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moment, lui rendit le secours d'un bras nécessaire, et quelques serviteurs de sa maison s'approchèrent pour lui offrir leur ministère accoutumé. Il les repoussa du geste, et, saisissant le bras des deux maréchaux qui étaient à ses côtés : « C'est sur vous, dit-il, messieurs les maréchaux, que je veux toujours m'appuyer. Je suis heureux de me trouver au milieu de vous..., heureux et fier, continua-t-il avec un accent plus élevé. Approchez, entourez-moi. Vous avez toujours été de bons Français. J'espère que la France n'aura plus besoin de votre épée; si jamais, ce que Dieu ne veuille, on nous forçait à la tirer, tout goutteux que je suis, je marcherais avec vous. »

Ce mouvement spontané, ces nobles paroles firent une vive impression sur les maréchaux. Au dîner, le Roi les fit asseoir à sa table et but à l'armée française : « C'est boire, ajouta-t-il, à la gloire et à l'honneur. » Puis il parla à chacun des pages les plus brillantes de sa vie militaire. Les visages s'éclairaient, les âmes s'ouvraient à la confiance et à l'espoir; il y eut autour du Roi un de ces mouvements qui rendent les restaurations éternelles quand ils durent : les anciens serviteurs, revenus de l'exil, et les nouveaux serviteurs, qui arrivaient des champs de bataille, s'entre-regardèrent avec des yeux de paix et se remirent le passé; les mains s'étendirent, elles se serrèrent; la France se refit, au moins pour un moment, autour du Roi, et Louis XVIII apparut comme un père au milieu de sa famille réconciliée par l'amour qu'il lui porte et l'amour qu'elle lui rend.

Après les maréchaux, une députation du Corps législatif fut introduite. Le président de cette députation, M. Bruys de Charley, s'exprima ainsi : « V. M. se voit entourée par son immense famille; d'innombrables cris de joie l'ont saluée à son entrée sur le sol de la patrie; ils la suivent et l'accompagneront jusqu'à la demeure désormais consolée de ses ancêtres. Venez, descendant de tant de rois, montez sur le trône où nos pères placèrent autrefois votre illustre famille et que nous

sommes si heureux de vous voir occuper aujourd'hui. V. M. vient sécher toutes nos larmes, guérir toutes nos blessures. Nous lui devrons plus encore par elle vont être cimentées les bases d'un gouvernement sage et prudemment balancé. V. M. ne veut rentrer que dans l'exercice des droits qui suffisent à l'autorité royale, et l'exécution de la volonté générale confiée à vos prudentes mains n'en deviendra que plus respectable et plus assurée. »>

C'était la théorie du gouvernement représentatif qui venait s'exprimer publiquem ut devant le Roi, mais dégagée du principe de la souveraineté populaire et des prétentions constituantes du Sénat. Le Roi, qui avait écouté avec une attention marquée la harangue du président de la députation, lui répondit en ces termes :

« Messieurs du Corps législatif, je reçois avec la plus vive satisfaction l'assurance de vos sentiments. Ils me sont d'autant plus précieux que j'y vois le gage d'une union parfaite entre moi et les représentants de la nation. De cette union seule peut naître la stabilité du gouvernement et la félicité publique, unique objet de vos vœux et de ma constante sollicitude. >>

Malgré ces paroles du Roi, la difficulté restait entière, car pas un mot dans sa réponse ne faisait allusion à la Constitution du Sénat. La situation qu'avait rencontrée le comte d'Artois se reproduisait, mais d'une manière plus vive, plus tranchée, parce qu'on approchait du dénoûment. M. de Talleyrand et le Sénat eurent encore une fois recours au puissant arbitre qui avait fait pencher la balance en leur faveur : l'empereur de Russie partit pour Compiègne le 1er mai, afin d'emporter de haute lutte ce que M. Pozzo di Borgo n'avait pu obtenir.

Alexandre aimait à intervenir ainsi comme un conciliateur souverain dans les difficultés intérieures de la France; cette situation d'un vainqueur populaire lui plaisait; les louanges que lui prodiguaient les voix les plus républicaines l'enivraient,

et l'espèce de mysticisme libéral qui était alors la tendance dominante de ses idées, et qui se trouvait d'accord avec le mouvement qui avait soulevé la partie jeune, vivante et lettrée de l'Allemagne contre la domination napoléonienne, trouvait à se satisfaire dans l'action qu'il exerçait. S'il faut en croire un homme placé pour tout voir, car il eut une part active aux grandes affaires de ce temps, Alexandre, dans cet instant critique, serait allé jusqu'à proposer à M. de Talleyrand de mettre à sa disposition trente mille hommes pour faire arrêter Louis XVIII à Calais et l'empêcher de passer outre avant d'avoir fait tout ce qui convenait . Ainsi les Bourbons, loin d'être ramenés par l'étranger, auraient failli être arrêtés par lui.

Alexandre arrivait à Compiègne avec la ferme intention d'obtenir de Louis XVIII une adhésion complète aux actes du Sénat. La courtoisie était le prétexte de sa visite et de celle des autres souverains venus avec lui au-devant du roi de France; mais M. Pozzo di Borgo ne dissimula point au duc de Damas, premier gentilhomme du Roi, en lui annonçant cette visite, qu'il y serait question d'affaires sérieuses. Alexandre aborda

1. Voici comment s'exprime M. de Pradt dans une lettre écrite en 1836 et citée par M. de Vaulabelle, tome II, page 72, de son Histoire de la Restauration . « On a beaucoup menti sur cette époque (avril et mai 1814) et moi-même j'ai menti comme tout le monde. Un jour, Alexandre s'étant mis à la fenêtre de l'hôtel de la rue Saint-Florentin, la foule s'assembla aussitôt eteria: Vive Alexandre ! mais M. de Talleyrand ayant passé sur le balcon, on entendit quelques cris : his le Sénat! A bas l'évêque d'Autun! M. de Talleyrand rentra aussitôt et fort troublé, assurant à l'empereur de Russie que c'était une machination du faubourg SaintGermain qui préludait au renversement de ce qu'ils avaient fait. Alexandre lui répondit qu'il saurait bien faire respecter l'œuvre de l'Europe. Mais les démonstrations contre le Sénat se renouvelant, M. de Talleyrand revint à la charge, s plaignant de s'être mis en avant, de s'être compromis; car, d'après e qui passait, disait-il, il voyait bien que dès que Louis XVIII serait débarqué à Calais, il n'y aurait plus moyen d'en rien obtenir. Alexandre essaya de le calmer par des protestations, et poussé à bout finit par lui dire : Je mets trente mille hommes à votre disposition pour le faire arrêter à son débarquement, et on ne le láchera que quand tout sera fini, et qu'il aura consenti à faire tout ce qui con

vient. »

de front, après les premiers compliments, la difficulté qui s'élevait entre Louis XVIII et le Sénat. Ses paroles furent vives, impérieuses, presque dures'.

Il représenta à Louis XVIII qu'il n'affaiblirait point son titre en consentant à tenir sa couronne des mains des représentants du pays. « Le droit divin de l'ancienne monarchie française avait cessé d'être une force chez une nation qui, à en juger par ceux qui la menaient depuis longtemps, croyait à peine en Dieu. L'important était de régner, quel que fût d'ailleurs le

1. Cette entrevue a été racontée par M. Mennechet dans ses Lettres sur la Restauration, publiées en 1832 sous ce titre: Seize ans, 1814-1830. M. Mennechet, lecteur du Roi sous la Restauration, et bien placé par ses relations avec le due de Duras et le duc de Blacas pour savoir, s'exprime ainsi avant de rapporter la conversation de Louis XVIII et d'Alexandre: « L'entretien a duré plus d'une heure. Je n'ai point la prétention d'en savoir tous les détails, mais un homme que le Roi honorait à juste titre de sa confiance, et pour qui ce.te entrevue n'a eu rien de secret, a bien voulu m'initier dans la confidence qu'on lui a faite à cet égard. » Le personnage indiqué ici par M. Mennechet est évidemment M. de Blacas. M. Duvergier de Hauranne, dans son Histoire parlementaire, juge cette conversation impossible, et s'appuie sur le témoignage de M. de Vitrolles, contemporain bien instruit, dit-il, qui la déclare inexacte de tout point. M. de Vitrolles n'était point à Compiègne; il avoue lui-même, dans ses Mémoires, que Monsieur ne lui dit rien de ce qui s'y passa, et c'est une des tendances de son esprit de ne pas voir volontiers que les autres sussent ce qu'il ne savait pas. Quant à la conversation, il est d'abord très-sûr qu'il y en eut une, M. de Hauranne en convient lui-même. Du moment qu'il y en eut une, la conversation racontée par M. Mennechet devient possible, probable même. En effet l'empereur Alexandre dut dire ce qu'il y avait de plus propre à décider Louis XVIII à accepter la Constitution du Sénat, et Louis XVIII dut moliver son refus de manière à le justifier. Il est remarquable que les idées d'Alexandre dans cette conversation sont analogues à celles qu'il avait développées devant M. de Vitrolles quand il s'agissait de décider le comte d'Artois à accepter la Constitution.

Nous trouvons une nouvelle preuve de la réalité de la conversation de l'empereur Alexandre avec le Roi dans les paroles suivantes adressées un mois après par l'empereur de Russie à M. de La Fayette, et citées par ce dernier dans ses Mémoires, tome V: «Que vouliez-vous que je fisse? Je voulais qu'au lieu de donner eux-mêmes une Constitution, les Bourbons en reçussent unc de la nation, et j'étais allé à Compiègne avec l'espoir d'obtenir du Roi qu'il renoncerait à ses dix-neuf ans de règne et autres prétentions de ce genre. La députation du Corps législatif y était avant moi pour le reconnaître sans conditions. Contre le Roi et le Corps législatif j'étais impuissant.

titre auquel on régnât. Il était difficile de s'expliquer la répugnance de Louis XVIII à prêter à la nouvelle Constitution le serment demandé. Cette Constitution en valait une autre, et il était raisonnable de faire quelques sacrifices en faveur d'un corps politique dont les membres avaient étouffé leurs affections et vaincu leurs répugnances pour rappeler Louis XVIII au tròne. Entièrement maîtres de leur choix, il ne fallait pas l'oublier, ils avaient choisi un prince dont la famille avait été naguère proscrite par un grand nombre d'entre eux. Ils avaient en outre abandonné, pour le drapeau des Bourbons, le drapeau d'une révolution qui leur était encore chère. En échange du service rendu et du dévouement promis, ils demandaient que le Roi reconnût que c'était à leur courageuse initia tive qu'il devait la chute du gouvernement impérial et la restauration de la monarchie. Encore ne demandaient-ils que la reconnaissance implicite d'un fait incontestable. Que le Roi consentit à dater son règne du jour où ils le proclameraient roi des Français, c'était assez. On ne pouvait d'ailleurs changer l'histoire. Elle dirait que la Convention, le Directoire, les Consuls et Napoléon avaient régné sur la France: qu'on s'en réjouit ou qu'on s'en attristât, c'était un fait. Elle ajouterait que les armes triomphantes d'Alexandre et de ses alliés avaient rétabli Louis XVIII sur le trône. Ceci leur donnait l'espoir que leur voix serait entendue. Henri IV avait acheté Paris par le sacrifice de sa religion. On demandait moins à Louis XVIII qu'à Henri IV, qui avait cependant conquis lui-même son royaume. »>

Louis XVIII écouta avec une impassible et sévère dignité le développement de l'opinion d'Alexandre. Quand celui-ci eut épuisé ce qu'il avait à dire, le Roi prit la parole à son tour. Il exprima d'abord le regret de répondre par un refus à la première demande que lui adressait l'empereur de Russie. Mais l'honneur de sa maison et le sien lui interdisaient d'obtempérer au vœu du Sénat. Il n'appartenait point à ses mem

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