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toute sa valeur morale dès qu'elle était acceptée par les puissances coalisées. Ce n'était point un médiocre hommage rendu à la force et à la grandeur de la France que cet appel adressé par l'Europe en armes à Paris désarmé..Le succès des coalisés demandait à nos désastres le repos du monde, et, malgré nos revers, nous n'avions point à solliciter la paix : on nous l'offrait.

Avant que les événements du 31 mars prennent leur cours, il importe d'examiner une question qui se présente ici d'ellemême. On a beaucoup parlé des trahisons de 4814. L'histoire même s'est rendue l'écho des bruits contemporains qui coururent à ce sujet. Le moment est venu d'apprécier la valeur de ces rumeurs confuses qui bourdonnent autour de toutes les grandes catastrophes. Est-il vrai que la chute de l'empereur Napoléon soit le résultat de quelques trahisons, d'une intrigue tramée à Paris dans le salon du prince de Talleyrand, ou de quelques manifestations royalistes faites dans la journée du 31 mars? Ou bien cette chute fut-elle le résultat inévitable de causes générales contre lesquelles personne ne pouvait lutter?

Lorsque, en se détachant de toute opinion préconçue, on étudie ce problème, il y a tout d'abord une considération qui frappe l'empereur Napoléon n'a point péri par tel ou tel abandon, il a péri par l'abandon universel. Il éprouva l'inconvénient d'un gouvernement fondé exclusivement sur le génie et la fortune d'un homme. Quand la fortune manque à ce génie, et, disons-le aussi, quand ce génie se manque à luimême, tout lui manque à la fois. Sa famille est la première à l'abandonner. Joseph, son frère, donne l'exemple de la fuite, et l'on a vu le général Dejean s'efforcer en vain de ramener à son poste ce fuyard impérial. L'impératrice Marie-Louise l'a devancé sur la route de Blois avec Cambacérès, le conseiller le plus intime de l'Empereur, et tous ses fonctionnaires et toute

sa cour. Il est difficile de persuader à une ville que l'on quitte parce que l'on ne croit plus y être en sûreté qu'elle est en sûreté elle-même, et quand les plus intéressés à la défense y renoncent, il est indiqué qu'elle ne se prolongera pas. II paraît tellement impossible à Joseph Bonaparte de la prolon– ger, qu'il laisse en partant aux maréchaux Mortier et Marmont l'autorisation de capituler. Ceux-ci, qui ont combattu avec un courage admirable dans les journées précédentes, et qui, avec des forces prodigieusement inégales, ont fait des miracles, viennent apporter l'appui de leur autorité d'hommes de guerre à l'opinion de Joseph sur l'impossibilité de tenir plus longtemps sans exposer Paris aux rigueurs d'une exécution militaire; ils demandent une suspension d'armes, puis ils signent une capitulation.

Dans tous ces événements, qui ne sont que le prélude de ceux qui vont suivre, on retrouve la trace d'une influence irrésistible qui mène les hommes et les choses. Il y a, dans les affaires humaines, deux actions qu'il faut toujours distinguer, sous peine de confondre l'accessoire avec le principal: les causes générales qui dominent les situations et les hommes, et les circonstances particulières à l'occasion desquelles ces causes générales produisent leurs effets. Il y avait, en 1814, une cause générale qui dominait tout l'Europe et la France avaient un besoin impérieux de la paix, elles la voulaient passionnément. Elles avaient tant souffert de la guerre qui désolait le monde depuis vingt et un ans, que les vainqueurs du jour, vaincus de la veille, et les vainqueurs de la veille, vaincus du lendemain, aspiraient également au repos. On a pu depuis, dans des intérêts de parti ou pour flatter les passions ou l'imagination de la France, tracer de ces temps un tableau de fantaisie, montrer les classes les plus nombreuses ardentes à se lever en armes, les classes élevées seules inclinant à la paix, et un petit nombre d'hommes pusillanimes ou corrompus arrê

tant l'essor national au moment où une levée en masse va rejeter l'étranger vaincu hors de notre territoire. L'histoire, qui dit les choses non comme on voudrait qu'elles fussent, mais comme elles sont, ne peut entrer dans ces calculs. Le sentiment dominant de cette époque, c'est une lassitude universelle; cette lassitude est plus marquée encore dans les classes populaires que dans les classes aisées; plus on descendait, plus la souffrance des appels était sentie. Les témoignages des contemporains, à quelque idée, à quelque parti qu'ils appartiennent, sont unanimes sur ce point. Carnot parle à ce sujet comme Chateaubriand; Caulaincourt, M. de Narbonne, Rovigo, Duroc, le comte de Ségur et d'Hauterive, serviteurs de Napoléon, ses maréchaux eux-mêmes, commie madame de Staël, sa grande ennemie. Pendant la campagne de 1843, Fouché, Rovigo, Caulaincourt, Cambacérès enfin, malgré sa timidité complaisante, ne cessent d'avertir Napoléon de cet épuisement et de cette lassitude du pays. Pendant la campagne de France, au commencement de mars 1814, Joseph Bonaparte écrivait à l'Empereur son frère : « Sire, vous êtes seul; votre famille, tous vos ministres, tous vos serviteurs, votre armée veulent la paix que vous refusez. » Comment n'aurait-on pas désiré la paix? M. de Ségur, en retraçant depuis l'histoire de la campagne de Russie, à laquelle il assista, a écrit ces lignes : « On ne comptait dans l'Empire que des hommes vieillis par le temps ou par la guerre, et des enfants; presque tous les hommes faits, où étaient-ils ? Les pleurs des femmes, les cris des mères le disaient assez. Penchées laborieusement sur cette terre qui, sans elles, resterait inculte, elles maudissent la guerre. » Ce n'est encore là qu'un coin du tableau. Il faudrait

1. Cette remarque est de M. Thiers, qui ajoute, après avoir rappelé plusieurs manifestations populaires dont Napoléon fut témoin en personne dans les faubourgs de Paris : « J'écris d'après les rapports de la police impériale que j'ai sous les yeux. » (Histoire de l'Empire, tome XV, page 243.)

y ajouter les parents arrêtés comme responsables de la fuite de leurs fils, et les livrant quelquefois, car devant cette nouvelle terreur les sentiments de la nature fléchissaient, les habitants des villages frappés solidairement des peines applicables à un réfractaire, les affiches de la conscription collées au coin des rues, et lues avec presque autant d'effroi par les passants que, dix-huit ans auparavant, les listes des arrêts du tribunal révolutionnaire; les soldats français eux-mêmes souvent mal reçus et maltraités par les populations désespérées'. Il n'y eut donc pas, quoi qu'on ait dit, de levée en masse contre l'étranger. Il y eut quelques efforts partiels et bien rares. La France ne résista pas à l'invasion; la preuve, c'est qu'elle put être envahie. Elle ne résista pas, parce qu'elle haïssait encore plus la guerre que l'ennemi.

L'Europe, toutes les paroles, tous les actes des puissances coalisées concourent à l'établir, n'était pas moins affamée de repos que la France. Elle se ruait désespérément à la conquête de la paix; elle refusait les trêves et les armistices, et déclarait qu'elle ne s'arrêterait que lorsqu'elle aurait la certitude d'un traité durable et solidement garanti. C'est ce qui avait fait échouer les conférences de Lusigny, les négociations de Châtillon, et amené la convention de Chaumont, enfin la détermination prise par Alexandre de marcher sur Paris. La procla

1. Plusieurs historiens favorables à Napoléon ont constaté des faits à l'appui de cette observation. M. de Mentrol, dans son Résumé de l'histoire de Champagne, s'exprime ainsi ; « La mauvaise fortune de Napoléon le fit accueillir dans Troyes comme si le sceptre impérial était déjà échappé de ses mains. Ses soldats eux-mêmes sont reçus comme s'ils n'étaient pas Français; aucun secours, point de soins pour eux; on ne leur prodigue que de perfides conseils qui en décident un grand nombre à déserter. » M. de Salvandy a raconté, dans ses Scènes de Bivac, que, dans les plaines de la Champagne, près de Méry-sur-Seine, une fermière mit elle-même le feu à sa ferme, où il était couché sur la paille avec ses camarades : « Dans l'ivresse de sa douleur et de sa vengeance elle avait mis le feu à son propre toit. Quand on voulait sortir, on trouvait cette malheureuse, la fourche à la main, essayant de fermer les passages et de rejeter dans les flamines les coupables auteurs de ses malheurs. »

mation du prince de Schwarzenberg sous les murs de la capitale de la France respire le même sentiment, la ferme volonté de ne déposer les armes que lorsqu'on aurait la confiance d'avoir assuré définitivement le repos de l'Europe, qui n'en pouvait plus de fatigue.

C'était là l'arrêt de la perte de l'empereur Napoléon. La France et toutes les nations de l'Europe voulaient passionnément la paix, et il était la guerre. Ce n'était pas seulement chez lui une affaire de génie et de tempérament, c'était une affaire de nécessité. Le principe de son gouvernement était le principe militaire. Dans un temps et dans un pays où toutes les idées avaient été remuées par une révolution qui avait jeté dans les esprits des germes d'indépendance, la passion de la liberté et de l'égalité, et l'habitude d'un libre examen, toutes les supériorités d'institution sociale étant détruites, il ne restait plus pour gouverner que la supériorité naturelle du génie, constatée chaque jour par un triomphe; et, tous les principes politiques ayant été mis de côté, on ne pouvait plus guère trouver le nerf de l'autorité souveraine que dans une armée victorieuse. S'il n'avait pas eu lui-même le sentiment de sa position, le succès momentané de la conspiration de Mallet, qu'il apprit au milieu de ses désastres de Russie, la lui aurait révélée. Cesser de vaincre, de dominer l'Europe, c'était pour lui cesser de régner, car c'était au moyen de ces victoires, de cette domination européenne qu'il gouvernait à l'intérieur. Il avait des compagnons de guerre qui aspiraient à devenir ses égaux, et des instruments qui se changeaient en obstacles dès qu'il n'était plus le vainqueur et le dominateur de l'Europe. Il ne pouvait donc rester sous le coup de ses derniers revers, et le sentiment vrai de sa position lui dictait les paroles, déjà citées, qu'il adressait à ceux qui lui proposaient d'accepter l'ultimatum qu'on lui imposait au congrès de Châtillon: <«< Que serai-je pour les Français quand j'aurai signé leur

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