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« Oui, Sire, la nation et le Sénat, pleins de confiance dans la haute sagesse de Votre Majesté, désirent que la France soit libre, afin que le Roi soit puissant.

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Ce discours, remarquable mélange de concessions à l'entraînement de l'opinion et de réserves politiques, est un témoignage de plus du sentiment si vif, et si général alors, des maux que la Révolution avait déchaînés sur la France et de l'enthousiasme qu'excitait dans tous les cœurs le retour de la monarchie. Pour que M. de Talleyrand s'exprimât ainsi publiquement sur les vingt années de révolutions, il fallait que l'opinion publique parlât encore plus haut. Mais l'orateur du Sénat, par des habiletés de langage, avait réussi à ressaisir, au nom de ce corps politique, sous la forme de l'avis et de la louange, l'initiative de la Constitution nouvelle. Il l'annonçait avant qu'elle parût, en indiquait l'objet, en traçait presque le plan; de sorte que Louis XVIII, au lieu de prendre l'initiative, semblait la suivre. Le Roi n'accepta pas ce rôle ; il se contenta de répondre qu'il était sensible à l'expression des sentiments du Sénat, et le congédia du geste.

La journée du 2 mai avait été remplie par les réceptions et les harangues officielles. La cour des comptes, la cour de cassation, la cour d'appel, l'Université, s'étaient succédé avec des discours qui ressemblaient à des hymnes, tant ils respiraient l'enthousiasme et l'amour. Le comte Muraire, naguère un des sénateurs les plus dévoués de l'Empire, avait célébré « le mouvement sublime et rapide qui, en rétablissant le Roi sur son trône, effaçait vingt-cinq ans d'erreurs et de ruines, et terminait les malheurs d'une trop fatale révolution. » M. de Ségur avait montré « les Français devenus libres devant les phalanges européennes, et, forts de leur repentir, élevant leurs bras vers les princes, instruments généreux de la Divinité, et redemandant à grands cris l'antique souverain de la France,

ce souverain magnanime dont la bonté consentait à tout pardonner. » Ceux qui ont reproché aux Bourbons leurs illusions sur les idées et les sentiments du pays où ils rentraient après tant d'années auraient dû faire une part dans ces reproches aux fonctionnaires de la Révolution et de l'Empire, qui les recevaient avec ces hyperboles louangeuses. « Les réponses officielles du Roi, dit un écrivain contemporain', furent en général courtes et sobres; mais son attitude fut excellente, et sa conversation charma la plupart de ceux qui causèrent avec lui. » Le 3 mai était le jour fixé pour son entrée à Paris. Accablé de fatigue après cette journée de réceptions, il se retira dans son appartement, en chargeant M. de Blacas d'arrêter, avec MM. de la Maisonfort et de Vitrolles, la rédaction définitive de la déclaration dont les bases étaient posées, et au sujet de laquelle plusieurs projets lui avaient été soumis. Il leur fut recommandé de chercher une formule qui laissåt indécise la question de l'acceptation populaire et celle de l'acceptation sénatoriale. La nuit se passa dans ce travail; il était achevé au point du jour, et M. de Vitrolles demanda qu'il fût soumis au Roi en son conseil. M. de Blacas allégua l'inutilité d'éveiller le Roi, fatigué de la veille, pour une formalité, puisqu'il leur avait donné de pleins pouvoirs, et la nécessité de faire imprimer immédiatement la déclaration pour qu'elle fût affichée à Paris avant l'entrée du Roi, qui devait avoir lieu à midi. Peut-être ne dit-il pas la raison véritable, qui était d'éviter une nouvelle délibération dans le conseil, où l'on pouvait trouver des objections et des obstacles. M. de Vitrolles contre

1. M. Duvergier de Hauranne, Histoire parlementaire, tome II, page 132. Beugnot, dans ses Mémoires, confirme ce témoignage : « Déjà de son faiteuil même, dit-il, le Roi se fit sentir à chacun de nous ; une dignité calme, un coup d'œil caressant, un organe flatteur, des questions faites de haut, mais toutes à propos, nous révélèrent une sorte de puissance dont nous n'avions as encore senti la portée. »

signa la déclaration, comme secrétaire du conseil, bien que le Roi ne l'eût pas signée et que le conseil n'en eût pas délibéré, puis il la porta à Paris, où, par les soins de M. de la Maisonfort,

elle fut imprimée à vingt mille exemplaires, affichée et distribuée. Voici le texte de cette déclaration :

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Louis, par la grâce de Dieu roi de France et de Navarre, à tous ceux qui verront ces présentes, salut :

Rappelé par l'amour de notre peuple au trône de nos pères, éclairé par les malheurs de la nation que nous sommes destiné à gouverner, notre première pensée est d'invoquer cette confiance mutuelle si nécessaire à notre repos, à son bonheur.

Après avoir lu attentivement le plan de constitution proposé par le Sénat dans sa séance du 6 avril dernier, nous avons reconnu que les bases en étaient bonnes, mais qu'un grand nombre d'articles portant l'empreinte de la précipitation avec laquelle ils ont été rédigés, ils ne peuvent, dans leur forme actuelle, devenir lois fondamentales de l'État.

Résolu d'adopter une Constitution libérale, voulant qu'elle soit sagement combinée, et ne pouvant en accepter une qu'il est indispensable de rectifier, nous convoquons pour le 10 du mois de juin de la présente année le Sénat et le Corps législatif, en nous engageant à mettre sous leurs yeux le travail que nous aurons fait avec une commission choisie dans le sein de ces deux corps, et à donner pour base à cette Constitution les garanties suivantes :

Le gouvernement représentatif sera maintenu tel qu'il existe aujourd'hui, divisé en deux corps, savoir :

Le Sénat et la Chambre composée des députés des départements; L'impôt sera librement consenti;

La liberté publique et individuelle assurée;

La liberté de la presse respectée, sauf les précautions nécessaires à la tranquillité publique;

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La liberté des cultes garantie;

Les propriétés seront inviolables et sacrées; la vente des biens nationaux restera irrévocable;

Les ministres responsables pourront étre poursuivis par une des Chambres législatives, et jugés par l'autre;

Les juges seront inamovibles et le pouvoir judiciaire indépendant; «La dette publique sera garantie, les pensions, grades, honneurs

1. Mémoires inédits de MM. de Vitrolles et de la Maisonfort.

militaires seront conservés, ainsi que l'ancienne et la nouvelle noblesse; « La Légion d'honneur, dont nous déterminerons la décoration, sera maintenue;

«Tout Français sera admissible aux emplois civils et militaires

« Enfin nul individu ne pourra être inquiété pour ses opinions et ses

votes. »

Par la déclaration de Saint-Ouen, la Restauration se trouvait engagée, non-seulement à reconnaître des principes de liberté politique dont l'avénement nécessaire semblait le résultat de tout le travail de notre histoire, et qu'on ne pouvait sagement ni renier ni écarter, mais à faire une constitution à priori, et de plus à admettre la réalité de l'existence du gouvernement représentatif sous l'Empire, ce qui était admettre un mensonge et ce qui ôtait à Louis XVIII le mérite et l'honneur d'apporter la liberté politique à la France. En outre, au lieu de demander au pays des représentants élus par le mouvement des idées qui l'avait rappelée elle-même, la Royauté entreprenait de fixer les destinées de la France avec des hommes qui n'avaient reçu pour cela ni mission ni autorisation, puisque les uns appartenaient au Corps législatif de l'Empire, les autres au Sénat conservateur. Enfin ces hommes, les uns par suite de leur origine, les autres par leurs précédents, avaient des intérêts distincts de ceux de la France, des prétentions personnelles, des défiances et des exigences particulières. On s'engageait, pour dernier inconvénient, à donner à la France une constitution. improvisée, au lieu de se réserver le temps de recueillir, avec les députés envoyés par les départements, les principes qui se dégageaient de toute la suite de son histoire comme les lois essentielles de son existence, ce qui substituait mal à propos le pouvoir constituant du Roi au pouvoir constituant usurpé par le Sénat, en opposant l'absolutisme royal à l'absolutisme révolutionnaire, et ce qui devait exposer la nouvelle charte à des défiances et permettre plus tard à l'opposition de soulever

contre elle le ressentiment des vanités blessées. Du moment qu'on n'avait pas ou la hardiesse ou la faculté de demander à la France, au moment du retour, une force nationale légitime et réelle contre la force factice et usurpée du Sénat, et une puissance collective à défaut d'une puissance individuelle, ces inconvénients étaient inévitables. Le parti royaliste, séquestré des affaires pendant l'Empire, et sans opposition possible, manquait d'hommes considérables qui pussent prendre le premier rôle dans une Restauration. Le mouvement de l'Empire à la Monarchie s'était opéré par transition; or les transitions qui, en littérature, touchent aux deux idées qu'elles rapprochent, touchent en politique au régime qu'elles quittent comme au régime sous lequel elles conduisent. C'est ainsi que le Sénat, guidé par MM. de Dalberg, de Jaucourt, Louis, de Pradt, et surtout par le prince de Talleyrand, le seul homme de premier plan, s'était trouvé l'arbitre de la situation.

Quelques esprits s'émurent dès lors des périls que révélait cette situation, et un homme qui devait plus tard jouer un rôle important dans les affaires, M. de Villèle, jeta à Toulouse un cri d'alarme sur l'avenir avec un retour trop vif et trop complet vers un passé dont la résurrection, après vingt-cinq ans écoulés, n'était plus possible'. Le gros du public ne fut frappé que

1. « La lassitude générale, disait-il, permettra peut-être de faire marcher quelque temps cette œuvre d'égoïsme et d'imprévoyance, mais au premier choc tout croulera et nous rentrerons en révolution. Gardons les institutions qui nous concernent; ayons la sagesse et la noble fierté de croire qu'elles sont aussi bonnes pour nous que celles de nos voisins le sont pour eux, et ne nous croyons pas plus qu'eux réduits à aller chercher hors de chez nous le modèle de notre Constitution, Les lumières ont fait de grands progrès en France; les richesses et l'instruction y sont répandues dans toutes les classes, comme le désir de voir le mérite tourner à la gloire et au profit de notre pays : faisons au régime qui nous gouverne les changements que le temps nous indique; rétablissons tout ce qui est susceptible d'être rétabli. La déclaration du Roi qui nous occupe est calquée presque en entier sur la Constitution déjà proposée par le Sénat. Cette œuvre n'est donc pas celle du Roi, c'est celle d'un corps qui, comme toute la France le sait, n'avait point qualité pour la faire. N'ont-ils pas fait assez d'expériences sur

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