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tancé par eux, et surtout arriver, pendant qu'il y avait table rase, sans laisser aux architectes impatients ou malveillants le temps de bâtir.

Ces considérations l'emportèrent. Le comte d'Artois décida qu'il partirait pour Paris avec M. de Vitrolles, et se mit en effet en route le vendredi saint, 8 avril. Il venait d'entrer à Vitryle-Français au milieu des acclamations de la foule, lorsqu'un courrier apporta un immense pli de la part du gouvernement provisoire. M. de Vitrolles se retira un moment dans une chambre reculée pendant que le prince recevait les hommages de toutes les notabilités de la ville, et ouvrit le pli avec une impatience inquiète. C'était l'acte constitutionnel, auquel était jointe la lettre suivante, signée de trois noms: le prince de Bénévent, le duc Dalberg, le marquis de Jaucourt.

« Nous vous adressons l'acte constitutionnel tel qu'il a été conçu et publié par le Sénat. S'il y a des points qui peut-être admettraient des modifications en faveur d'un système purement monarchique, il faut bien réfléchir que toutes les plaies sont ouvertes, que les passions sont agitées, et que surtout l'amour-propre de chacun est irrité. Le Roi fera avec de telles formes tout ce qui sera nécessaire pour lui et la nation. Le Corps législatif, qui ne se trouve réuni que par trois cinquièmes, a voulu en prendre connaissance, et y donner son adhésion; cela se fera dans la journée de demain. La proclamation sera faite aussi demain par la voie des journaux et par la proclamation des maires.

« L'affaire de la cocarde est un objet à méditer. Tout le monde se réunit à désirer que monseigneur le comte d'Artois l'adopte. L'armée paraît y tenir beaucoup, et l'empereur de Russie sent que ce serait là un point de réconciliation sur lequel il serait bon de passer. Les premiers pas sont les plus importants. La cocarde est par elle-même la cocarde de la nation. Depuis vingt-cinq ans elle la porte, et le soldat, par souvenir

Dist, de la Restaur. I.

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de ses actions, n'y renonce qu'à regret. Quant à l'habit de garde national, on pense que c'est chose convenue. La plus grande difficulté sera de gagner l'esprit de l'armée, et c'est à cela qu'il faudra employer tous ses moyens. L'arrivée de monseigneur le comte d'Artois est nécessaire, et nous vous engageons beaucoup à ne pas la laisser retarder. »

Ainsi se traduisaient les paroles de M. de Talleyrand, lors du départ de M. de Vitrolles : « Ménagez-vous, et ménagez-nous. » Les conditions portées au comte d'Artois, au nom du gouvernement provisoire, et acceptées par lui, se trouvaient complé tement changées. Le prince comprit à la physionomie de M. de Vitrolles que de fâcheuses nouvelles étaient arrivées. « C'est donc bien mauvais?» lui dit-il, d'un air entre le désir de savoir et la crainte d'apprendre. - « Si mauvais, que si les che vaux n'étaient pas commandés, il faudrait aller à Langres. Mais maintenant, il faut que monseigneur soutienne son caractère de courage, et aille à Paris. >>

Le comte d'Artois, après avoir lu la lettre et l'acte constitutionnel, partagea cet avis. « Oui, mon ami, dit-il, le sort en est jeté! La France est devant nous. Marchons! Qu'avonsnous à craindre? »

On partit donc, et arrivé à Châlons, le baron de Vitrolles adressa à M. de Talleyrand, avec l'approbation de Monsieur, la réponse suivante :

« J'ai mis sous les yeux de S. A. R. Monsieur l'extrait des registres des délibérations du Sénat et la lettre qui y était jointe. Les principes généraux qui ont dicté cette délibération sont pour la plupart dans la pensée et dans le cœur de Monseigneur, mais on peut craindre de trouver dans cette œuvre un caractère de précipitation. Des articles essentiels, tels que les garanties à donner à la liberté individuelle, y semblent à peine indiqués, et d'autres semblent avoir été déterminés plutôt par des intérêts particuliers que par le senti

RÉPONSE DE M. DE VITROLLES AU NOM DU COMTE D'ARTOIS. 259

ment du bien de l'État. Mais cet acte important est susceptible de recevoir sa perfection et toute sa valeur par le concours du Roi et l'acceptation du peuple, si S. M. le juge nécessaire. Au reste, Monseigneur ne se rend point à Paris pour discuter de pareils sujets. Des intérêts bien plus pressants ont décidé son arrivée. Il a traversé plusieurs provinces au milieu des acclamations, mais ces acclamations sont mêlées de cris de douleur. Les habitants fuient dans les bois, sans secours, sans nourriture. A Paris on est dans les fêtes, et nous dans les larmes. Monsieur fera son entrée en habit de garde national, mais il ne quittera pas la cocarde blanche. Elle est acceptée par des populations tout entières dans les provinces; les plus grandes villes de la France et Paris même l'ont arborée. C'est l'ancienne cocarde de la France. >>

La lettre se terminait ainsi : « Monseigneur fera son entrée à Paris entre sept heures et midi. Il se rendra à Notre-Dame par les boulevards, la place Vendôme, le Carrousel et le pont Royal. » Le comte d'Artois fit ajouter qu'il ne voulait pas être reçu à Notre-Dame par le cardinal Maury; recommandation qui indique quelle blessure profonde l'éclatant abandon de Maury, succédant à ses éclatants services, avait laissée dans le cœur des Bourbons. C'est, après tout, la tendance générale du cœur humain on ferme ses bras au transfuge, alors même qu'on les ouvre à l'ennemi.

La situation se dessinait d'une manière très-nette dans ces deux lettres. Elle avait encore deux étapes à parcourir avant l'arrivée du comte d'Artois à Paris et l'avénement de Louis XVIII. Mais il y avait des difficultés à vaincre ou à tourner, pour conduire les choses où M. de Talleyrand voulait les conduire. Il fallait, en effet, obtenir d'abord du comte d'Artois, ensuite de Louis XVIII, qu'ils acceptassent la situation que le gouvernement provisoire leur avait préparée; que le premier reconnût la Constitution purement et simplement, et que le second la

jurât, afin que la royauté française, au lieu d'être de tradition nationale, fût d'institution sénatoriale.

Pour jouer cette double partie, le prince de Talleyrand et sa coterie disposèrent ainsi l'échiquier en face des aspirations monarchiques du comte d'Artois et du roi Louis XVIII, on plaça les prétentions et les exigences constituantes du Sénat, derrière lequel se groupèrent les intérêts et les passions révolutionnaires. On réserva au gouvernement provisoire le rôle de modérateur et de médiateur, chargé d'apporter la transaction quand le moment serait venu. Il ne pouvait prendre son point d'appui dans la population; les cris de: A bas le Sénat! et de: A bas le gouvernement provisoire! qui retentissaient, chaque jour, sous les fenêtres de l'hôtel de la rue Saint-Florentin, lui auraient révélé, s'il l'avait ignoré, combien l'un et l'autre étaient impopulaires. Le prince de Talleyrand prit encore une fois son point d'appui dans la force étrangère, entoura plus que jamais Alexandre des flatteries du Sénat et des séductions de sa conversation, et lui fit une espèce de point d'honneur de construire la Restauration par les mains à l'aide desquelles il avait renversé l'Empire.

Le comte d'Artois refusant la position nouvelle qu'on voulait lui faire, et le gouvernement provisoire ayant détruit celle qui avait été faite au prince par la convention souscrite avec M. de Vitrolles, il n'y avait plus rien de convenu. Du moment que le Sénat subordonnait le rappel de Louis XVIII à l'acceptation de la constitution sénatoriale, les pouvoirs du comte d'Artois comme lieutenant général du royaume tombaient d'euxmêmes, puisqu'il les tenait d'un roi dont le titre ne devait être reconnu qu'après l'accomplissement d'une condition inposée. Il y avait là les éléments d'un conflit inévitable, si des deux côtés on maintenait ses prétentions d'une manière absolue. Au fond, le comte d'Artois et ses conseillers, en continuant leur marche vers Paris, nourrissaient une espérance:

le Sénat n'avait qu'un pouvoir nominal, sans aucune force matérielle pour l'appuyer; la présence de Monsieur dans Paris suffirait pour mettre en mouvement les éléments royalistes que contenait cette grande ville, et, la force étrangère demeurant neutre, le Sénat serait contraint d'accepter, comme lieutenant général, Monsieur acclamé par la population.

Il y avait dans ce calcul des probabilités politiques un élément inexact c'était la neutralité de la force étrangère. La faveur déclarée d'Alexandre pour M. de Talleyrand et sa sympathie pour le Sénat mettaient la force étrangère aux ordres du Sénat, qui s'appuyait sur la coalition contre les Bourbons, comme il s'était appuyé sur elle contre Bonaparte.

C'est une curieuse étude pour le moraliste que de voir combien la forte discipline de l'Empire avait peu changé la nature révolutionnaire de ces hommes, issus presque tous de la Révolution. Ils avaient pu préférer leurs intérêts à leurs idées, et plier, pendant la bonne fortune de Napoléon, sous le joug de ses volontés, mais leur orgueil avait survécu à leur dignité, et dès que la pression cessait, il se relevait avec toutes ses prétentions. Le Sénat impérial, croyant personnifier en lui la souveraineté du peuple et s'appuyant pour la faire respecter sur les baïonnettes des Russes et des Prussiens, se montrait le gardien susceptible de sa Constitution, même vis-à-vis du gouvernement provisoire, et celui-ci n'était pas fâché de ces susceptibilités querelleuses qui le fortifiaient contre les Bourbons. Le gouvernement provisoire ayant donné au nouveau roi le nom de Louis XVIII dans le Moniteur, il y eut une motion faite au Sénat pour exiger la rectification d'une dénomination inexacte et inconstitutionnelle. En effet, disait-on, le prince en question n'avait jusque-là qu'un titre légal, d'après l'acte sénatorial, celui de frère du dernier roi. On passa à l'ordre du jour, en le motivant sur ce que le prince appelé au trône n'était, jusqu'à l'acceptation de la Constitution, qu'un simple particulier. D'a

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