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des erreurs de conversation ou de plume: le vrai Turgot de l'histoire, c'est ce grand et courageux administrateur qui s'en vint, du fond de son intendance de Limoges, à Paris, offrir à Louis XVI de rendre les horreurs de la révolution inutiles, de sauver la monarchie en la réformant, de satisfaire à tout ce qu'il y avait de légitime et d'élevé dans les vœux de la nation, sans lui faire acheter ce progrès au prix de flots de sang; de fonder l'égalité de l'impôt et de préparer l'avenir de la liberté politique et celui de la liberté des cultes, sans qu'il en coûtât rien qu'au privilége et à l'iniquité; et qui enfin, après avoir tracé ce programme, en remplit de telle sorte, durant le peu de temps que Louis XVI le conserva, les premières promesses, qu'à son éternel honneur, ce doute est resté de savoir, si, maître d'agir jusqu'au bout, il n'eût pas réussi.

Il commença par une lettre à son infortuné souverain, où, le suppliant de « s'armer de sa bonté contre sa bonté « même », il l'adjura, mais en vain, hélas ! d'être ferme et persévérant. Fermeté et persévérance! que de choses étaient possibles, quelque terrible que fût alors la situation morale et matérielle de la France, si Louis XVI en eût montré. Il parut en avoir à peu près deux ans : voici ce que Turgot, dévorant le temps, comme secrètement averti qu'il ne durerait pas, parvint, pendant ce rapide intervalle, à réaliser, pour un moment au moins, de réformes et de bienfaits.

Les finances étaient, à l'avénement de Louis XVI, comme à celui de la plupart de ses prédécesseurs, la partie de l'administration qui réclamait de la manière la plus urgente les lumières d'un homme de bien. L'abbé Terray avait

laissé, outre une dette flottante nouvelle de quatre-vingts millions et un déficit courant de vingt-deux, une masse de charges parasites qui, sous le nom de dons, de pensions, de croupes, etc., écrasaient le contribuable, en épuisant le Trésor. Turgot, en présence d'une telle situation, conseilla et fit, tant qu'il dura, suivre à Louis XVI la seule marche honorable et sûre qui pût, avec le temps, relever l'Etat de cette ruine, ce fut de se mettre énergiquement à réduire la dépense au-dessous de la recette. Point de banqueroute, point d'augmentation d'impôts, point d'emprunts, dit-il, dès le début, à Louis XVI; sans cela, le premier coup de canon amènera la faillite et du Trésor et du crédit. Des retranchements de dépenses, de l'ordre, de l'ordre et encore de l'ordre, et la fortune publique sera sauvée! En deux ans, avec ce système, il avait déjà payé vingt-quatre millions de la dette exigible arriérée, remboursé cinquante millions de la dette constituée et éteint pour près de trente millions de la dette flottante. C'était beaucoup : Colbert seul autrefois avait agi avec cette rapidité et ce

succès.

Mais Turgot savait, autant qu'homme de son siècle, que l'âme de toute prospérité en finances est le crédit. Les aventures de Law avaient instruit bien du monde en cette matière. On avait fait, avec le temps, la part de l'exagération du Système, et on était venu à reconnaître ce qu'en principe il avait de bon. Le souvenir de la première banque d'escompte, par où l'ingénieux Écossais avait commencé ses opérations, était resté dans les esprits. Turgot surtout, qui, dans son intendance du Limousin, avait vu de près ce que c'était que l'usure des traitants et des petits prêteurs, avait été frappé des avantages de cette banque.

Louis XVI, sur son conseil, permit à un financier, nommé Besnard, d'en établir une analogue qui, sous le nom de caisse d'escompte, s'engagea à escompter toutes lettres de change et autres effets commerçables, dont les endosseurs lui présenteraient garantie, à un taux maximum d'intérêt de quatre pour cent l'an; et, en outre, à se charger en recette et en dépense des deniers, caisses et payements des particuliers qui le désireraient, et cela sans aucune commission. Une compagnie d'actionnaires, au capital de quinze millions de livres, se constitua sous la direction de Besnard pour exploiter cette banque, et Turgot en rédigea les statuts, qui depuis, ont servi en partie de modèle à l'organisation de la Banque de France.

Cependant l'usure n'était pas le seul fléau du travail et du commerce, en France, tant s'en faut. Le règne de Louis XV avait aggravé tous les procédés fiscaux, même les plus odieux, de l'ancien régime; ainsi, par exemple, la contrainte solidaire par corps, loi cruelle s'il en fût, par laquelle les receveurs de tailles étaient autorisés à choisir plusieurs habitants parmi les plus haut imposés d'une paroisse, pour les contraindre à payer, même par voie de prise de corps, ce que cette paroisse, soit par infidélité, soit par insolvabilité du collecteur, se trouvait devoir sur ses impositions. Cette loi très-ancienne était exécutée par les percepteurs des contributions avec la dernière rigueur, et elle entraînait, dans les campagnes surtout, la ruine des contribuables. Turgot l'abrogea. Il en fit autant de vingt ou trente autres droits établis sur des travaux d'utilité publique ou sur les transactions commerciales, qui étouffaient le développement de l'industrie et de l'agriculture convaincu, répétait-il, et avec la plus haute raison,

à Louis XVI, qu'en fait d'établissement et de collection d'impôts, la modération est toujours d'accord avec l'intérêt.

C'est dans ce même esprit qu'il fit ordonner encore la suppression de la plus dure et de la plus coûteuse des charges que l'esprit mal entendu de l'administration financière de l'ancienne monarchie eût établies sur le travail de la population: la corvée.

On sait ce que c'était que la corvée, c'était un impôt en journées de travail prélevé sur la partie de la population qui, par sa misère, échappait à l'impôt en argent, pour la confection et l'entretien des grandes routes. L'odieux de la manière dont se percevait cet impôt égalait seul l'iniquité et la maladresse de son institution. Turgot proposa à Louis XVI de le supprimer et de le remplacer par une contribution en argent, payée par tous les propriétaires de biens fonds, nobles et autres, sans exception. Mais ce fut là qu'il éprouva de la part des classes privilégiées, qui vivaient des abus du temps, les premières résistances qu'il avait bien prévues et contre lesquelles il avait si éloquemment supplié Louis XVI de s'armer de fermeté. Un de ses collègues même, le garde des sceaux Miroménil, son ennemi secret, se fit contre lui, dans le Conseil, l'avocat des corvées. Mais Turgot, dans une réponse où la plus vigoureuse dialectique était mise au service de la raison et de l'humanité, réduisit à néant l'étrange plaidoyer de Miroménil, et Louis XVI signa l'édit de suppression, malgré les clameurs de sa cour. Heureux si la noblesse de son cœur eût toujours trouvé cet appui dans l'énergie de sa volonté !

Turgot l'emportait; mais ces réformes, tout impor

tantes qu'elles fussent, n'étaient rien encore en comparaison de celles qu'il avait résolu de réaliser. Il en était quatre surtout dont les temps étaient évidemment venus, et qu'il avait inscrites en tête de son programme, en acceptant le ministère : c'étaient l'abolition des douanes provinciales, l'établissement de la liberté du commerce des blés, celui de la liberté du travail, et enfin la suppression de toute exemption, privilége ou inégalité en matière d'impôt.

On se rappelle quelles difficultés de tout genre avait autrefois trouvées Colbert à abolir les douanes provinciales. Bien que tout un siècle se fût écoulé depuis lui, ces difficultés, à l'époque de Turgot, étaient encore immenses. Les prétentions des pays d'Etats, les habitudes commerciales des provinces réputées étrangères, de celles de dernière réunion surtout, comme l'Alsace et la Lorraine, par exemple, étaient toujours de graves obstacles à la réalisation d'une telle entreprise. Turgot le savait. Il n'y a pas de doute qu'il ne fût parfaitement résolu à les briser et à constituer cette unité commerciale de la nation sans laquelle la constitution définitive de son unité politique était imparfaite et le développement harmonieux des éléments divers de sa prospérité, impossible; mais il savait aussi qu'une telle réforme n'était réalisable qu'à mesure, et dans le cours d'un long ministère. Il passa si vite qu'il n'eut le temps que d'y mettre la main; il l'y mit cepen dant, d'une manière qui témoigne de ce qu'il aurait pu faire en ce genre, s'il eût duré davantage.

Il donnait, comme nous avons vu, dans l'erreur spéculative de Quesnay, qu'il n'y a que la terre qui soit une source effective de richesse; mais cette erreur avait du

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