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dicter ses Mémoires, où il a préparé et défendu son procès devant l'avenir. Le reste du temps, des promenades à cheval, quelques rêves, la contemplation dans l'espace de l'enfant débile à qui il avait de sa propre main préparé un si dur destin, à la fin, des travaux de jardinage, telles furent ses journées jusqu'en 1821, où il mourut le 5 mai à 5 h. 50 du soir, non d'une maladie de foie inventée par le médecin anglais O'Meara, qui voulait le faire ainsi changer de résidence, mais, comme son père, d'un cancer à l'estomac. On ne put même inscrire un nom sur son cercueil, Hudson Lowe, au terme d'une querelle sacrilège avec l'eutourage, ayant refusé de laisser graver le titre impérial, comme si le splendide néant de ce titre pouvait encore effaroucher le monde ! Le monde, à ce moment, l'avait oublié; la France ne prêta' qu'une attention distraite à la nouvelle, comme si, après avoir épuisé pour cet homme prodigieux ses réserves d'admiration et d'épouvante, elle ne lui pouvait plus rien donner.

Il est à la fois aisé et malaisé de juger Napoléon, car il ne fait naître aucun sentiment moyen il emporte l'enthousiasme ou la haine, et ces sentiments extrêmes trouvent pour s'exprimer de faciles formules. Cependant l'histoire, à moins de s'assimiler à la polémique, doit se garder de ces violences dont la vérité a horreur. On a cru porter sur l'homme et sur l'œuvre un jugement certain, flatteur ou désobligeant, au gré des partis, en disant que Napoléon représentait la Révolution armée et, selon l'expression célèbre, « Robespierre à cheval ». Jamais plus injuste outrage n'a été jeté au noble vaincu de Thermidor. Ce n'est pas seulement parce que Robespierre, gardien vigilant des trésors civiques, a toujours redouté le péril militaire et fut, peut-être, le seul révolutionnaire qui ait eu la prescience de tout ce que les aventures armées coûteraient à la démocratie. C'est aussi, c'est surtout, parce que personne, plus que Bonaparte, n'a haï la Révolution. Certes, par son origine, par la violence du rapt dont il frustra la monarchie légitime, par l'audace avec laquelle il fonda devant le droit divin le droit de sa famille, il fit, dans l'ordre dynastique, une révolution. Il était bien obligé de s'appuyer à l'extérieur sur l'armée dont il rassasia les chefs, à l'intérieur sur le paysan qu'il rassura dans la juste et libre possession des biens natio

naux.

Mais cela était dans la logique violente de son entreprise : pour la nation, il était le rempart devant l'émigration, non seulement parce qu'il était l'ennemi-né des nobles, mais parce que lui aussi, comme le paysan, aux yeux des nobles, était l'usurpateur. Leurs usurpations prétendues se prêtèrent appui. Mais il fut le successeur, non l'héritier de la Révolution. Il ne fut même pas son successeur nécessaire. Car pour garder les trésors humains par elle acquis, elle était, même devenue débile, assez forte, avec le million d'hommes que Bonaparte a livrés au massacre! Les hommes de Marengo, d'Austerlitz, d'léna, de Wagram, de Saragosse, de la Moskowa, de Leipsick,

de Montmirail, de Waterloo, auraient élé capables de garder à la France ses frontières naturelles et au-dedans ses droits.

Il avait, au contraire, la haine et la terreur de cette Révolution, si justement dure aux chefs militaires, l'horreur de tout ce qui prenait même la pâle figure de la liberté, l'horreur du parlementarisme, et combien de fois ne flétrit-il pas les « idéologues », les « bavards », les « jacobins » ? Aux Cent Jours, par ruse politique, il accepta des institutions semi-libérales, mais vainqueur, il les eût balayées. Il avait dans l'oreille, comme une obsession douloureuse les cris « A bas les prêtres! A bas les nobles!» que de Grenoble à Auxerre il avait entendus en revenant.

Quand Carnot lui proposa.la levée en masse, il refusa, aimant mieux se priver de l'ardent élan du peuple que d'emprunter à la Révolution une de ses mesures. Depuis la défaite, les acclamations de ce peuple qui voyait en lui le seul homme capable de refouler l'invasion et avec elle les nobles, le touchèrent à peine. Il ne leur fit pas appel pour les jeter sur le Parlement rebelle, non par amour de la liberté, mais par dégoût de l'instrument populaire le peuple ne lui pouvait apparaître que sous la livrée éclatante des batailles. Il attendait tout des baïonnettes, rien des bras nus et libres. Hors l'armée il n'y avait pour lui que « la canaille» et il aimait mieux la chute qu'une pareille élévation.

Ce qui frappe le plus, après l'éclat, c'est le vide de cette œuvre, gigantesque par les moyens et nulle par le but: il ne s'agit pas seulement de juger le résultat. C'est le but poursuivi qui doit inquiéter, et s'il fut grand et noble, encore qu'il ne fût pas atteint, l'histoire en tient compte. Qu'a-t-il voulu? On saisit les excès de sa volonté, on n'en saisit pas le désir. Il a tendu tous les ressorts de son être vers le commandement, la domination, l'absorption des autres hommes.

Toul, pour cela, lui a été bon. Il a par un mensonge religieux et politique relevé les autels, qui d'ailleurs n'étaient pas abattus. Est-ce par intérêt pour la religion? Non pas. Au cours des discussions sur le Concordat il parlait, pour faire céder l'Eglise, de rendre la France protestante; après, quand le clergé glissa de ses mains, il l'avilit en la personne du pape et montra que ce qu'il avait voulu faire du prêtre c'était un instrument politique.

De même pour l'instruction publique où il n'a vu dans le monopole universitaire, c'est-à-dire dans le droit naturel et éminent de l'Etat, qu'un moyen de compression pour les esprits. Il ne voulait que tenir les âmes par une gendarmerie sacrée, les cerveaux par une gendarmerie intellectuelle, les corps par une gendarmerie armée. Et dans quel but? Son grand rêve fut de devenir l'empereur d'une confédération européenne, de rejeter le tzar ne Asie, de refaire à ses pieds l'empire de Charlemagne. Mais cela, dans quel

but? Pour gouverner, dominer, pétrir l'humanité vivante, sans même songer que le débile héritier de ses convoitises ne pourrait garder ce patrimoine disparate contre les haines légitimes des peuples spoliés.

Le mal qu'il a causé, qu'il cause encore est insondable. Le mal, c'est d'abord les ressources de la France dispersées au vent, son labeur suspendu ou rançonné, des milliards et des milliards inscrits à la dette, grevant le budget, et après tout, testament de tant de victoires inutiles, la France rendue plus petite qu'il ne l'avait trouvée.

Le mal, ce sont, tant d'hommes sacrifiés, toutes ces moissons de jeunesse et de virilité levées pour l'amour, la tendresse, la joie, l'action, le travail, la vie, qu'il a fauchées en tous pays.

Le mal, c'est, par la fatalité de son nom et l'éblouissement d'une légende forgée par des ouvriers inconscients de la servitude, le triste neveu qui ne put usurper son génie et laissa la France plus petite encore, meurtrie, de telles dettes de milliards que notre budget est écrasé et que les ressources sont pauvres et rares qui doivent payer les dépenses démocratiques et les créations sociales.

Et nous serions tentés de dire que ce mal matériel si profond n'égale pas le mal moral qui par cette famille ronge le pays. Grâce à elle, grâce au premier du nom, la France se crut la première et la seule nation civilisée, dédaignant autour d'elle tous les progrès et tous les efforts, trop confiante, en proie à l'illusion; et voilà le châtiment, c'est que maintenant elle est tom bée à la défiance d'elle-même.

Quelques-uns, qui sont trop, lui disent que, victime de la force, elle ne doit croire qu'en la force, que le droit dont elle fut l'artisan souverain est une chimère, qu'elle doit répudier l'idéalisme abstrait de la Révolution pour se repaître d'avantages positifs dans un matérialisme égoïste, que les autres peuples lui sont des ennemis, que la fraternité humaine est un rêve ou une trahison... Les caisses vides se remplissent, la vie humaine ne se tarit pas, mais l'âme d'un peuple corrodée et corrompue, voilà le crime contre lequel les colères sont vaines, car elles ne peuvent être à sa mesure. Il faut pour l'expier, en réparer les conséquences, de la patience, du courage, et que l'éducation du peuple soit complète et incessante.

Ah! que les prolétaires se disent et se répètent cette histoire maudite, et qu'ils n'oublient pas que tout, - même un lambeau de liberté, un appât d'égalité, une promesse de justice, tout, même une ombre de parlementarisme, un oripeau de République, même le gouvernement d'une faction civile rétrograde et pesante, que tout vaut mieux que l'insolence de l'oligarchie militaire, qu'elle soit représentée par un groupe ou par un individu!

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La Toilette avant le départ pour S. Helene.

(D'après une estampe de la Bibliothèque Natiopale.)

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DEUXIÈME PARTIE

DE WATERLOO A LA MORT DU DUC DE BERRY.

(du 8 juillet 1815 au 20 février 1820).

CHAPITRE IV

DU RETOUR DE LOUIS XVIII A L'ÉVASION de la valette.

Retour de Louis XVIII. — La seconde Restauration.

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Seconde capitulation de Paris.. --Le rôle du maréchal Davoust et de Fouché. L'entrée des Prussiens à Paris. --Fin du gouvernement provisoire et fermeture de la Chambre. — Ministère Talleyrand. Fouché. Leur chute. Ministère de Richelieu. - Traité du 20 novembre. La Sainte-Alliance. La Terreur blanche. Assassinats de Brune et de Ramel. Exécutions de Labédoyère et des frères Faucher. Procès et mort du maréchal Ney. Évasion de La Valette,

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Pendant que Napoléon se préparait à son dernier exil, s'y acheminait à regret, se livrait à son plus constant ennemi, quittait enfin à jamais cette terre ravagée et humiliée par sa gloire, Paris et la France restaient exposés à toutes les menaces de l'étranger. D'abord avec une certaine réserve, comme s'ils redoutaient de rencontrer devant eux l'empereur, puis, le sachant à Paris, avec plus d'audace, les alliés s'avancèrent. Blücher, implacable, foulant enfin ce sol maudit d'où tant de légions avaient surgi qui avaient abaissé sa patrie, n'avait qu'un désir, prendre Paris et le livrer à la soldatesque. Wellington, plus pitoyable ou plus habile, maîtrisait à peine les élans de cette haine farouche Les deux armées s'avançaient ne rencontrant aucune résistance. Grouchy, après Waterloo, avait rallié ses troupes, puis était descendu jusqu'à Laon, et enfin jusqu'à Paris. A Paris, dans les environs, plus de 100000 hommes se trouvaient, ardents, réclamant le combat, trouvant d'ailleurs dans leurs officiers, sauf dans les généraux en chef, un sûr écho à leur belliqueuse requête. La situation n'était plus ce qu'elle avait été en 1814. Alors, Paris était enveloppé par 200 000 hommes, destitué de tout commandement autre que celui du duc de Feltre, sans travaux de défense, sans garnison, Marmont et Mortier n'ayant sous leurs mains que 12000 hommes. Maintenant, surtout du côté Nord, la ville se défendait; elle s'était hérissée aussi du côté de Vincennes, possédait plus de 1000 canons servis par 6 000 artilleurs. Elle n'avait pas que 12000 hommes, mais 100000. Cependant la position de la cité semblait plus précaire c'est que le seul facteur n'est pas, en pareil cas, le facteur matériel, et qu'il ne suffit pas, pour se rendre un compte exact, d'additionner

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