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que telle qui y plaît fort aujourd'hui, y déplaît demain à proportion. Ces raisons m'ont obligé jusqu'ici à vous presser de ne pas manquer l'occasion de la déclaration de M. de Turenne, pour engager le Parlement d'une manière qui le puisse fixer. Rien ne pouvait produire cet effet que la proposition de la paix générale, qui nous donnait lieu de demeurer armés dans le temps de la négociation.

» Quoique Don Gabriel ne soit pas Français, il sait assez nos manières pour ne pas ignorer qu'une proposition de cette nature, qui va à faire faire la paix à son roi malgré son consentement, demande de grands préalables dans un Parlement, au moins quand on la veut porter jusqu'à l'effet. Lorsqu'on ne l'avance que pour amuser les auditeurs, ou pour donner un prétexte aux particuliers d'agir avec plus de liberté, comme nous le fimes dernièrement, lorsque Don Joseph de Illescas eut son audience du Parlement, on la peut hasarder plus légèrement, parce que le pis est qu'elle ne fasse point son effet. Mais quand on pense à la faire effectivement réussir, et quand même on s'en veut servir, en attendant qu'elle réussisse, à fixer une compagnie, je mets en fait qu'il y a encore plus de perte à la manquer en la proposant plus légèrement, qu'il n'y a d'avantage à l'emporter en la proposant à propos. Le seul nom de l'armée de Weymar était capable d'éblouir dès le premier jour le Parlement. Je vous le dis, vous eùtes vos raisons de différer, je m'y suis soumis. Le nom et l'armée de M. de Turenne l'eussent encore apparemment emporté, il n'y a que trois ou quatre jours. Je vous le répétai, vous eûtes vos considérations pour attendre. Je les crois justes, je m'y suis rendu. Vous revintes hier à mon sentiment, et je ne m'en départis pas, quoique je connusse que la proposition dont il s'agissait avait déjà beaucoup perdu de sa fleur; mais je crus que nous l'eussions fait réussir, si l'armée de M. de Turenne ne lui eut pas manqué, non pas peut-être avec autant de facilité que les premiers jours, mais au moins avec la meilleure partie de l'effet qui nous était nécessaire. Cela n'est plus; qu'est-ce que nous avons pour appuyer dans le Parlement la proposition de la paix générale? Nos troupes? Vous voyez ce qu'ils nous en ont dit eux-mêmes aujourd'hui dans la grande chambre. L'ar

mée de M. de Longueville? Vous savez ce que c'est; nous la disons de sept mille hommes de pied, et de trois mille chevaux, et nous ne disons pas vrai de plus de la moitié : et vous n'ignorez pas que nous l'avons tant promise, et que nous l'avons si peu tenue que nous n'en oserions plus parler. A quoi nous servira donc de faire au Parlement la proposition de la paix générale, qu'à lui faire croire et dire que nous n'en parlons que pour rompre la particulière, ce qui sera le vrai moyen de la faire désirer à ceux qui n'en veulent point? Voilà l'esprit des compagnies, et plus de celle-là que de toute autre. Si nous exécutons ce que nous avions résolu, nous n'aurons pas quarante voix qui aillent à ordonner aux députés de revenir à Paris, en cas que la Cour refuse ce que nous lui proposerons. Tout le reste n'est que paroles qui n'engageront à rien le Parlement, dont la Cour sortira aussi par des paroles; et nous ferons croire à tout Paris et à Saint-Germain que nous avons un très-grand concert avec l'Espagne. »

Le président de Bellièvre ayant lu notre écrit en présence de M. et de madame de Bouillon, et de M. de Brissac qui revenait du camp, nous nous aperçumes en moins de rien que Don Gabriel, qui y était aussi présent, n'avait pas plus de connaissance de nos affaires que nous en pouvions avoir de celles de Tartarie. De l'esprit, de l'enjouement, de l'agrément, peut-être mème de la capacité mais je n'ai guère vu d'ignorance plus crasse, au moins par rapport aux matières dont il s'agissait. C'est une grande faute que d'envoyer de tels négociateurs. Il nous parut que M. de Bouillon ne contesta notre écrit, qu'autant qu'il fut nécessaire pour faire voir à Don Gabriel qu'il n'était pas de notre avis, dont je ne suis pas en effet, me dit-il à l'oreille; je vous en dirai demain la raison.

LIVRE II.

L était deux heures après minuit sonnées quand je retournai chez moi (1), et je trouvai pour rafraichissement une lettre de Laigues, où il n'y avait que deux ou trois lignes en lettres ordinaires

et dix-sept pages de chiffres. Je passai le reste de la nuit à la déchiffrer, et je ne rencontrai pas une syllabe qui ne me donnât une nouvelle douleur. La lettre était écrite de la main de Laigues, mais elle était en commun de Noirmoutier et de lui. La substance était que nous avions eu tout le tort du monde de souhaiter que les Espagnols ne s'avançassent pas dans le royaume; que tous les peuples étaient si animés contre Mazarin et si bien intentionnés pour le parti et pour la défense de Paris, qu'ils venaient de toutes parts au-devant d'eux; que nous ne devions point appréhender que leur marche nous fit tort dans le public; que M. l'archiduc était un saint, qui mourrait plutôt de dix mille morts que de prendre des avantages desquels on ne serait pas convenu; que M. de Fuensaldagne était un homme net, de qui dans le fond il n'y avait rien à craindre. La conclusion était que le gros de l'armée d'Espagne serait tel jour à Vadoncourt, l'avant-garde tel jour à Pont-à-Verre, qu'elle y séjournerait quelques autres jours, après lesquels M. l'archiduc faisait état de se venir poster à Dammartin; que le comte de Fuensaldagne leur avait donné des raisons si solides pour cette marche, qu'ils ne s'étaient pas pu défendre d'y donner les mains, et même de l'approuver; qu'il les avait priés de m'en donner part en mon particulier, et de m'assurer qu'il ne ferait rien que

(1) Année 1649.

de concert avec moi. Il n'était plus heure de se coucher quand j'eus déchiffré cette lettre : mais quand j'eusse été dans le lit je n'y aurais pas reposé, dans la cruelle agitation qu'elle me donna, et qui était aigrie par toutes les circonstances qui la pouvaient envenimer. Je voyais le Parlement plus éloigné que jamais de s'engager dans la guerre, à cause de la désertion de l'armée de M. de Turenne. Je voyais les députés à Ruel plus hardis que la première fois par le succès de leur prévarication. Je voyais le peuple de Paris aussi disposé à faire entrer l'archiduc qu'il l'eût pu ètre à recevoir M. le duc d'Orléans. Je voyais que ce prince, avec son chapelet toujours à la main, et Fuensaldagne avec son argent, y auraient en huit jours plus de pouvoir que nous tous. Je voyais que le dernier qui était un des plus habiles hommes, avait tellement mis la main sur Noirmoutier et sur Laigues, qu'il les avait comme enchantés. Je voyais que M. de Bouillon retombait dans ses premières propositions de porter toutes les choses à l'extrémité. Je voyais que la Cour, qui se croyait assurée du Parlement, y précipitait nos généraux par le mépris qu'elle recommençait d'en faire. Je voyais que toutes ces dispositions nous conduisaient à une sédition populaire qui étranglerait le Parlement, qui mettrait les Espagnols dans le Louvre, qui renverserait peut-être l'Etat. Et je voyais sur le tout que le crédit que j'avais chez le peuple et par M. de Beaufort et par moi-même, et les noms de Noirmoutier et de Laigues, qui avaient mon caractère, me donneraient le triste et le funeste honneur de ces fameux exploits, dans lesquels le premier soin du comte de Fuensaldagne serait de m'anéantir moi-même.

Je fus tout le matin dans ces pensées et je me résolus de les aller communiquer à mon père, qui depuis plus de vingt ans était retiré dans l'Oratoire et qui n'avait jamais voulu entendre parler de mes intrigues. Il me vint une pensée entre la porte Saint-Jacques et Saint-Magloire, qui fut de contribuer sous main en tout ce qui serait en moi à la paix, pour assurer l'Etat qui me paraissait sur le penchant de sa ruine, et de m'y opposer en apparence pour me maintenir avec le peuple, et pour demeurer toujours à la tête d'un parti non armé, que je pourrais armer et ne pas

armer dans la suite, selon les occasions. Cette imagination, quoique non digérée, tomba d'abord dans l'esprit de mon père, qui était naturellement fort modéré, et cela commença à me faire croire qu'elle n'était pas si extrême qu'elle me l'avait paru d'abord. Après l'avoir discutée, elle ne nous parut pas même si hasardeuse à beaucoup près, et je me ressouvins de ce que j'avais observé quelquefois, que tout ce qui paraît hasardeux et ne l'est pas, est presque toujours sage. Ce qui me confirma encore dans mon opinion, fut que mon père, qui avait reçu deux jours auparavant des offres avantageuses pour moi de la Cour, par la voie de M. de Liancourt, qui était à Saint-Germain, convenait que je n'y pourrais trouver aucune sûreté. Nous dégraissâmes, pour ainsi dire, notre proposition, nous la revètîmes de ce qui pouvait lui donner et de la couleur et de la force, et je me résolus de prendre ce parti et de l'inspirer dès l'après-dinée, s'il m'était possible, à MM. de Bouillon, de Beaufort et de La Mothe-Houdancourt.

M. de Bouillon remit l'assemblée jusqu'au lendemain. Je confesse que je ne me doutai point de son dessein, et que je ne m'en aperçus que le soir, où je trouvai M. de Beaufort très-persuadé que nous n'avions plus rien à faire qu'à fermer les portes de Paris aux députés de Ruel, qu'à chasser le Parlement, qu'à nous rendre maîtres de l'hôtelde-ville, et qu'à faire avancer l'armée d'Espagne dans nos faubourgs.

Comme le président de Bellièvre venait de m'avertir que madame de Montbazon lui avait parlé dans les mêmes termes, je me le tins pour dit, et je commençai là à connaître la sottise que j'avais faite de m'ouvrir au point que je m'étais ouvert en présence de Don Gabriel de Tolède chez M. de Bouillon. J'ai su depuis par lui-même qu'il avait été quatre ou cinq heures la nuit chez madame de Montbazon, à qui il avait promis vingt mille écus comptant et une pension de six mille, en cas qu'elle portât M. de Beaufort à ce que M. l'archiduc désirait de lui. Il n'oublia pas les autres. Il eut bon marché de M. d'Elbeuf; il donna des lueurs au maréchal de La Mothe de lui faire trouver des accommodements touchant le duché de Cardonne. Enfin je connus, le jour que nous nous assemblâmes, M. de Beaufort, M. de

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