Abbildungen der Seite
PDF
EPUB

léon l'y avait accoutumée. Les victoires avaient cessé de venir; elle s'en était étonnée d'abord, puis inquiétée; enfin, déshabituée d'agir, elle s'en était encore remise du soin de la défendre à celui qui l'avait réduite au rôle d'instrument, et qui l'avait jetée dans une situation si critique. Dès le commencement de l'année 1813, le mécontentement public se manifestait à Paris en présence de l'Empereur lui-même1. Un jour qu'il était allé visiter à cheval le faubourg Saint-Antoine, un jeune homme, atteint par la conscription, se plaça sur ses pas, et lui tint le langage le plus offensant. Des gens de police ayant voulu l'arrêter, la foule ameutée s'y opposa. Il arriva plusieurs fois que des jeunes gens, saisis par la police, ayant crié qu'ils étaient des conscrits qu'on emmenait de force, quoiqu'ils fussent en réalité des malfaiteurs, furent délivrés par le peuple. Les propos tenus sur Napoléon allaient au delà de ce qu'on peut imaginer. Le mécontentement des populations rurales était plus profond encore que celui des populations urbaines 2.

C'était sous ces auspices que Napoléon devait ouvrir la campagne de 1814. Déjà des signes avant-coureurs de sa chute avaient entr'ouvert devant les regards clairvoyants le rideau qui cachait l'avenir. La conspiration de Mallet, par son succès d'un instant et l'oubli où les serviteurs les plus dévoués de Napoléon, en apprenant la fausse nouvelle de sa mort, avaient laissé son fils, annonçait déjà, à la fin de 1812, que l'Empire, viager et précaire, pouvait périr par un accident, et tenait à la personne de l'Empereur. En revenant de la cam

1.

Peindre le découragement et le mécontentement des esprits dans l'armée et dans toute la France, à la vue de tant de maux, dire le triste avenir que chacun entrevoyait, ce me serait impossible. » (Mémoires du duc de Raguse, tome VI, page 5.)

2. Nous empruntons ces détails au quinzième volume de l'Histoire de l'Empire par M. Thiers. Il ajoute, en les donnant, page 242: « Je ne fais pas des tableaux de fantaisie, je ne rapporte que ce que j'ai lu dans les bulletins de la police impériale adressés à Napoléon. »

.

pagne de Leipsick, à la fin de 1813, Napoléon avait lui-même constaté, par ses premières paroles au sénat, le changement qui s'était opéré dans sa fortune et dans la situation du monde. << Toute l'Europe marchait avec nous, il y a un an, avait-il dit, toute l'Europe marche aujourd'hui contre nous1. » Puis était venue l'adresse du Corps législatif, qui avait mis en lumière le changement des idées en France, de sorte que les périls de la situation intérieure coïncidaient avec ceux du dehors.

Le Corps législatif avait été, comme à l'ordinaire, choisi par le Sénat sur les listes électorales parmi les hommes tranquilles, modérés, timides, et présumés dévoués à l'Empire. Mais les gouvernements oublient que les circonstances, en changeant, changent les hommes, et que la même assemblée, sous l'influence de situations différentes, peut montrer des esprits très-divers. Ce n'est donc pas une garantie pour un gouvernement absolu, que d'avoir un parlement composé d'hommes dociles et obséquieux devant sa toute-puissance; si les circonstances tournent contre lui, ils subissent l'impulsion des circonstances, comme ils ont subi la sienne, parce que, étant faibles, ils plient devant la force, quelque part qu'elle soit, dans les hommes ou dans les choses. Le gouvernement impérial ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même de ce que la vérité lui était dite si tard et dans des circonstances où, loin de le servir, elle lui nuisait. C'est le propre des gouvernements absolus de ne point tolérer la vérité, tant qu'ils sont en possession de toute leur vigueur; on ne la leur dit donc que lorsqu'ils s'affaiblissent, et comme ils ont eu soin de ne laisser arriver que les hommes sans résistance devant la force, ils les trouvent sans ménagement pour la faiblesse, et peu disposés à s'arrêter devant ces considérations tirées de l'ordre moral, qui font que les esprits fiers et généreux respectent l'adversité. Il

1. 14 novembre 1813.

y avait, en outre, depuis 1808, un mauvais souvenir dans la mémoire du Corps législatif contre l'Empereur qui avait retiré à ses membres, par une note offensante, insérée au Moniteur, le titre de représentants de la nation que l'Impératrice leur avait donné. Le temps n'avait point cicatrisé la blessure que cet outrage impolitique avait laissé au cœur de cette assemblée. C'est ainsi qu'au dedans comme au dehors Napoléon allait recueillir les fruits amers des fautes commises pendant ses longues prospérités.

Napoléon pressentit, jusqu'à un certain point, ces dispositions du Corps législatif, et, pour paralyser, autant que possible, ces dispositions, il lui enleva, par un sénatus-consulte, le droit qu'on lui avait jusque-là impunément laissé de présenter cinq candidats, parmi lesquels l'Empereur choisissait son président. Le chef de l'État, s'attribuant ce droit, en vertu du sénatus-consulte présenté par M. Molé, nommé ministre de la justice en 1813, désigna le duc de Massa, ce qui compliquait une mesure fâcheuse par un choix malheureux. Il voulait se réserver par là la direction de l'assemblée. Mais il la mécontentait en lui témoignant une défiance mal déguisée sous des motifs puérils tirés de l'étiquette dont un président désigné par l'assemblée pouvait, selon les ministres,

1. « Sa Majesté l'Impératrice n'a point dit cela; elle connaît trop bien nos constitutions; elle sait bien que le premier représentant de la nation est l'Empereur, car tout pouvoir vient de Dieu et de la nation.

«Dans l'ordre de nos constitutions, après l'Empereur est le Sénat; après le Sénat est le conseil d'État; après le conseil d'État est le Corps législatif. »

2. M. d'Hauterive, ministre par intérim des affaires étrangères, écrivait à ce sujet à l'Empereur: « Le grand mal dans cette affaire et dans toutes les affaires un peu difficiles qui pourront survenir est le peu de confiance qu'inspire le président du Corps législatif; avec des manières communes, des formes épaisses, un esprit naturellement lent et borné, affecté comme il l'est d'une maladie qui imprime à sa physionomie un caractère permanent d'inattention et de stupidité, il est impossible que le président, qui est d'ailleurs savant dans les lois et un bon et un galant homme, puisse désormais empêcher aucun mal et produire aucun bien.» ( (Vie et travaux d'Hauterive par Artaud, page 317.)

ignorer les formes, et de l'inconvénient qu'il y aurait à ce qu'un homme qui n'aurait point l'honneur d'être connu personnellement de l'Empereur arrivât à la présidence. Le souci de leur dignité vient aux assemblées les plus faciles avec le sentiment de leur influence, et il était impolitique à l'Empereur de mécontenter le Corps législatif, puisqu'il croyait en avoir besoin. Il savait combien la paix était universellement désirée en France; il voulait donc convaincre le Corps législatif, et par lui la France, qu'il n'avait rien omis pour conclure une paix honorable, afin d'obtenir un concours énergique pour la guerre qu'il allait faire, et qu'il cherchait à faire accepter par tous comme une de ces guerres de défense nationale pour lesquelles les peuples donnent leur dernier homme et leur dernier écu.

Après la bataille de Leipsick, il y avait eu un commencement de négociation. Au mois de novembre 1813, les puissances coalisées avaient fait dicter à M. de Saint-Aignan, ministre de France à Weimar, et enlevé par une bande de partisans, une note dans laquelle elles offraient d'ouvrir, dans une ville neutralisée sur le Rhin, des conférences qui ne suspendraient pas les opérations militaires; mais elles exigeaient que l'empereur Napoléon consentît d'abord à accepter les bases posées par elle. « La France devait, d'après cette note, se renfermer dans ses limites naturelles, c'est-à-dire entre le Rhin, les Alpes et les Pyrénées, et renoncer à toute souveraineté en Allemagne, en Espagne, en Italie. » L'Empereur, informé de ces propositions le 14 novembre 1813, avait fait répondre, dès le 16, qu'il acceptait l'idée des conférences, et qu'il faisait choix de Manheim comme lieu de réunion et du duc de Vicence pour l'y représenter; mais il avait gardé un silence absolu sur les bases proposées, ce qui ôtait toute valeur à son acceptation. Ce ne fut que le 2 décembre suivant que, sur l'observation faite par M. de Metternich à l'occasion de ce

silence, l'Empereur fit annoncer qu'il adhérait aux bases proposées. Mais alors les événements marchaient dans le sens des intérêts des coalisés qui différèrent à leur tour de répondre.

Les mois de novembre et de décembre virent, en effet, décliner sur tous les points les affaires de Napoléon. La Hollande se sépara de lui et proclama son indépendance, en accueillant les Prussiens; Wellington, franchissant les Pyrénées, commença à pénétrer dans nos départements du Midi; Murat, qui depuis la campagne de Russie était séparé de cœur de Napoléon contre lequel il avait éclaté en murmures, négocia son traité avec les Anglais et les Autrichiens. Les coalisés, voyant que le temps était pour eux, le laissaient courir. Napoléon, qui avait retardé jusqu'au 19 décembre 1813 la réunion du Corps législatif, fixée d'abord au 2 décembre, dans l'espoir qu'il pourrait annoncer l'ouverture des conférences de Manheim, ordonna que l'on communiquât à une commission tirée de son sein toutes les pièces originales contenues au portefeuille des affaires étrangères : « J'avais conçu, disait-il dans ce discours, de grands projets pour la prospérité et le bonheur du monde. Monarque et père, je sens ce que la paix ajoute à la sécurité du trône et à celle des familles. Des négociations ont été entamées avec les puissances coalisées. J'ai adhéré aux bases préliminaires qu'elles ont présentées. J'avais donc l'espoir qu'avant l'ouverture de cette session le congrès de Manheim serait réuni. Mais de nouveaux retards, qui ne peuvent être attribués à la France, ont différé ce moment que presse le vœu du monde. »

Les commissaires du sénat furent MM. de Lacépède, de Talleyrand, de Fontanes, de Saint-Marsan, Barbé-Marbois et Beurnonville; ceux du Corps législatif, MM. le duc de Massa, Raynouard, Lainé, Flaugergues et Maine de Biran, MM. de Lacépède et de Massa faisaient partie de droit de la commission, comme présidents du Sénat et du Corps législatif; les

« ZurückWeiter »