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à prendre pour le tiers Etat. Il était la nation même, à quelques personnes privilégiées près. Il n'avait qu'à proclamer ce grand fait, et, s'armant de l'imprescriptible et incontestable droit qu'il lui donnait, à s'emparer du pouvoir et à se mettre à accomplir une réorganisation civile, économique et politique de la société, qui n'était légitime, sûre, ni possible, que par les mains de cette société même.

C'est à leur honneur, vous le savez, ce que nos pères firent, le 20 juin, dans l'impérissable séance qui vit le serment du Jeu de Paume.

L'Assemblée constituante une fois établie, son œuvre consistait à transformer les vœux des cahiers en lois de l'Etat : elle commença cette œuvre sur-le-champ.

Mais, parmi ces vœux, il en était de deux sortes : les uns négatifs, qui n'appelaient qu'une proclamation publique de la déchéance d'intolérables abus, c'est-à-dire de tous les priviléges directs ou indirects qui constituaient le régime féodal: cette tâche était simple, d'un mot l'Assemblée pouvait l'accomplir; mais l'autre partie des vœux de la nation, tous ceux qui demandaient la création d'institutions nouvelles, comme l'unité commerciale du territoire, la rédaction d'un tarif protecteur, etc., tout cela exigeait une délibération plus lente. De là, deux phases dans la vie parlementaire de la Constituante : l'une, où elle détruit les abus; l'autre, où, sur leurs ruines, elle édifie l'état de société nouveau.

Une nuit en finit en principe avec les priviléges: ce fut la nuit du 4 août.

On sait quel spectacle donnèrent, dans cette séance, les classes privilégiées. Le monde d'abus où et dont elles

avaient vécu tant de siècles s'effondrait sous leurs pieds. A la seule nouvelle des résistances que rencontrait le tiers Etat à faire reconnaître les titres de l'affranchissement public, les provinces s'étaient soulevées, les villages s'étaient rués, la torche à la main, sur les châteaux, encore quelques jours et la jacquerie était universelle. C'est dans ces circonstances que la noblesse, se donnant l'honneur de devancer en cela le clergé, vint apporter sur l'autel de la patrie, comme on disait dans le langage du temps, la renonciation à tous ses prétendus droits, et offrir d'ellemême l'abolition de la servitude, de la main-morte, des juridictions seigneuriales, du droit exclusif de chasse, des pensions obtenues sans titres, l'égalité de tous les citoyens et de toutes les propriétés devant l'impôt, le rachat de la dime, etc.

A Dieu ne plaise que nous prétendions nier l'émotion sincère de parole comme de pensée qui, dans cette nuit célèbre, anima le vicomte de Noailles, le duc d'Aiguillon, le marquis de Foucault et tous ceux qu'ils entraînèrent. Mais l'histoire, en leur donnant acte de la noblesse de sentiment et de langage avec laquelle ils effectuèrent cette rentrée publique de leur ordre dans le sein, non pas seulement de la nation, mais de la morale universelle, s'abaisserait et les abaisserait eux-mêmes, en ajoutant une seule parole d'éloge à leur conduite. La noblesse laïque et ecclésiastique, en 1789, n'a point fait de sacrifices à l'Etat, comme on l'a quelquefois dit. Ses soi-disant droits n'étaient que d'abominables abus; et tous ceux qui, depuis le dixième siècle, avaient, de père en fils, profité de ces abus, n'avaient qu'une chose à faire dans la nuit du 4 août, c'était de demander pardon à Dieu et aux

hommes d'avoir si longtemps méconnu les droits de l'humanité.

Ce grand acte de justice sociale accompli, la Constituante, en matière économique, avait à procéder à l'exécution de quatre projets, dont le vœu se trouvait dans tous les cahiers du tiers État, et l'esprit dans l'âme de tous ses membres : l'établissement définitif de la liberté du travail ; la réunion de toutes les provinces sous un seul et même régime commercial; la rédaction d'un tarif de douanes qui protégeât la France, désormais réunie en un seul corps de nation, contre les peuples étrangers; enfin, l'organisation d'un système de gouvernement qui mît la nation ellemême en possession de son inaliénable et imprescriptible droit de surveiller la gestion de ses intérêts agricoles, industriels, maritimes et commerciaux.

La question de la liberté du travail était, en France, à l'époque de la convocation des États généraux, irrévoca

blement vidée.

Turgot, dans le préambule de son célèbre édit, avait instruit le procès des règlements et des corporations de manière, à cet égard, à ne plus laisser rien à dire à personne. Il n'avait réussi à les supprimer qu'un moment, comme nous avons vu; et bientôt les imperfections de détail de son édit, toutes réparables qu'elles fussent, avaient été, pour les partisans des priviléges, un prétexte à les faire rétablir. Il n'avait pas pris, avait-on dit dans son temps, les mesures préalables nécessaires pour assurer aux communautés le remboursement des créances qu'elles avaient sur le Trésor, il n'avait pas liquidé la finance des offices, il avait alarmé les nombreux créanciers des corporations, en n'expliquant pas d'une manière suffisamment nette par

quels voies et moyens ils seraient désintéressés 1, et cette clameur avait fait tomber son œuvre. Mais, en 1791, ces considérations respectables, mais secondaires, étaient trop faibles pour balancer l'immense et légitime désir de réformes qui enflammait l'esprit public.

La Constituante, agissant révolutionnairement, et déterminée à assurer avant tout, et coûte que coûte, un grand principe de liberté publique, ferma les yeux sur les engagements du Trésor et sur les droits de quelques particuliers, quelque sacrés qu'ils fussent, et elle proclama la suppression pure et simple des règlements, maîtrises, corporations, jurandes et offices d'inspection industriels de tout genre. Bien plus, elle ne se contenta pas d'inscrire le principe de cette vaste réforme dans un décret spécial. Elle avait dit, dans son immortelle Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, que les distinctions sociales ne pouvaient être fondées que sur l'utilité commune, que la liberté consiste à pouvoir faire tout ce qui ne nuit pas à autrui, et que la loi n'a le droit de défendre que les actions nuisibles à la société la conservation du régime féodal de l'industrie eût été une contradiction monstrueuse à ces principes, la Constituante le sentit, et, pour qu'il n'y eût pas d'équivoque, elle répéta dans le préambule de sa constitution : « Il n'y a plus ni jurandes ni corporations. >>

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A-t-elle bien fait de procéder de la sorte? Devant l'histoire cela ne fait pas l'ombre d'un doute: « Salus libertatis « suprema lex esto. »

'Il est remarquable que Chaptal, en 1819 (De l'Industrie, t. II, p. 340), tout adversaire, bien entendu, qu'il fût des corporations, ait reproduit et appuyé ces critiques de l'édit de Turgot. Il semble pourtant que les articles 20, 22 et 23 de l'édit avaient pourvu à toutes les difficultés.

Mais, en proclamant l'inaliénable droit de tout homme à la propriété de son génie et de ses bras, en faisant de la libre et absolue concurrence entre les individus la seule et unique loi du travail, la Constituante a-t-elle énoncé le seul principe qui doive régir cette délicate et redoutable matière? Quant à nous, à une réserve près, nous le croyons.

La réserve dont nous voulons parler avait été inscrite dans les cahiers du tiers État qui avaient demandé une loi sur l'apprentissage et sur la condition des enfants et des femmes dans les manufactures.

L'Etat est le tuteur naturel et légal de tous les mineurs de la société ; et nous croyons que non-seulement c'est son droit, mais son devoir, quoiqu'en principe rigoureux cela blesse la liberté, d'intervenir en faveur des femmes et des enfants dans tous les ateliers d'industrie. Mais au delà, la Constituante a bien fait, à notre sens, de s'en tenir au pur principe.

Il est dur ce principe, assurément; et ce n'est pas une tendre mère, nous l'avons de reste vu à l'épreuve depuis soixante ans, que la concurrence individuelle. Mais l'ouvrier était-il plus heureux sous le régime des corporations? Non; et de plus, il était opprimé.

Cependant, diront quelques personnes, n'y a-t-il donc rien de bon dans le régime de l'association du travail aussi bien que dans celui de sa division et de sa concurrence? Oui; il y a du bon dans le principe de l'association du travail; mais à une condition, c'est que cette association sera libre, c'est que l'Etat laissera toujours les individus, sous la seule garantie du droit commun, libres, entièrement libres, à jamais libres de former, de continuer et de rompre leurs associations, à leur unique et absolue volonté : au delà,

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