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Si vous parcourez les documents relatifs à l'histoire du sixième et du'septième siècle, vous y trou verez une foule de traits qui prouvent que le paganisme durait toujours parmi les Franks, quoiqu'il s'éteignît par degrés. L'historien byzantin Procope raconte avec horreur qu'en l'année 539 les soldats de Theodebert, roi des Franks orientaux, à leur entrée en Italie où ils marchèrent contre les Goths, tuèrent des femmes et des enfants de cette nation, et jetèrent leurs cadavres dans le Pô, comme prémices de la guerre qui s'ouvrait'. Un siècle après, sur les bords de la Somme et même sur ceux de l'Aisne, le paganisme régnait encore dans les campagnes, séjour favori de la population franke. Ce n'était pas sans de grands dangers que les évêques des villes du Nord faisaient leurs visites pastorales; et il fallait tout le zèle d'un martyr pour oser prêcher la foi du Christ à Gand et le long du cours inférieur de l'Escaut2. En l'année 656, un prêtre irlandais perdit la vie dans cette mission périlleuse; et, vers la mème époque, d'autres personnages que l'Église vénère, les Romains Lupus et Amandus (saint Loup et saint Amand), les Franks Odomer et Berthewin (saint

1. Procopii Hist. de Bello Gothico, lib. II, cap. xxv, apud Script. rer. gallic. et francic., t. II, p. 37. Il ajoute la réflexion suivante : Nam ita christiani sunt isti Barbari, ut multos priscæ superstitionis ritus observant, humanas hostias aliaque impia sacrificia divinationibus adhibentes. (Ibid., p. 38.)

2. Vita S. Eligii, apud ibid., t. III, p. 557. · Audivit pagum esse quemdam præter fluenta Scaldi fluvii, cui vocabulum est Gandavum, ejus loci habitatores iniquitas diaboli... irretivit, ut... relicto Deo... fana vel idola adorarent. Propter ferocitatem enim gentis illius... omnes sacerdotes a prædicatione... subtraxerant, et nemo audebat... verbum annuntiare Domini. (Vita S. Amandi, apud ibid., p. 533.)

Omer et saint Bertin) y gagnèrent leur renom de sainteté1.

Lorsque les nobles efforts du clergé chrétien éurent déraciné les pratiques féroces et les superstitions apportées au nord de la Gaule par la nation conquérante, il resta dans les mœurs de cette race d'hommes un fond de rudesse sauvage qui se montrait, en paix comme en guerre, soit dans les actions, soit dans les paroles. Cet accent de barbarie, si frappant dans les récits de Grégoire de Tours, se retrouve çà et là dans les documents originaux du second siècle des rois mérovingiens. Je prends pour exemple le plus important de tous, la loi des Franks saliens ou loi salique, dont la rédaction en langue latine appartient au règne de Dagobert. Le prologue dont elle est précédée, ouvrage de quelque clerc d'origine franke, montre à nu tout ce qu'il y avait de violent, de rude, d'informe, si l'on peut s'exprimer ainsi, dans l'esprit des hommes de cette nation qui s'étaient adonnés aux lettres. Les premières lignes de ce prologue semblent être la traduction littérale d'une ancienne chanson germanique :

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« La nation des Franks, illustre, ayant Dieu pour « fondateur, forte sous les armes, ferme dans les « traités de paix, profonde en conseil, noble et saine « de corps, d'une blancheur et d'une beauté singu

1. Fleury, Histoire ecclésiastique, t. VIII, p. 290, 292 et 425.

2. Auctore Deo condita. Cette idée paraît étrangère à la religion chrétienne, qui n'accorde à aucune nation, si ce n'est au peuple juif, l'honneur d'avoir eu des relations spéciales avec la Divinité. Peut-être, pour être exact et malgré la contradiction apparente, devrait-on traduire ayant un Dieu pour fondateur.

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« lières, hardie, agile et rude au combat, depuis peu « convertie à la foi catholique, libre d'hérésie lors« qu'elle était encore sous une croyance barbare, « avec l'inspiration de Dieu, recherchant la clef de «la science selon la nature de ses qualités, désirant « la justice, gardant la piété; la loi salique fut dictée « par les chefs de cette nation, qui en ce temps com«mandaient chez elle.

« On choisit, entre plusieurs, quatre hommes, sa« voir le Gast de Wise, le Gast de Bode, le Gast « de Sale, et le Gast de Winde, dans les lieux appelés <«< canton de Wise, canton de Sale, canton de Bode et «< canton de Winde1. Ces hommes se réunirent dans « trois Mâls2, discutèrent avec soin toutes les causes « de procès, traitèrent de chacune en particulier, et « décrétèrent leur jugement en la manière qui suit. «Puis, lorsque, avec l'aide de Dieu, Chlodowig le << Chevelu, le beau, l'illustre roi des Franks, eut reçu « le premier le baptême catholique, tout ce qui dans «ce pacte était jugé peu convenable fut amendé avec « clarté par les illustres rois Chlodowig, Hildebert « et Chlother; et ainsi fut dressé le décret suivant : « Vive le Christ qui aime les Franks; qu'il garde

1. Gast, dans les dialectes actuels de la langue germanique, signifie hote. Il paraît que, dans l'ancienne langue, il servait à exprimer la dignité patriarcale des chefs de tribu ou de canton. On trouve encore dans la province d'Over-Yssel, antique demeure des Saliens, un canton nommé Salland, et un autre appelé Twente, peut-être plus correctement t' Wente, ce qui répond au Winde de la loi salique. Le canton de Wise tirait probablement son nom de sa situation occidentale, et celui de Bode rappelle l'ancien nom de l'île des Bataves.

2. Hi per tres mallos convenientes... Mál, dans l'ancienne langue teutonique, voulait dire signe, parole, et, par extension, conseil, assemblée.

« leur royaume, et remplisse leurs chefs de la lu«mière de sa grâce; qu'il protége l'armée, qu'il leur « accorde des signes qui attestent leur foi, les joies « de la paix et la félicité; que le Seigneur Christ« Jésus dirige dans les voies de la piété les règnes de «< ceux qui gouvernent; car cette nation est celle « qui, brave et forte, secoua de sa tête le dur joug « des Romains, et qui, après avoir reconnu la sain«<teté du baptême, orna somptueusement d'or et de << pierres précieuses les corps des saints martyrs que « les Romains avaient brûlés par le feu, massacrés, <<< mutilés par le fer, ou fait déchirer par les bêtes'. »

LETTRE VII

Sur l'état des Gaulois après la conquête.

« Si quelque homme libre a tué un Frank ou un « Barbare vivant sous la loi salique, il sera jugé cou<«<pable au taux de deux cents sous. -Si un Romain « possesseur, c'est-à-dire ayant des biens en propre <«< dans le canton où il habite, a été tué, celui qui << sera convaincu de l'avoir tué sera jugé coupable à <«< cent sous 2. >>

1. Legis Salicæ prologus, apud Script. rer. gallic. et francic., t. IV, p. 122 et 123.

2. Lex Salica, tit. XLIV, 1 et 15, apud ibid., p. 147.-D'après la valeur du sol d'or fixée par M. Guérard (Voyez, plus haut, la note de la page 41), le taux de ces deux compositions s'élevait, pour la première, à 1,856 fr., valeur intrinsèque, et 19,906 fr., valeur relative, et, pour la seconde, à 928 fr., valeur intrinsèque, 9,936 fr., va

leur relative.

« Celui qui aura tué un Frank ou un Barbare, <«< dans la truste (service de confiance) du roi, sera « jugé coupable à six cents sous. — Si un Romain, « convive du roi, a été tué, la composition sera de « trois cents sous1. >>

« Si quelqu'un, ayant rassemblé une troupe, attaque « dans sa maison un homme libre (Frank ou Barbare),

et l'y tue, il sera jugé coupable à six cents sous.— «Mais si un Lite ou un Romain a été tué par un << semblable attroupement, il ne sera payé que la « moitié de cette composition 2. >>

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Si quelque Romain charge de liens un Frank sans « motif légitime, il sera jugé coupable à trente sous. Mais si un Frank lie un Romain pareillement << sans motif, il sera jugé coupable à quinze sous3. » « Si un Romain dépouille un Frank, il sera jugé « coupable à soixante-deux sous. Si un Frank dépouille un Romain, il sera jugé coupable à trente << sous 4. »

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Voilà comment la loi salique répond à la question tant débattue de la différence originelle de condition entre les Franks et les Gaulois. Tout ce que fournissent à cet égard les documents législatifs, c'est que le wergheld, ou prix de l'homme, était, dans tous

1. Lex Salica, tit. XLIV, 2 4 et 6. (3,768 et 1,884 fr., valeur intrinsèque; 59,718 et 29,859 fr., valeur relative.)

2. Ibid., tit. LXV, 1 et 3. (Voyez l'évaluation précédente.)

3. Lex Salica ex codice Biblioth. regiæ a Joh. Schiltreo edita, tit. xxxv, 3 et 4, apud Script. rer. gallic. et francic., t. IV, p. 142. (278 fr. 40 c. et 139 fr. 20 c., valeur intrinsèque; 2,985 fr. 90 c. et 1,492 fr. 95 c., valeur relative.)

4. Ibid., p. 188, tit. xv. (575 fr. 36 c. et 278 fr. 40 c., valeur intrinsèque; 5,170 fr. 86 c., et 2,985 f. 90 c., valeur relative.)

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