Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

vaient faire dans une compagnie composée de plus de deux cents officiers, et agissant avec trois autres compagnies où il y en avait encore presque une fois autant, qu'est-ce que pouvaient faire, dis-je, deux des plus simples et des plus communes têtes de tout le corps? Le président Viole avait été toute sa vie un homme de plaisir, et de nulle application à son métier. Le bonhomme Broussel avait vieilli entre les sacs, dans la poudre de la grande chambre, avec plus de réputation d'intégrité que de capacité. Les premiers qui se joignirent le plus ouvertement à ces deux hommes, furent Charton, président aux requêtes, un peu moins que fou; et Blancménil, président aux enquêtes. Vous le connaissez; il était au Parlement comme vous l'avez vu chez vous. Vous jugez bien que s'il y eut eu de la cabale dans la compagnie, l'on n'eut pas été choisir des cervelles de ce caractère, au travers de tant d'autres qui avaient sans comparaison plus de poids, et que ce n'est pas sans sujet que je vous ai dit en plus d'un endroit de ce récit, que l'on ne doit rechercher la cause de la révolution que je décris, que dans le dérangement des lois, qui a causé insensiblement celui des esprits, et qui fit qu'avant que l'on se fût presque aperçu du changement, il y avait déjà un parti. Il est constant qu'il n'y en avait pas un de tous ceux qui opinèrent dans le cours de cette année au Parlement et dans les autres compagnies souveraines, qui eût la moindre vue, je ne dis pas seulement de ce qui s'en ensuivit, mais de ce qui en pouvait suivre. Tout se disait. et se faisait dans l'esprit des procès; et comme il avait l'air de la chicane, il en avait la pédanterie, dont le propre essentiel est l'opiniâtreté, directement opposée à la flexibilité, qui de toutes les qualités est la plus nécessaire pour le maniement des grandes affaires. Et ce qu'il y a d'admirable était que le concert, qui seul peut remédier aux inconvénients, qu'une cohue de cette nature peut produire, eut passé dans cette sorte d'esprit pour une cabale. Ils la faisaient eux-mêmes, mais ils ne la connaissaient pas. L'aveuglement des bien intentionnés en cette matière est suivi pour l'ordinaire bientôt après de la pénétration de ceux qui mêlent la passion de la faction dans les intérêts publics, et qui voient le futur et le possible, dans le temps

que les oimpagnies réglées de singent qu'au présent et à j'apparent.

Cette petite referito, jointe à ce que vous avez vu ciderant des deliberations du Parlemedi, vous marque sufsamment la confusion où étalent les choses quand les barricades se firent, et l'erreur de ceux qui prétendent qu'il ne faut point craindre de parti quand il n'y a point de chef. Ils naissent quelquefois dans une nuit. L'agitation que je viens de vous représenter si viclente et de si longue durée, n'en produisit point dans le cours d'une année entière, et un moment en fit éclcre même beaucoup davantage qu'il n'eût été nécessaire pour le parti.

Comme les barricades furent levées, j'allai chez madame de Guémené (1) qui me dit qu'elle savait de science certaine que le cardinal croyait que j'en avais été l'auteur. La reine m'envoya quérir le lendemain au matin. Elle me traita avec toutes les marques possibles de bonté et mème de confiance. Elle me dit que si elle m'avait cru, elle ne serait pas tombée dans l'inconvénient où elle était; qu'il n'avait pas tenu au pauvre cardinal de l'éviter; qu'il lui avait toujours dit qu'il s'en fallait rapporter à mon jugement; que Chavigni était l'unique cause de ce malheur par ses pernicieux conseils auxquels elle avait plus déféré qu'à ceux de M. le cardinal. « Mais, mon Dieu, ajouta-t-elle tout d'un coup, ne ferez-vous pas donner des coups de bâton à ce coquin de Bautru qui vous a tant manqué de respect! Je vis l'heure avant-hier au soir que le pauvre M. le cardinal lui en ferait donner. » Je reçus tout cela avec un peu moins de sincérité que de respect. Elle me commanda ensuite d'aller voir le pauvre M. le cardinal, et pour le consoler et pour aviser avec lui de ce qu'il y aurait à faire pour ramener les esprits.

Je n'en fis, comme vous pouvez le croire, aucune difficulté. Il m'embrassa avec des tendresses que je ne puis vous exprimer. Il n'y avait que moi en France qui fùt homme de bien, tous les autres n'étaient que des flatteurs infâmes et qui avaient emporté la reine, malgré ses conseils et les miens. Il me déclara qu'il ne voulait plus rien faire que par mes avis; il me communiqua les dépèches étrangères; (1) La princesse de Guémené fut mêlée à toutes les intrigues de son temps. (N. E.)

enfin il me dit tant de fadaises, que le bonhomme Broussel qu'il avait aussi mandé, et qui était entré dans sa chambre un peu après moi, éclata de rire en sortant, tout simple qu'il était, et mème en vérité jusqu'à l'innocence, et qu'il me coula ces paroles dans l'oreille : Ce n'est là qu'un pantalon.

Je revins chez moi, très-résolu, comme vous pouvez croire, de penser à la sûreté du public et à la mienne particulière. J'en examinai les moyens, et je n'en examinai aucun qui ne fût d'une exécution très-difficile. Je connaissais le Parlement pour un corps qui pousserait tout sans mesure. Je voyais qu'au moment que je pensais, il délibérait sur les rentes de l'hôtel-de-ville, dont la Cour avait fait un commerce honteux, ou plutôt un brigandage public. Je considérais que l'armée victorieuse à Lens reviendrait infailliblement prendre ses quartiers d'hiver aux environs de Paris, et que l'on pourrait très-facilement l'investir et couper les vivres à la ville en un matin. Je ne pouvais pas ignorer que ce même Parlement qui poussait la Cour, ne fût très-capable et de faire le procès à ceux qui le feraient eux-mêmes, et de prendre des précautions pour ne pas être opprimé. Je savais qu'il y avait très-peu de gens dans cette compagnie qui ne s'effarouchassent seulement de la proposition, et peut-être y en avait-il aussi peu à qui il y eût sûreté de la confier. J'avais devant les yeux le grand exemple de l'instabilité des peuples, et beaucoup d'aversion naturelle aux moyens violents, qui sont souvent nécessaires pour le fixer.

Saint-Ibal (1), mon parent, homme d'esprit et de cœur, mais d'un grand travers, et qui n'estimait les hommes que selon qu'ils étaient mal à la Cour, me pressa de prendre des mesures avec l'Espagne, avec laquelle il avait de grandes habitudes par le canal du comte de Fuensaldagne, capitaine-général aux Pays-Bas, sous l'archiduc (2). Il me donna même une lettre pleine d'offres, que je ne reçus pourtant pas. J'y répondis par de simples honnêtetés; et après de grandes et profondes réflexions je pris le parti de faire voir par Saint-Ibal aux Espagnols, sans m'engager (1) Montrésor l'appelle Saint-Ibar dans ses Mémoires. (2) Léopold-Guillaume d'Autriche.

pourtant avec eux, que j'étais fort résolu de ne pas souffrir l'oppression de Paris; de travailler avec mes amis; de faire que le Parlement mesurât un peu plus ses démarches, et d'attendre le retour de M. le Prince, avec lequel j'étais trèsbien, et auquel j'espérais faire connaître et la grandeur du mal et la nécessité du remède. Ce qui me donnait le plus lieu de croire que j'en pourrais avoir le temps, était que les vacations du Parlement étaient fort proches, et je me persuadais par cette raison, que la compagnie ne s'assemblant, et la Cour par conséquent ne se trouvant plus pressée par les délibérations, l'on demeurerait de part et d'autre dans une espèce de repos, qui bien ménagé par M. le Prince, que l'on attendait de semaine en semaine, pourrait fixer celui du public, et la sûreté des particuliers.

L'impétuosité du Parlement rompit mes mesures; car aussitôt qu'il eut achevé de faire le réglement pour le paiement des rentes de l'hôtel-de-ville, et des remontrances pour la décharge du quart entier des tailles, et du prêt à tous les officiers subalternes, il demanda, sous prétexte de la nécessité qu'il y avait de travailler au tarif, la continuation de ses assemblées, même dans le temps des vacations, et la reine la lui accorda pour quinze jours; parce qu'elle fut très-bien avertie qu'il l'ordonnerait de lui-même si on la lui refusait. Je fis tous mes efforts pour empêcher ce coup, et j'avais persuadé Longueil et Broussel; mais Novion, Blancménil et Viole, chez qui nous nous étions trouvés à onze heures du soir, dirent que la compagnie tiendrait pour des traîtres ceux qui lui feraient cette proposition; et comme j'insistais, Novion entra en soupçon que je ne fusse moi-même de concert avec la Cour. Je ne fis aucun semblant de l'avoir remarqué, mais je me ressouvins du prédicant de Genève, qui soupçonna l'amiral de Coligni (1), chef du parti huguenot, de s'ètre confessé à un Cordelier de Niort. Je le dis en riant au sortir de la conférence, au président Le Coigneux, père de celui que vous voyez aujourd'hui. Cet homme qui était fou, mais qui avait beaucoup d'esprit, et qui ayant été en Flandre ministre de Monsieur, avait plus de connaissance du monde

(1) Gaspard de Coligni, II du nom, massacré le jour de la Saint-Barthélemi de l'an 1572, dans sa maison.

que les autres, me répondit : « Vous ne connaissez pas nos gens, vous en verrez bien d'autres. Je gage que cet innocent (en me montrant Blancménil) croit avoir été au sabbat, parce qu'il s'est trouvé ici à onze heures du soir. >> Il eut gagné si j'eusse gagé contre lui; car Blancménil avant que de sortir, nous déclara qu'il ne voulait plus de conférences particulières, qu'elles sentaient la faction et le complot, et qu'il fallait qu'un magistrat dit son avis sur les fleurs de lys, sans en avoir communiqué avec personne; que les ordonnances l'y obligeaient. Voilà le canevas, sur lequel il broda maintes impertinences de cette nature, que j'ai dû toucher en passant pour vous faire connaître que l'on a plus de peine dans les partis à vivre avec ceux qui en sont, qu'à agir contre ceux qui y sont opposés. C'est tout vous dire, qu'ils firent si bien par leurs journées, que la reine, qui avait cru que les vacations pourraient diminuer de quelque degré la chaleur des esprits, et qui, par cette considération, venait d'assurer le prévôt des marchands, que le bruit que l'on avait fait courir qu'elle voulait faire sortir le roi de Paris était faux; que la reine, dis-je, s'impatienta et emmena le roi à Ruel. Je ne doutai point qu'elle n'eût pris le dessein de surprendre Paris, qui parut effectivement étonné de la sortie du roi, et je trouvai même le lendemain au matin de la consternation dans les esprits les plus échauffés du Parlement. Mais ce qui l'augmenta fut que l'on eut avis en même temps qu'Erlac (1) avait passé la Somme avec quatre mille Allemands. Et comme dans les émotions populaires une mauvaise nouvelle n'est jamais seule, l'on en publia cinq ou six de même nature, qui me firent connaître que j'aurais encore plus de peine à soutenir les esprits que je n'en avais eu à les retenir.

Je ne me suis guère trouvé dans tout le cours de ma vie plus embarrassé que dans cette occasion. Je voyais le péril dans toute son étendue, et je n'y voyais rien qui ne me parût affreux. Les plus grands dangers ont leurs charmes, pour peu que l'on aperçoive de gloire dans la perspective des mauvais succès; les médiocres dangers n'ont que des

(1) Il était gouverneur de Brisac, et commanda les troupes du duc de Weymar après la mort de ce duc.

« ZurückWeiter »