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hasard. Sans expérience de la vie publique, ayant un jour seulement entrevu la lumière de la liberté, pouvait-il, après de si désastreuses épreuves, rester à nos pères beaucoup de foi en eux-mêmes? S'ils étaient épuisés, c'est qu'ils avaient beaucoup souffert et longtemps combattu. Et puis, à quel homme se donnaient-ils! Vous venez de l'entendre, mais eux ils l'avaient vu! Les échos des Alpes et du Nil redisaient depuis quatre ans la gloire de ce capitaine sans pareil. Cette gloire était devenue déjà une partie du patrimoine de la nation. Mille témoins racontaient de quelle merveilleuse association de talents la Providence l'avait doté général, politique, administrateur, diplomate, il avait montré déjà, dans toutes les carrières de la vie publique, un incomparable génie. On lui savait enfin toutes les grandes qualités de la nature de l'homme : le goût des lumières, de l'expérience et du mérite; le mé pris des utopistes, des intrigants et des fripons; un penchant irrésistible vers tout ce qui était noble; un dégoût insurmontable de tout ce qui était bas; la haine du désordre; une probité à toute épreuve; un respect religieux des deniers publics. Il n'avait montré enfin jusquelà que de généreuses passions, et nos pères éblouis pouvaient se dire: La postérité quelque jour oubliera notre faiblesse en considérant nos malheurs et sa gloire !

C'est ainsi que se fit le 18 brumaire, et aussitôt commencèrent ces belles années du Consulat, qui purent un moment faire croire à ceux qui les traversèrent, qu'un pouvoir absolu, tout absolu qu'il fût, était capable d'être sage, attendant que bientôt on vît une fois de plus qu'il y contradiction entre ces choses, que l'omnipotence est fu neste au génie lui-même, et qu'il n'y a pour les nations

de sécurité réelle à attendre que de leur propre sagesse. Mais voilons un triste avenir, et partageons un moment nous aussi la confiance et l'admiration sans réserve de l'immense majorité des contemporains.

p.

Le Premier Consul, à son avénement, se trouvait comme Sully, comme Colbert, comme Turgot, comme tous ceux qui arrivent au pouvoir après de longs désordres, en présence d'une fortune publique tout entière à reconstituer. Il n'y avait, le soir du 18 brumaire, que cent soixante mille francs en numéraire dans les caisses de l'État. La rente à 5 était tombée à dix francs. Depuis près d'un an, l'armée n'avait pas touché de solde, ni les employés des ministères de traitement. Le déficit était de cent millions. Depuis quatre ans au moins, sur des budgets de six cents millions, le recouvrement de l'impôt n'avait fait rentrer, dans chacune de ces années, que trois cent cinquante millions environ, effectifs. Cependant la Convention et le Directoire avaient eu, pour vivre, recours à une multitude d'expédients, comme l'emprunt progressif forcé, des créations sans bornes et sous toutes formes de papier-monnaie, des confiscations, des réquisitions, etc., etc., qui avaient épuisé le contribuable, éteint le crédit et jeté dans la circulation une masse de valeurs qui perdaient sur place de cinquante à quatre-vingts pour cent; ces valeurs, comme autrefois les billets de Law ou plus récemment les assignats, donnaient lieu à un agiotage aussi funeste à l'État qu'aux particuliers, et la démoralisation financière de la nation était au comble aussi bien que sa détresse.

C'était évidemment ce chaos qu'il fallait commencer par débrouiller pour parvenir à faire renaître la prospérité publique.

Le Premier Consul n'avait point eu dans les camps le loisir d'étudier en détail les secrets de l'administration des finances; mais la nature l'avait doué de ce coup d'œil du génie qui, en toute matière, discerne à première vue le vrai du faux. Pourvu qu'il eût sous la main un homme de bien, possédant les connaissances spéciales qui lui manquaient, il était certain que son extraordinaire bon sens ferait le reste. Il chercha cet homme, non parmi les novateurs, les faiseurs de théories, les utopistes, les beaux esprits du laissez faire et du laissez passer, il avait lu leurs ouvrages; mais parmi ceux des anciens employés des finances, qui avaient pu s'instruire de ce qu'il avait besoin de savoir, à l'école de la tradition et des faits. Car il était de ce profond avis qu'il n'a cessé de répéter sous toutes les formes jusqu'à la fin de sa carrière, que la grande manière d'innover, c'est de continuer les œuvres du passé en les améliorant.

Siéyès lui présenta M. Gaudin, depuis duc de Gaëte, ancien premier commis des finances sous Necker, de Calonne et Brienne, et dont l'expérience, sous la Terreur avait souvent éclairé Cambon. Dès les premières conversations, le Premier Consul apprécia ce que M. Gaudin valait, et il se mit avec lui à restaurer les finances.

Et comment s'y prirent-ils? Inventèrent-ils des combinaisons imprévues, se jetèrent-ils dans des expériences extraordinaires? Point du tout. M. Gaudin exposa au Premier Consul quel était le mécanisme financier de l'ancienne monarchie; il lui fit connaître l'ensemble des procédés divers dont on se servait alors pour l'établissement, la répartition et le recouvrement de l'impôt, quelles institutions de crédit différentes on avait essayées, quel en avait

été le sort, ce que la révolution avait bouleversé dans ce mécanisme, dans ces procédés, dans ces institutions, ce qu'elle en avait conservé, et ce fut sur ce tableau du passé que le Premier Consul jugea ce qu'il convenait de faire, non pas seulement pour le présent, mais pour toujours. Il revint d'abord à toutes les méthodes d'impôt et à toutes les formes de perception que la révolution avait détruites.

L'emprunt progressif notamment, dès le 27 brumaire, fut remplacé par une subvention extraordinaire, fixée au quart des contributions foncières et mobilières, et payable pour moitié en valeurs dépréciées. A cet abandon explicite des expédients, le crédit reparut sur l'heure même, et des maisons de banque vinrent offrir au gouvernement de lui avancer des sommes considérables en espèces. Bientôt. des mesures empreintes du même esprit, comme la centralisation à Paris du payement des fournitures, le rétablissement des cautionnements en numéraire, et autres semblables, consolidèrent la confiance renaissante, en montrant à tout le monde que l'ère des dilapidations était finie; et ce premier et indispensable succès obtenu, le général Bonaparte et son ministre purent porter la main à la réorganisation même du système financier de l'État.

Il ne manqua pas de donneurs d'avis dans cette occasion pour offrir au Premier Consul des plans de régénération universelle.

L'un des auteurs du traité de 1786, de Calonne en personne, lui fit remettre un mémoire dans lequel il lui offrit de le tirer de peine; mais le Premier Consul préféra les leçons de l'expérience et de l'histoire.

Le recouvrement des impôts ne se faisait, depuis plusieurs

années, que sur d'anciens rôles dont l'inexactitude faisait de chaque cote une origine de procès. Tous les rôles furent refaits. La révolution, donnant dans l'utopie de l'impôt unique, n'avait chargé que la propriété foncière. Le Premier Consul, à qui l'histoire avait appris, comme à Montesquieu, que « les droits sur les marchandises sont ceux << que les peuples sentent le moins, parce qu'on ne leur « fait pas une demande formelle... et que l'acheteur qui, « dans le fond, paye ces droits, les confond avec le prix de la << marchandise,» résolut d'atteindre également par l'impôt tous les genres de revenus, et de rétablir en les améliorant les contributions indirectes. Cette restauration était toute une révolution, à cause de l'éloignement du peuple pour ce genre d'impôt. Il tint sagement compte du préjugé, et réservant pour plus tard l'achèvement de cette sage et grande mesure, il créa les octrois à la porte des villes, les chargea de subvenir aux besoins des hôpitaux, et prépara de la sorte dans les esprits le retour aux vrais principes de l'impôt.

Mais il ne suffisait pas de remettre l'ordre dans l'assiette et dans le recouvrement des contributions; si le crédit naît de l'ordre, il ne se soutient ni ne se développe qu'à l'aide d'institutions.

L'ancien régime fournit encore au Premier Consul le modèle de presque tout ce qu'il avait à faire en ce genre. Il mit avec son tact supérieur la main sur deux établissements de crédit, qui, non-seulement convenaient aux temps nouveaux comme aux temps anciens, mais à tous les temps. Nous avons vu que Colbert autrefois avait obligé les receveurs généraux à souscrire à l'avance certains engagements envers l'État. M. Gaudin proposa au

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