le roi s'était désarmé; <«< mais il n'avait pas encore passé, comme le croyait <«<l'ennemi, dont l'intention était d'attaquer aussitôt « et de détruire tout ce qui resterait de l'autre côté «< du pont. Le roi, fatigué de la marche et du poids de «< ses armes, se reposait un peu, à l'ombre d'un frêne, (( près d'une église bâtie en l'honneur de saint Pierre, « lorsque des gens, venus des derrières de l'armée, « arrivèrent à grande course, et, criant de toutes leurs «< forces, annoncèrent que l'ennemi venait, que les «arbalétriers et les sergents à pied et à cheval, qui « étaient aux derniers rangs, ne pourraient soutenir «l'attaque et se trouvaient en grand péril. Aussitôt « le roi se leva, entra dans l'église, et, après une « courte prière, il sortit, se fit armer et monta à che<< val d'un air tout joyeux, comme s'il eût été convié « à une noce ou à quelque fête. On criait de toutes << parts dans la plaine : Aux armes, barons, aux armes! « Les trompettes sonnaient, et les corps de bataille « qui avaient déjà passé le pont retournaient en ar«rière; on rappela l'oriflamme de Saint-Denis, qui

<< devait marcher en avant de toutes les autres ban<«nières; mais comme elle ne revenait pas assez vite, << on ne l'attendit point. Le roi retourna des premiers «à grande course de cheval, et se plaça au front de « bataille, de sorte qu'il n'y avait personne entre lui «<et les ennemis.

<«< Ceux-ci, voyant le roi revenu, ce à quoi ils ne << s'attendaient pas, parurent surpris et effrayés; ils <«< firent un mouvement, et se portant à droite du che<< min où ils marchaient dans la direction de l'occident, «< ils s'étendirent sur la partie la plus élevée de la «< plaine, au nord de l'armée du roi, ayant ainsi devant « les yeux le soleil, qui, ce jour-là, était chaud et ar« dent. Le roi forma ses lignes de bataille directe<< ment au midi de celle de l'ennemi, front à front, de « manière que les Français avaient le soleil à dos. « Les deux armées s'étendaient à droite et à gauche «en égale dimension, et à peu de distance l'une de «<l'autre. Au centre et au premier front se tenait le « roi Philippe, près duquel étaient rangés côte à côte << Guillaume des Barres, la fleur des chevaliers; Bar«thélemy de Roie, homme d'âge et d'expérience; « Gauthier le Jeune, sage, brave et de bon conseil; << Pierre Mauvoisin, Gérard Latruie, Étienne de Long« Champ, Guillaume de Mortemar, Jean de Rouvrai, « Guillaume de Garlande, Henri, comte de Bar, «< jeune d'âge et vieux de courage, renommé pour sa « prouesse et sa beauté; enfin plusieurs autres qu'il « serait trop long d'énumérer, tous gens de cœur et «<exercés au métier des armes; pour cette raison ils << avaient été spécialement commis à la garde du roi « durant le combat. L'empereur Othon était de même

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