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'qu'un régicide enfin pouvait parler impunément cet injurieux langage.

L'impunité de Carnot enhardit les autres. Après lui vint Méhée de la Touche. Celui-là avait signé comme secrétairegreffier de la commune l'arrêté qui ordonna les massacres de septembre'. Il ne s'en crut pas moins autorisé à offrir ses conseils au Roi et à récriminer contre le tort fait à la Convention et aux régicides. La grossièreté du langage donnait quelque chose de plus intolérable aux récriminations et aux conseils de l'ancien greffier de la commune de septembre 1792. Une aut.e brochure fit aussi beaucoup de bruit. Elle était du comte Félix Lepelletier de Saint-Fargeau, ancien ami de Babeuf. Il protestait en qualité de maire contre la formule du serment exigé des maires, qui devaient s'engager « à faire connaître au Roi tout ce qui se tramait à son préjudice, et tout ce que ces fonctionnaires auraient appris dans l'exercice de leurs fonctions ou ailleurs. » Ce serment paraissait immoral à M. de

1. Voici les deux pièces que l'on trouve au Moniteur de 1792, et qui sont comme les procès-verbaux des massacres de septembre. Le nom de Méhée de la Touche figure au bas de l'une et de l'autre.

«Mes camarades,

« Au nom du peuple.

Il nous est ordonné de juger tous les prisonniers de l'Abbaye sans distinction, à l'exception de l'abbé Lenfant, que vous mettrez dans un lieu sûr. a A l'Hôtel de ville, le 2 septembre.

a Mes camarades,

PANIS, SERGENT, administrateurs. « MÉHÉE, secrétaire-greffier. >>

« Au nom du peuple.

« Il est enjoint de faire enlever les corps morts, de laver et nettoyer toutes les taches de sang, particulièrement dans les cours, chambres, escaliers de l'Abbaye. A cet effet, vous êtes autorisés à prendre des fossoyeurs, charretiers, ouvriers, etc.

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Saint-Fargeau; selon lui, il avilissait les maires. Or « une fois les mairies avilies, continuait-il, que s'ensuit-il? le rétablissement de la féodalité et des seigneurs. De là à la restitution volontaire ou forcée des biens nationaux il y a jonction intime, et les vœux encore un peu cachés des hommes hostiles à l'esprit national, à l'esprit de la Charte même, se réalisent admirablement. Après le rétablissement de la féodalité viendra ipso facto celui de la royauté par droit divin, par héritage, par obéissance passive. Enfin j'entrevois le jour où le peuple français n'est plus rien qu'un troupeau réintégré sous l'ancien despotisme. »

On sentit dans les régions les plus élevées des opinions royalistes la nécessité de ne point garder le silence devant de pareilles attaques, et, en même temps, de réparer le mauvais effet produit par quelques articles insérés dans les journaux de la droite et par quelques brochures plus vivement encore empreintes d'un esprit de retour vers l'ancien régime, car dans ces temps difficiles la passion était partout, et le malheur de la royauté, animée des meilleures intentions et modérée dans sa politique, c'était de ne pouvoir pas plus discipliner ses amis qu'imposer à ses adversaires. Ce fut dans ce dessein que M. de Chateaubriand publia ses Réflexions politiques. Il disait vrai, en rappelant que l'ancienne monarchie, avec ses trois ordres, avait disparu sans retour; que les hommes ne se trouvaient plus dans la place où ils se trouvaient il y a cent ans, bien moins encore où ils étaient il y a trois siècles, et qu'il fallait prendre les hommes et les choses tels qu'ils étaient, non tels qu'on aurait voulu qu'ils fussent. Il cédait un peu trop à la circonstance, la suite de notre histoire devait le prouver, en ajoutant que la Charte de 1814 était la conséquence nécessaire de toute notre histoire et le résultat obligé des mœurs du siècle. Puis, après avoir ainsi donné un avertissement indirect aux hommes de son opinion, il répondait par ces terribles

paroles aux pamphlets révolutionnaires qui battaient la Restauration en brèche :

<< Par quelle imprudence des hommes qui devraient surtout se faire oublier sont-ils les premiers à attirer sur eux l'attention publique? Qui pensait à eux? Qui les accusait? Qui les priait de se justifier? Pourquoi, fidèles au souvenir de nos temps de malheur, continuent-ils à accuser leurs victimes? Ils demandent ce qu'a fait la noblesse pour le Roi elle a versé son sang pour lui à Haguenau, à Weissembourg, à Quiberon; elle a supporté pour lui la perte de ses biens; l'armée de Condé, qui sous trois héros combattait à Berstein en criant: Vive le Roi! ne le tuait pas à Paris. Ce qu'à fait le clergé : interrogez l'église des Carmes, les pontons de Rochefort, les déserts de Sinnamari, les forêts de la Bretagne et de la Vendée, tous ces rochers où l'on célébrait les saints mystères en mémoire du Roi-martyr; demandez-le à ces apôtres qui, sous l'habit du laïque, attendaient dans la foule le char des proscriptions pour bénir vos victimes; demandez-le à toute l'Europe, qui a vu le clergé français suivre dans toutes ses tribulations le fils aîné de l'Église, dernière pompe attachée à ce trône errant que la religion accompagnait encore, lorsque tout le monde l'avait abandonné! Et ces Vendéens, et ces chouans qui vous importunent de leur faveur, de leur éclat jetons les yeux autour de nous, et tâchons, si nous pouvons, d'être justes. Par qui la presque totalité des grandes et des petites places est-elle occupée? Est-ce par des chouans, des Vendéens, des Cosaques, des émigrés, ou par des hommes qui servaient l'autre ordre de choses? Que veulent donc au fond les auteurs de ces déplorables apologies? La République? Ils sont guéris de cette chimère. Une monarchie limitée? Ils l'ont. Si nous sondons leur blessure, nous trouverons au fond une conscience malade qui ne peut se tranquilliser, une vanité en souffrance qui s'irrite de ne pas être seule appelée au conseil du Roi, et qui voudrait

jouir auprès de lui, non de l'égalité, mais de la préférence; enfin un désespoir secret né de l'obstacle insurmontable qui s'élève entre Louis XVIII et les juges de Louis XVI. Qu'ils jouissent en paix de ce qu'ils ont acquis; qu'ils élèvent tranquillement leur famille. Il n'est pas cependant si dur, lorsqu'on approche de la vieillesse, qu'on a passé l'âge de l'ambition, qu'on a connu les hommes et les choses, qu'on a vécu au milieu du sang, des troubles et des tempêtes; il n'est pas si dur, d'avoir un moment pour se reconnaître avant d'aller où Louis XVI est allé. Louis XVI a fait le voyage, non pas dans la plénitude de ses jours, non pas lentement, non pas environné de ses amis, non pas avec tous les secours et toutes les consolations, mais jeune encore, mais pressé, mais seul, mais nu, et cependant il l'a fait en paix. »

Cet écrit de M. de Chateaubriand fit beaucoup de bruit, et jeta une irritation profonde parmi ces hommes qui se sentaient si vivement et si justement atteints. La partie la plus avancée de la droite, tout en repoussant assez aigrement les avis de M. de Chateaubriand, applaudit à sa réponse à Carnot. Le roi Louis XVIII, qui éprouvait le besoin de se dégager des imprudences de quelques-uns de ses amis et même de quelques-uns de ses ministres, donna une approbation publique aux réflexions publiées par l'illustre écrivain. Le vice-président et les quatre secrétaires de la Chambre des députés ayant été porter une loi au Roi, celui-ci leur demanda s'ils avaient lu les Réflexions politiques de M. de Chateaubriand, et après leur avoir fait l'éloge de cet ouvrage, leur dit que les principes qui y étaient contenus devaient être ceux de tous les Français, et que lorsqu'à l'âge de cinquante-neuf ans il avait donné des lois à ses peuples, c'est qu'il avait pensé que ces lois étaient propres à les rendre heureux'.

1. Les journaux du gouvernement du temps publièrent ces paroles du Roi.

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Au milieu de ces luttes la session marchait en aggravant la situation. Chaque jour, un nouvel incident venait ébranler la majorité qui soutenait le ministère. Mais ce qui l'ébranlait par-dessus tout, c'était le sentiment que chacun avait de l'affaiblissement progressif du gouvernement. L'état de l'armée inquiétait toutes les personnes à portée de savoir ce qui se passait dans les régiments. Là tous les souvenirs de l'Empireétaient soigneusement entretenus, exaltés; les ennuis de la paix tournés contre le gouvernement royal, toutes les paroles, tous les actes de ce gouvernement envenimés par une malveillance systématique. Des pamphlets clandestins circulaient dans les villes de garnison, en promettant le retour des aigles aux soldats qui les avaient portées dans toutes les capitales. L'établissement de la maison militaire du Roi; l'éloignement de l'ex-garde impériale de Paris; la diminution de sa solde réduite d'un tiers; la mise à la retraite de tous les officiers qui par l'ancienneté de leurs services, leurs blessures ou leurs infirmités, avaient des droits acquis à une solde de retraite; la mise à la demi-solde de tous ceux qui n'avaient pu entrer dans l'organisation effectuée; l'admission dans le cadre des officiers à la suite d'un assez grand nombre d'officiers de l'émigration; les grades donnés à des gens qui n'avaient jamais servi; la diminution de la dotation de la Légion d'honneur : tels étaient les griefs les plus sérieux exploités contre la Restauration. On y ajoutait tous les incidents qui se présentaient la fréquence

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