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sur le point dont il s'est éloigné. Une dépêche du duc de Vicence l'avertit que les Autrichiens ont rompu les conférences militaires de Lusigny, dont ils n'avaient plus besoin; que le congrès de Châtillon a repris ses séances, suspendues pendant quelques jours. Les coalisés ont signifié au plénipotentiaire français que le projet de traité préliminaire du 17 février 1814 devait être accepté et ratifié dans un délai de quatre jours au plus, faute de quoi les conférences de Châtillon seraient rompues, et les plénipotentiaires retourneraient au quartier général.

Les conditions sont dures. Il faut accepter immédiatement les anciennes limites de la France avant 1792; renoncer à toutes les acquisitions faites depuis cette époque; reconnaître d'avance les distributions que les puissances coalisées feront entre elles des territoires rétrocédés; remettre en leurs mains, dans un délai qui ne pourra pas excéder six jours, Mayence, Hambourg, Anvers, dans l'état où ils se trouvent, avec leur artillerie, munitions de guerre et de bouche, etc.; Mantoue, Venise, Palma-Nova, Peschiera, et les places de l'Oder et de l'Elbe dans l'espace de quinze jours; livrer, comme dépôt et comme gage, les places de Besançon, Belfort et Huningue pour être restituées seulement lors de la signature de la paix définitive. Ce n'est plus une paix discutée, c'est une paix imposée. On la signifie au duc de Vicence, en lui intimant qu'on n'admettra aucune modification qui s'écarte sensiblement des propositions européennes. Si, le 10 mars, la réponse du gouvernement français n'est pas arrivée, les conférences de Châtillon seront regardées comme terminées, et la fortune des armes décidera. C'est un ultimatum à jour fixe.

Le duc de Vicence, en envoyant ces nouvelles, insiste sur la nécessité de traiter sans retard. « S'il répète le mot de paix, dit-il, c'est qu'il la croit indispensable et même pressante pour ne pas tout perdre. » Puis il ajoute : « Votre Majesté me

reproche de voir partout les Bourbons, dont, peut-être à tort, je ne parle qu'à peine. Votre Majesté oublie que c'est elle qui en a parlé la première dans les lettres qu'elle a écrites ou dictées. Prévoir, comme elle, les chances que peuvent leur présenter les passions d'une partie des alliés, celles que peuvent faire naître des événements malheureux, et l'intérêt que pourrait inspirer dans ce pays leur haute infortune, si la présence d'un prince et un parti réveillaient ces vieux souvenirs dans un moment de crise, ne serait pas cependant si déraisonnable, si les choses sont poussées à bout. Dans la situation où sont les esprits, dans l'état de fièvre où est l'Europe, dans celui d'anxiété et de lassitude où se trouve la France, la prévoyance doit tout embrasser'. »

Le lendemain, 6 mars, le duc de Vicence écrit encore à l'Empereur : « Je vois tous les dangers qui menacent la France et le trône de Votre Majesté, et je la conjure de les prévenir. Il faut des sacrifices, il faut les faire à temps. Comme à Prague, si nous n'y prenons garde, l'occasion va nous échapper. A Prague, la paix n'a pas été faite, et l'Autriche s'est déclarée contre nous, parce qu'on n'a pas voulu croire que le terme fixé fût de rigueur. Ici les négociations vont se rompre, parce que l'on ne se persuade point qu'une question d'une aussi haute importance puisse tenir à telle ou telle réponse que nous ferons, et à ce que cette réponse soit faite avant tel ou tel jour. Cependant, plus je considère ce qui se passe, plus je suis convaincu que si nous ne remettons pas le contre-projet demandé, et qu'il ne contienne pas des modifications aux bases de Francfort, tout est fini. Les négociations une fois rompues, que Votre Majesté ne croie pas les renouer, comme on a pu faire dans d'autres occasions. On ne veut qu'un prétexte, et, faute de prendre le

1. Dépêches du 5 mars 1814.

parti qu'exigent les circonstances, tout nous échappera '. » Napoléon était averti par le duc de Vicence dans la campagne de France, comme il avait été averti, avant la rupture avec l'Autriche, par M. de Narbonne. Le duc de Vicence demandait des instructions promptes et précises. Fallait-il accepter les conditions posées? S'il fallait présenter un contre-projet, quelles devaient en être les bases? Ni sur ce point, ni sur le premier, le courrier du cabinet, Rumigny, n'emporta les instructions précises qu'attendait le négociateur français. Il était clair que Napoléon ne voulait point accepter le projet des coalisés. Quant à présenter un contre-projet, il s'y refusa, en employant une de ces phrases triviales qui se rencontraient quelquefois dans sa bouche : « S'il faut recevoir les étrivières, dit-il, c'est bien le moins qu'on me fasse violence. » Sa véritable pensée, divulguée depuis par ses confidents2, c'est que puisque les coalisés avaient hâte de conclure, il fallait différer, tâcher de pénétrer leur pensée véritable, et attendre, pour faire des sacrifices, qu'on vît d'une manière plus claire quelle était l'étendue de ceux que l'Europe exigeait, de peur de lui offrir plus qu'elle n'espérait obtenir.

C'était précisément la disposition que le duc de Vicence combattait dans ses lettres, comme fatale. En arrêtant les négociations, Napoléon n'arrêtait ni les armées ni les événements. Il laissait passer les heures de grâce qui restaient à sa fortune, et, faute de savoir ou de pouvoir descendre, il allait être précipité.

Il avait sans doute l'espoir qu'un retour de succès militaires le placerait dans de meilleures conditions pour traiter. Le lendemain, il devait livrer bataille aux armées prussienne et

1. Dépêche du 6 mars. (Voir ces deux dépêches dans le Manuscrit de 1814, où elles sont in extenso.)

2. Le baron Fain, dans le Manuscrit de 1814.

Hist. de la Restaur. I.

russe réunies devant Laon. S'il remportait la victoire, les situations seraient changées. C'était la même erreur qui revenait toujours. Il y a des circonstances où les victoires ellesmêmes ne changent rien, parce qu'elles ne peuvent être décisives, et que le courant général emporte dans ses grandes eaux tous les incidents particuliers. Cette bataille que Napoléon espérait gagner, il ne put pas même la livrer. Le 10 mars, au matin, au moment où il donnait l'ordre de marcher à l'ennemi, il apprit que, pendant la nuit, les bivacs du duc de Raguse avaient été surpris, et que son corps d'armée était hors d'état de prendre part à l'affaire'. Dans ce moment même, l'ennemi, encouragé par son succès de la nuit, venait attaquer l'armée française. Il fut repoussé; mais c'est en vain qu'on essaya de le débusquer de la position qu'il occupait devant Laon. Il fallut y renoncer, et se résigner à la retraite.

Ainsi les rôles changeaient. Depuis Meaux, les Prussiens se retiraient devant nous; à Laon, loin d'être détruits, ils reprenaient l'offensive avec le concours des Russes, et nous contraignaient à nous retirer devant eux. C'était là le résultat auquel aboutissait ce mouvement prolongé jusqu'aux Ardennes, et

1. Voici l'explication que donne le colonel Fabvier de ce grave échec où le duc de Raguse perdit, selon ses calculs, de mille à douze cents hommes et quarante pièces de canon, et après lequel il fut obligé d'effectuer sa retraite, par le défilé de Fethieux, sur Corbeny: «On doit attribuer notre défaite, 1o à l'inconcevable disposition de l'Empereur, qui attaqua avec toutes ses forces par un défilé qu'il ne put forcer, tandis qu'il nous faisait déboucher avec une poignée de monde dans une plaine immense; 2o à la faute du général qui abandonna les fermes et le village d'Atys sans combattre ; 3° à la trop grande quantité d'artillerie et à l'inexpérience d'une partie des soldats qui la servaient (c'étaient des matelots), et surtout au mauvais emplacement de la grande batterie, qui n'était pas appuyée; 4° au trop grand désir du maréchal de prendre part à l'affaire (à l'affaire de la veille : il avait envoyé mille hommes pour tâcher de joindre l'Empereur). A l'entrée de la nuit, quand il put juger qu'il ne pouvait plus rien et que sa position était des plus critiques, n'aurait-il pas dû regagner le défilé, ou du moins placer toute son artillerie sur la route en amont du petit bois? La retraite aurait pu alors s'effectuer sans pertes. » (Journal des opérations du sixième corps, page 52.)

qui avait éloigné l'armée française de la position centrale de ses opérations, située entre la Marne et la Seine. Il faut que le duc de Trévise défende avec énergie Soissons, pour laisser le temps à l'armée française d'opérer son mouvement de retraite, et Napoléon doit marcher en personne pour reprendre Reims, qui vient d'être occupé par un nouveau corps d'armée russe, afin d'empêcher la position du duc de Trévise à Soissons d'être tournée, et les communications entre l'armée prussienne et l'armée autrichienne d'être rétablies.

III

HALTE DE NAPOLÉON A REIMS.-SA SITUATION A LA MI-MARS 1814. MOUVEMENT DE BORDEAUX.

Napoléon passa à Reims les journées des 14, 15 et 16 mars, et les dépêches qui lui arrivèrent dans cette ville lui permirent de jeter un rapide et dernier regard sur l'immense échiquier où la guerre se déployait depuis les Pyrénées jusqu'au Rhin, depuis les Alpes jusqu'à l'Océan. Il faut profiter de cette courte halte pour regarder derrière lui la grande partie qui se joue, en ajoutant les faits qui se produisaient à cette époque, sans qu'il les connût, à ceux qui étaient arrivés à sa connaissance.

Au nord Anvers, défendu par Carnot, tient toujours; le général Maison manœuvre entre Tournay, Lille et Courtray, mais sans pouvoir s'en éloigner. Au midi, le maréchal Soult a été obligé de reculer devant lord Wellington, après la perte de la bataille d'Orthez. Il opère son mouvement de retraite sur Toulouse, en laissant Bordeaux à découvert. Cette situation nouvelle a déterminé à Bordeaux un mouvement royaliste que Napoléon n'apprendra que quelques jours plus tard, à Épernay. Le duc d'Angoulême est entré à Bordeaux, où

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