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provinces et la capitale lui étaient soumises, où les armées étaient victorieuses, où les compagnies paraissaient de tout point impuissantes; qui l'eût dit, eût passé pour un insensé, je ne dis pas dans l'esprit du vulgaire, mais je dis entre les d'Estrées et les Senneterre. Il paraît un peu de sentiment, une lueur ou plutôt une étincelle de vie. Ce signe de vie, dans les commencements presque imperceptible, ne se donne point par Monsieur, il ne se donne point par M. le Prince, il ne se donne point par les grands du royaume, il ne se donne point par les provinces, il se donne par le Parlement, qui jusqu'à notre siècle, n'avait jamais commencé de révolution, et qui certainement aurait condamné par des arrèts sanglants celle qu'il faisait lui-même, si tout autre que lui l'eût commencé. Il gronda sur l'édit du tarif; et aussitôt qu'il eut seulement murmuré, tout le monde s'éveilla. On chercha en s'éveillant, comme à tâtons, les lois on ne les trouva plus. L'on s'effara, l'on cria, l'on se les demanda, et dans cette agitation les questions que Icurs explications firent naître, d'obscures qu'elles étaient et vénérables par leur obscurité, devinrent problématiques et delà à l'égard de la moitié du monde, odieuses. Le peuple entra dans le sanctuaire; il leva le voile qui doit toujours couvrir tout ce que l'on peut dire et tout ce que l'on peut croire du droit des peuples et de celui des rois, qui ne s'accordent jamais si bien ensemble que dans le silence. La salle du Palais profana ces mystères. Venons aux faits particuliers qui vous feront voir à l'œil ce détail.

Je n'en choisirai d'une infinité que deux, et pour ne vous pas ennuyer, et parce que l'un est le premier qui a ouvert la plaie, et que l'autre l'a beaucoup envenimée : je ne toucherai les autres qu'en courant.

Le Parlement qui avait souffert et même vérifié une trèsgrande quantité d'édits ruineux et pour les particuliers et pour le public, éclata enfin au mois d'août de l'année 1647, contre celui du tarif, qui portait une imposition générale sur toutes les denrées qui entraient dans la ville de Paris. Comme il avait été vérifié en la cour des aides il y avait plus d'un an, et exécuté en vertu de cette vérification, MM. du conseil s'opiniàtrèrent beaucoup à le soutenir. Connaissant que le Parlement était sur le point de faire

défense de l'exécuter, ou plutôt d'en continuer l'exécution, ils souffrirent qu'il fût porté au Parlement pour l'examiner, dans l'espérance d'éluder, comme ils avaient fait en tant d'autres rencontres, les résolutions de la compagnie. Ils se trompèrent, la mesure était comble, les esprits étaient échauffés, et tout allait à rejeter l'édit. La reine manda le Parlement; il fut par députés au Palais-Royal. Le chancelier prétendit que la vérification appartenait à la cour des aides le premier président (1) la contesta pour le Parlement. Le cardinal Mazarin, ignorantissime en toutes ces matières, dit qu'il s'étonnait qu'un corps aussi considérable s'amusât à des bagatelles; et vous pouvez juger si cette parole fut relevée.

Emeri ayant proposé une conférence particulière pour aviser aux expédients d'accommoder l'affaire, elle fut proposée le lendemain dans les chambres assemblées. Après une grande diversité d'avis, dont plusieurs allaient à la refuser, comme inutile et mème captieuse, elle fut accordée, mais vainement; l'on ne put convenir : ce que voyant le conseil, et craignant que le Parlement ne donnât arrêt de défense qui aurait infailliblement été exécuté par le peuple, il envoya une déclaration pour supprimer le tarif, afin de sauver au moins l'apparence à l'autorité du roi. L'on envoya quelques jours après cinq édits encore plus onéreux que celui du tarif, non pas en espérance de les faire recevoir, mais en vue d'obliger le Parlement à en revenir à celui du tarif. Il y revint effectivement en refusant les autres; mais avec tant de modifications que la Cour ne crut pas s'en pouvoir accommoder, et qu'elle donna, étant à Fontainebleau au mois de septembre, un arrêt du conseil d'en haut, qui cassa l'arrêt du Parlement, et qui leva toutes les modifications. La chambre des vacations y répondit par un autre, qui ordonna que celui du Parlement serait exécuté.

Le conseil voyant qu'il ne pouvait tirer aucun argent de ce côté-là, témoigna au Parlement, que puisqu'il ne voulait point de nouveaux édits, il ne devait pas du moins s'opposer à l'exécution de ceux qui avaient été vérifiés au

(1) Matthieu Molé, seigneur de Lassy et de Champlâtreux, né en 1584, et mort en 1656.

trefois dans la compagnie; et sur ce fondement, il remit sur le tapis une déclaration qui avait été enregistrée, il y avait deux ans, pour l'établissement de la chambre du domaine, qui était d'une charge terrible pour le peuple, et d'une conséquence encore plus grande. Le Parlement l'avait accordée ou par surprise ou par faiblesse. Le peuple se mutina, alla en troupes au Palais, maltraita de paroles le président de Thoré, fils d'Emeri. Le Parlement fut obligé de décréter contre les séditieux. La Cour ravie de le commettre avec le peuple, appuya le décret, par des régiments des gardes françaises et suisses. Le bourgeois s'alarma, monta dans les clochers des trois églises de la rue Saint-Denis, où les gardes avaient paru. Le prévôt des marchands avertit le Palais-Royal que tout est sur le point de prendre les armes. L'on fait retirer les gardes, en disant qu'on ne les avait posées que pour accompagner le roi qui devait aller en cérémonie à Notre-Dame. Il y alla effectivement en grande pompe dès le lendemain, pour couvrir le jeu; et le jour suivant il monta au Parlement, sans l'avoir averti que la veille extrêmement tard. Il y porta cinq ou six édits, tous plus ruineux les uns que les autres, qui ne furent communiqués aux gens du roi qu'à l'audience. Le premier président parla fort hardiment contre cette manière de mener le roi au Palais pour surprendre et pour forcer la liberté des suffrages.

Dès le lendemain les maîtres des requêtes, auxquels un de ces édits vérifiés par la présence du roi, avait donné douze collègues, s'assemblent dans le lieu où ils tiennent la justice, que l'on appelle des requêtes du Palais, et prennent une résolution très-ferme de ne pas souffrir cette création nouvelle. La reine les mande, les appelle de belles gens pour s'opposer à la volonté du roi; elle les interdit des conseils. Ils s'animent au lieu de s'étonner; ils entrent dans la grande chambre, et ils demandent qu'ils soient reçus opposants à l'édit de création de leurs confrères. On leur donna acte de leur opposition.

Les chambres s'assemblèrent le même jour pour examiner les édits que le roi avait fait vérifier en sa présence. La reine commanda à la compagnie de l'aller trouver par députés au Palais-Royal, et elle leur témoigna être sur

prise de ce qu'ils prétendaient toucher à ce que la présence du roi avait consacré ce furent les propres paroles du chancelier. Le premier président répondit que telle était la pratique du Parlement, et il en allégua les raisons tirées de la nécessité de la liberté des suffrages. La reine témoigna ètre satisfaite des exemples qu'on lui apporta; mais comme elle vit quelques jours après que les délibérations allaient à mettre des modifications aux édits, qui les rendaient presque infructueux, elle défendit par la bouche des gens du roi au Parlement, de continuer à prendre connaissance des édits jusqu'à ce qu'il eût déclaré en forme s'il prétendait donner des bornes à l'autorité royale. Ceux qui étaient pour l'intérêt de la Cour dans la compagnie se servirent adroitement de l'embarras où elle se trouva, pour répondre à cette question; ils s'en servirent, dis-je, adroitement pour porter les choses à la douceur, et pour faire ajouter aux arrêts qui portaient les modifications, que le tout serait exécuté sous le bon plaisir du roi. La clause plut pour un moment à la reine: mais quand elle connut qu'elle n'empêchait pas que presque tous les édits ne fussent rejetés par le commun suffrage du Parlement, elle s'emporta, et elle leur déclara qu'elle voulait que tous les édits, sans exception, fussent exécutés pleinement et sans aucunes modifications.

Dès le lendemain, M. le duc d'Orléans alla à la chambre des comptes, où il porta ceux qui la regardaient, et M. le prince de Conti, en l'absence de M. le Prince, qui était déjà parti pour l'armée, alla à la cour des aides, pour y porter ceux qui la concernaient.

J'ai couru jusqu'ici sur ces matières à perte d'haleine, quoique nécessaires à ce récit, pour me trouver plutôt sur une autre matière sans comparaison plus importante, et qui, comme je vous ai déjà dit ci-dessus, envenima toutes les autres. Ces deux compagnies que je vous viens de nommer, ne se contentèrent pas seulement de répondre à Monsieur et à M. le prince de Conti avec beaucoup de vigueur par la bouche de leur premier président, mais aussitôt la cour des aides députa vers la chambre des comptes, pour lui demander union avec elle pour la réformation de l'Etat. La chambre des comptes l'accepta, l'une et l'autre

s'assurèrent du grand conseil; et les trois ensemble, demandèrent la jonction au Parlement, qui leur fut accordée avec joie, et exécutée à l'heure même au Palais, dans la salle que l'on appelle de Saint-Louis.

La vérité est que cette union, qui prenait pour son motif la réformation de l'Etat, pouvait avoir fort naturellement celui de l'intérêt particulier des officiers; parce que l'un des édits dont il s'agissait portait un retranchement considérable de leurs gages; et la Cour, qui se trouva étonnée et embarrassée au dernier point de l'arrêt d'union, affecta de lui donner autant qu'elle put cette couleur, pour la décréditer dans l'esprit des peuples.

La reine ayant fait dire au Parlement par les gens du roi, que comme cette union n'était faite que pour l'intérêt particulier des compagnies, et non pas pour la réformation de l'Etat, comme on le lui avait voulu d'abord faire croire, elle n'y trouvait rien à dire, parce qu'il est toujours permis à tout le monde de représenter au roi ses intérêts, et qu'il n'est jamais permis à personne de s'ingérer du gouvernement de l'Etat. Le Parlement ne donna point dans ce panneau; et parce qu'il était aigri par l'enlèvement de Turcan et d'Argouges, conseillers au grand conseil, que la Cour fit prendre la nuit de l'avant-veille de la Pentecôte, et par celui de Lotin, Dreux et Guérin que l'on arrêta aussi incontinent après, il ne songea qu'à justifier et à soutenir son arrêt d'union par des exemples. Le président de Novion (1) en trouva dans les registres, et l'on était sur le point de délibérer sur l'exécution, quand Le Plessis-Guénegaut (2), secrétaire d'Etat, entra dans le parquet, et mit entre les mains des gens du roi, un arrêt du conseil d'en haut, qui portait en termes même injurieux, cassation de celui d'union des quatre compagnies. Le Parlement ayant délibéré ne répondit rien à cet arrêt du conseil que par un avis donné solennellement aux députés des trois autres compagnies, de se trouver le lendemain à deux heures de relevée dans la salle de Saint-Louis.

La Cour, outrée de ce procédé, s'avisa de l'expédient du monde le plus bas et le plus ridicule, qui fut d'avoir

(1) Nicolas Pothier, sieur de Novion, président à mortier, et puis premier président. (2) Henri de Guénegaut, mort en 1676.

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