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de son caractère. La nature lui avait fait l'esprit aussi grand que le cœur; la fortune en le donnant à un siècle de guerre, a laissé au second toute son étendue; la naissance, ou plutôt l'éducation dans une maison attachée et soumise au cabinet, a donné des bornes trop étroites au premier. On ne lui a pas inspiré de bonne heure les grandes et générales maximes, qui sont celles qui font et qui forment ce que l'on appelle l'esprit de suite. Il n'a pas eu le temps de les prendre par lui-même, parce qu'il a été prévenu dès sa jeunesse par la chute imprévue des grandes affaires et par l'habitude au bonheur. Ce défaut a fait, qu'avec l'âme du monde la moins méchante, il a fait des injustices; qu'avec le cœur d'Alexandre il n'a pas été exempt, non plus que lui, de faiblesses; qu'avec un esprit merveilleux il est tombé dans des imprudences; qu'ayant toutes les qualités de François de Guise, il n'a pas servi l'Etat en de certaines occasions, aussi bien qu'il le devait, et qu'ayant toutes celles de Henri du mème nom, il n'a pas poussé la faction où il le pouvait. Il n'a pu remplir son mérite, c'est un défaut, mais il est rare, mais il est beau.

M. DE LONGUEVILLE ayait, avec le beau nom d'Orléans, de la vivacité, de l'agrément, de la dépense, de la libéralité, de la justice, de la valeur, de la grandeur : et il ne fut jamais qu'un homme médiocre, parce qu'il eut toujours des idées qui furent infiniment au-dessus de sa capacité. Avec la capacité et les grands desseins l'on n'est jamais compté pour rien quand on ne les soutient pas, l'on n'est pas compté pour beaucoup, et c'est ce qui fait le médiocre.

M. de Beaufort n'en était pas jusqu'à l'idée des grandes affaires, il n'en avait que l'intention. Il en avait ouï parler aux importants, et il avait un peu retenu de leur jargon, et cela mèlé avec les expressions qu'il avait tirées trèsfidèlement de madame de Vendôme, formait une langue qui aurait déparé le bon sens de Caton. Le sien était court et lourd, et d'autant plus qu'il était obscurci par la présomption. Il se croyait habile, et c'est ce qui le faisait paraître artificieux, parce que l'on connaissait d'abord qu'il n'avait pas assez d'esprit pour cette fin. Il était brave de sa

personne, et plus qu'il n'appartient à un fanfaron; il l'était en tout sans exception et jamais plus faussement qu'en galanterie. Il parlait, il pensait comme le peuple, dont il fut l'idole quelque temps. Vous en verrez les raisons.

M. D'ELBEUF n'avait du cœur que parce qu'il est impossible qu'un prince de la maison de Lorraine n'en ait point. Il avait tout l'esprit qu'un homme qui a beaucoup plus d'art que de bon sens peut avoir. C'était le galimatias du monde le plus fleuri. Il a été le premier prince que sa pauvreté a avili; et peut-être jamais homme n'a eu moins que lui l'art de se faire plaindre dans sa misère. La commodité ne le releva pas, et s'il fut parvenu jusqu'à la richesse, on l'eut envié comme un partisan, tant la gueuserie lui paraissait propre et faite pour lui.

M. DE BOUILLON était d'une valeur éprouvée et d'un sens profond. Je suis persuadé, par ce que j'ai vu de sa conduite, que l'on a fait tort à sa réputation quand on l'a décriée. Je ne sais si l'on n'a pas fait quelque faveur à son mérite en le croyant capable de toutes les grandes choses qu'il n'a point faites.

M. DE TURENNE a eu dès sa jeunesse toutes les bonnes qualités et il a acquis les grandes d'assez bonne heure. Il ne lui en a manqué aucune que celles dont il ne s'est point avisé. Il avait presque toutes les vertus comme naturelles ; il n'a jamais eu le brillant d'aucune. On l'a cru plus capable d'être à la tète d'une armée que d'un parti, et je le crois aussi, parce qu'il n'était pas naturellement entreprenant, mais toutefois, qui le sait ? Il a toujours eu en tout, comme en son parler, de certaines obscurités qui ne se sont développées que dans les occasions, mais qui ne s'y sont jamais développées qu'à sa gloire.

Le maréchal DE LA MOTHE avait beaucoup de cœur. Il était capitaine de la seconde classe; il n'était pas homme de beaucoup de sens; il avait assez de douceur et de facilité dans la vie civile; il était très-utile dans un parti, parce qu'il y était très-commode.

J'oubliais presque M. le prince DE CONTI, ce qui est un bon signe pour un chef de parti. Je ne crois pas vous le pouvoir mieux dépeindre qu'en vous disant que (1).

(1) Il y a ici cinq lignes effacées.

Ce chef de parti était un zéro qui ne multipliait que parce qu'il était prince du sang : voilà pour le public. Pour ce qui est du particulier, la méchanceté faisait en lui ce que la faiblesse faisait en M. le duc d'Orléans. Elle inondait toutes les autres qualités, qui n'étaient d'ailleurs que médiocres et toutes semées de faiblesses.

Il y a toujours eu du je ne sais quoi en M. DE LA ROCHEFOUCAULD. Il a voulu se mêler d'intrigues dès son enfance et en un temps où il ne sentait pas les petits intérêts, qui n'ont jamais été son faible, et où il ne connaissait pas les grands, qui d'un autre sens n'ont pas été son fort. Il n'a jamais été capable d'aucunes affaires, et je ne sais pourquoi; car il avait des qualités qui eussent suppléé en tout autre celles qu'il n'avait pas (1).

Sa vue n'était pas assez étendue, et il ne voyait pas même tout ensemble ce qui était à sa portée mais son bon sens, très-bon dans la spéculation, joint à sa douceur, à son insinuation, et à sa facilité de mœurs, qui est admirable, devait récompenser plus qu'il n'a fait le défaut de sa pénétration. Il a toujours eu une irrésolution habituelle ; mais je ne sais mème à quoi attribuer cette irrésolution. Elle n'a pu venir en lui de la fécondité de son imagination, qui n'est rien moins que vive. Je ne la puis donner à la stérilité de son jugement: car quoiqu'il ne l'ait pas exquis dans l'action, il a un bon fond de raison. Nous voyons les effets de cette irrésolution, quoique nous n'en connaissions pas la cause. Il n'a jamais été guerrier, quoiqu'il fût trèssoldat. Il n'a jamais été par lui-même bon courtisan, quoiqu'il ait eu toujours bonne intention de l'être. Il n'a jamais été bon homme de parti, quoique toute sa vie il y ait été engagé. Cet air de honte et de timidité, que vous lui voyez dans la vie civile, s'était tourné dans les affaires en air d'apologie. Il croyait toujours en avoir besoin; ce qui joint à ses maximes, qui ne marquent pas assez de foi à la vertu, et à sa pratique, qui a toujours été à sortir des affaires avec autant d'impatience qu'il y était entré, me fait conclure qu'il eût beaucoup mieux fait de se connaître et de se réduire à passer comme il eut pu, pour le courtisan le (1) Il y a deux lignes effacées.

plus poli et pour le plus honnête homme à l'égard de la vie commune, qui eût paru dans son siècle.

Madame DE LONGUEVILLE a naturellement bien du fond d'esprit; mais elle en a encore plus le fin et le tour. Sa capacité, qui n'a pas été aidée, par sa paresse (1), n'est pas allée jusqu'aux affaires dans lesquelles la haine contre M. le Prince l'a portée, et dans lesquelles la galanterie l'a maintenue. Elle avait une langueur dans ses manières, qui touchait plus que le brillant de celles mèmes qui étaient plus belles. Elle en avait une mème dans l'esprit, qui avait ses charmes, parce qu'elle avait, si l'on peut le dire, des réveils lumineux et surprenants. Elle eût eu peu de défauts, si la galanterie ne lui en eùt donné beaucoup. Comme sa passion l'obligea de ne mettre la politique qu'en second dans sa conduite, d'héroïne d'un grand parti, elle en devint l'aventurière. La grâce a rétabli ce que le monde ne lui pouvait rendre (2).

Madame DE CHEVREUSE (3) n'avait plus même de reste de beauté, quand je l'ai connue. Je n'ai jamais vu qu'elle en qui la vivacité suppléât au jugement. Elle lui donnait même assez souvent des ouvertures si brillantes, qu'elles paraissaient comme des éclairs; et si sages qu'elles n'eussent pas été désavouées par les plus grands hommes de tous les siècles. Ce mérite toutefois ne fut que d'occasion. Si elle fût venue dans un siècle où il n'y eût point eu d'affaire, elle n'eût pas seulement imaginé qu'il y en pût avoir. Jamais personne n'a moins fait d'attention sur les périls, et jamais femme n'a eu plus de mépris pour les scrupules et pour les devoirs.

Mademoiselle DE Chevreuse (4), qui avait plus de beauté que d'agrément, était sotte jusqu'au ridicule par son naturel.

Je ne crois pas que la reine ELISABETH d'Angleterre ait eu plus de capacité que madame la PALATINE (5) pour con

(1) C'est-à-dire, à cause de sa paresse.

(2) Madame de Longueville finit sa vie dans l'austérité des pratiques chrétiennes : malheureusement ce fut sous une direction janséniste!

(N. E.)

(3) Marie de Rohan, fille d'Hercule de Rohan, duc de Montbazon, et de Madeleine de Lenoncourt. Elle naquit en 1600; elle épousa en 1617 Charles d'Albert, duc de Luynes, et prit, en 1624, une seconde alliance avec Claude de Lorraine, duc de Chevreuse. Elle est morte au mois d'août 1679.

(4) Charlotte-Marie, dite mademoiselle de Chevreuse.

(5) Anne de Gonzague de Clèves, mariée en 1645 avec Edouard de Bavière, prince Palatin du Rhin. Elle était fille de Charles, duc de Mantoue-Nevers.

duire un Etat. Je l'ai vue dans la faction, je l'ai vue dans le cabinet, et je lui ai trouvé partout également de la sincérité.

Madame DE MONTBAZON était d'une très-grande beauté; la modestie manquait à son air. Sa morgue, si l'on peut le dire, et son jargon, eussent suppléé dans un temps calme à son peu d'esprit. Elle n'aimait rien que son plaisir, et au-dessus de son plaisir son intérêt. Je n'ai jamais vu une personne qui ait conservé dans le vice si peu de respect pour la vertu.

Si ce n'était pas une espèce de blasphème de dire qu'il y a quelqu'un dans notre siècle, plus intrépide que le grand Gustave et M. le Prince, je dirais que ç'a été M. MOLÉ, premier président. Il s'en est fallu de beaucoup que son esprit n'ait été aussi grand que son cœur; il ne laissait pas d'y avoir quelques rapports par une ressemblance qui n'y était toutefois qu'en laid. Je vous ai déjà dit qu'il n'était point congru dans sa langue, et il est vrai mais il avait une sorte d'éloquence qui en choquant l'oreille saisissait l'imagination. Il voulait le bien de l'Etat préférablement à toutes choses, mème à celui de sa famille, quoiqu'il parût l'aimer trop pour un magistrat; mais il n'eut pas le génie assez élevé pour connaître d'assez bonne heure le bien qu'il eut pu faire. Il présuma trop de son pouvoir il s'imagina qu'il modérerait la Cour et sa compagnie. Il ne réussit à l'un ni à l'autre il se rendit suspect à tous les deux, et ainsi il fit du mal avec de bonnes intentions. La préoccupation y contribua beaucoup; elle était extrême en tout, et j'ai même observé qu'il jugeait toujours des actions par les hommes, mais presque jamais des hommes par les actions. Comme il avait été nourri dans les formes du Palais, tout ce qui était extraordinaire lui était suspect. Il n'y a guère de disposition plus dangereuse en ceux qui se rencontrent dans les affaires où les règles ordinaires n'ont plus de lieu.

Le peu de part que j'ai eu dans celles dont il s'agit en ce lieu, me pourrait peut-être donner la liberté d'ajouter ici mon portrait mais outre que l'on ne se connaît jamais assez bien pour se peindre naturellement soi-même, je Vous confesse que je trouve une satisfaction si sensible à

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