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prendre aucune nourriture avant la messe. Mais les voyageurs, qui mouraient de faim, dirent à leur hôte : « Dieu nous pardonne, et sauf le respect dû à « son saint jour, il faut que nous mangions quelque <«< chose; car voici le quatrième jour que nous n'a«vons touché ni pain ni viande. » Le prêtre, faisant cacher les deux jeunes gens, leur donna du pain et du vin, et sortit pour aller à matines. Le maître des fugitifs était arrivé avant eux à Reims : il y cherchait des informations et donnait partout le signalement et les noms de ses deux esclaves. On lui dit que le prêtre Paul était un ancien ami de l'évêque de Langres; et afin de voir s'il ne pourrait pas tirer de lui quelques renseignements, il se rendit de grand matin à son église. Mais il eut beau questionner; malgré la sévérité des lois portées contre les recéleurs d'esclaves, le prêtre fut imperturbable1. Léon et Attale passèrent deux jours dans sa maison; ensuite, en meilleur équipage qu'à leur arrivée, ils prirent la route de Langres. L'évêque, en les revoyant, éprouva une grande joie, et, selon l'expression de l'historien auquel nous devons ce récit, pleura sur le cou de son neveu 2.

L'esclave qui, à force d'adresse, de persévérance et de courage, était parvenu à délivrer son jeune maître, reçut en récompense la liberté dans les formes prescrites par la loi romaine. Il fut conduit en céré

1. Secutus est et Barbarus, iterum inquirens pueros; sed inlusus a presbytero regressus est. (Greg. Turon. Hist. Franc., lib. III, cap. xv, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 195.)

2. Gavisus autem pontifex visis pueris, flevit super collum Attali nepotis sui. (Ibid.)

monie à l'église, et là, toutes les portes étant ouvertes en signe du droit que devait avoir l'affranchi d'aller partout où il voudrait, l'évêque Grégoire déclara devant l'archidiacre, gardien des rôles d'affranchissement, qu'eu égard aux bons services de son serviteur Léon, il lui plaisait de le rendre libre et de le faire citoyen romain. L'archidiacre dressa l'acte de manumission, suivant le protocole usité, avec les clauses suivantes :

«Que ce qui a été fait selon la loi romaine soit à << jamais irrévocable. Aux termes de la Constitution « de l'empereur Constantin, de bonne mémoire, et de <«< la loi dans laquelle il est dit que quiconque sera « affranchi dans l'église sous les yeux des évêques, « des prêtres ou des diacres, appartiendra dès lors <«< à la cité romaine et sera protégé par l'Église, dès « ce jour le nommé Léon sera membre de la cité; il <«< ira partout où il voudra et du côté qu'il lui plaira « d'aller, comme s'il était né et procréé de parents <«< libres. Dès ce jour, il est exempt de toute sujé«tion de servitude, de tout devoir d'affranchi, de « tout lien de patronage; il est et demeurera libre, « d'une liberté pleine et entière, et ne cessera en « aucun temps d'appartenir au corps des citoyens << romains 1. » L'évêque donna au nouveau citoyen des terres, sans la possession desquelles ce titre n'eût été qu'un vain nom. L'affranchi, ainsi élevé au rang de ceux que les lois barbares désignaient par le nom de Romains possesseurs, vécut libre avec sa

1. Marculfi formula LVI. (Greg Turon. Hist. Franc., lib. III, cap. xv, apud Script. rer. gallic. et francic., t. IV, p. 521.)

famille, de cette liberté dont une famille gauloise pouvait jouir sous le régime de la conquête et dans le voisinage des Franks'.

LETTRE IX

Sur la véritable époque de l'établissement de la monarchie.

L'un des mots répétés le plus souvent et avec le plus d'emphase, dans les écrits et les discours politiques, c'est que la monarchie française avait, en 1789, quatorze siècles d'existence. Voilà encore une de ces formules qui, avec un air de vérité, faussent de tout point notre histoire. Si l'on veut simplement dire que la série des rois de France, jointe à celle des rois des Franks, depuis l'établissement de ces derniers en Gaule, remonte à près de quatorze siècles en arrière de nous, rien de plus vrai; mais si, confondant les époques de ces différents règnes, on reporte de siècle en siècle jusqu'au sixième tout ce que l'idée de monarchie renfermait pour nous vers 1789, on se trompe grossièrement. Il faut se garantir du prestige qu'exerce, par la vue du présent, non-seulement le mot de France, mais encore celui de royauté. Il faut que l'imagination dépouille les anciens rois des attributs de puissance dont se sont entourés leurs successeurs; et quand

1. Greg. Turon. Hist. Franc., lib. III, cap. xv, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 195.)

on écrit, comme l'abbé Dubos, sur l'établissement de la monarchie française, ne pas laisser croire qu'il s'agit d'un gouvernement semblable à celui qui portait ce nom au dix-septième et au dix-huitième siècle.

Nos historiens ont coutume de distinguer trois périodes principales dans la longue durée qu'ils accordent à l'existence de la nation française. D'abord ils posent la monarchie qui, étendue, selon eux, jusqu'aux limites de la France actuelle, est dissoute, vers le dixième siècle, par la révolte des gouverneurs des provinces, qu'ils appellent grands feudataires; ensuite, ils montrent la féodalité produite par cette révolte que le temps a légitimée; enfin ils présentent la monarchie renaissant, comme ils le disent, reprenant tous ses anciens droits, et devenant aussi absolue qu'au premier jour de son établissement. Le petit nombre de faits épars dans les Lettres précédentes suffit pour renverser l'absurde hypothèse qui attribue à Chlodowig, ou même à Karl le Grand la royauté de Louis XIV; et quant à la féodalité, loin qu'elle soit venue morceler un empire embrassant régulièrement toute la Gaule, c'est le système féodal qui a fourni le principe sur lequel s'est établie l'unité de territoire, élément essentiel de la monarchie dans le sens moderne de ce mot.

Il est certain que ni la conquête des Franks, ni même cette seconde conquête, opérée sous une couleur politique par les fondateurs de la dynastie Carolingienne, ne purent opérer, entre les différentes

1. Le nom de Carloringien, forgé pour obtenir la plus grande ressemblance possible avec celui de Mérovingien, est un barbarisme

parties de la Gaule, surtout entre le nord et le midi, une véritable réunion. Elles n'eurent d'autre effet que celui de rapprocher, malgré elles, des populations étrangères l'une à l'autre, et qui bientôt se séparèrent violemment. Avant le douzième siècle, les rois établis au nord de la Loire ne parvinrent jamais. à faire reconnaître, seulement pour cinquante années, leur autorité au sud de ce fleuve 1. Ainsi, quand bien même on supposerait que, dès la première invasion des Franks, une monarchie à la façon moderne s'établit dans la partie de la Gaule où ils fixèrent leur habitation, ce serait encore une chose absurde que d'étendre cette monarchie à tous les pays qu'elle embrassa dans les siècles postérieurs, et à la suite d'une nouvelle conquête, plus lente et plus durable que les autres.

Cette conquête, à laquelle on pourrait donner le nom d'administrative, s'effectua dans l'intervalle du douzième siècle au dix-septième, époque où elle parut accomplie, où il n'y eut plus, dans toute l'étendue de la Gaule, qu'un roi et des magistrats révocables à sa volonté. Au temps des rois franks de la race de Clovis ou de celle de Charlemagne, lorsque ces rois envoyaient des gouverneurs de leur nation dans les provinces, surtout dans les provinces mé

absurde. On l'a construit comme si le nom propre dont il dérive était Karlov et non pas Karl. En latin, Carolingi et Merovingi sont exactement conformes à l'étymologie teutonique; le premier de ces mots n'aurait pas dû subir en français plus de changement que l'autre.

1. Dans le onzième siècle, l'abbé d'un monastère français, voyageant dans le comté de Toulouse, disait en plaisantant : « Mainte«nant je suis aussi puissant que mon seigneur le roi de France; car « personne ici ne fait plus de cas de ses ordres que des miens.

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