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que Bonaparte sut l'apprécier; c'est en adoptant un système aussi simple, aussi raisonnable, qu'il donna à son gouvernement tant de force et de stabilité. Du reste, il est bien vrai qu'à l'époque de son avénement, si l'on en excepte son armée, le consul ne connaissait en France ni les personnes ni les choses; mais sa haute sagacité lui fit bientôt distinguer ceux qui pouvaient lui être utiles, et en première ligne Talleyrand; ce qui était assurément une preuve d'habileté et de discernement. Lié depuis longtemps à toutes les intrigues, à tous les complots de la révolution, l'ancien évêque avait vu et pratiqué successivement tous les intrigants, tous les fauteurs d'émeutes et d'insurrections. A son début dans la diplomatie, en 1792, dans ses missions de Londres, et surtout à Paris, au milieu des terribles événements d'août et de septembre, il avait été avec Roederer le conseiller du funeste emprisonnement de Louis XVI, puis avec Danton et Dumouriez celui des honteuses conventions de Valmy, et en même temps des pillages, des égorgements qui en avaient été le moyen et les conséquences. Voilà ce que fut notoirement l'initiation de Talleyrand dans la diplomatie révolutionnaire, dans cette politique de spoliation et d'assassinats, plus odieuse cent fois que celle du XVIe siècle. Si Machiavel fit connaître aux rois l'art d'opprimer les peuples, on peut dire que les maîtres de notre époque n'ont pas seulement appris aux peuples à détrôner les rois, mais qu'ils leur ont encore enseigné à les égorger, à se mettre à leur place. Comme l'a dit Alfiéri, quand on a bien vu les petits, on cesse d'accuser les grands. Nous nous garderons bien de dire

que le héros du 18 brumaire voulût suivre en tous points de pareils errements, ni qu'il se soit jamais proposé d'ajouter de nouveaux torts aux crimes de la révolution; mais pour réparer ces torts il fallait les connaître, il fallait en savoir les causes, les auteurs, et, sur cela, personne ne pouvait lui en dire plus que l'ancien évêque d'Autun. Si cet homme eût été de bonne foi, s'il n'avait pas eu lui-même de grands torts à se reprocher, par lui et le jeune consul de très-beaux jours pouvaient naître; tous nos malheurs pouvaient être réparés! Si dès lors Bonaparte n'obtint pas de lui de bons et utiles renseignements, s'il ne lui indiqua pas, dans toutes les occasions, les véritables moyens de réparer nos malheurs, ce n'est donc pas le consul qu'on doit en accuser.

Aussitôt après la révolution du 18 brumaire, dès que Napoléon fut maître absolu du pouvoir, ne gardant plus aucune mesure et se posant en véritable souverain, il voulut annoncer lui-même son avénement à tous les rois de l'Europe. Nous ne pensons pas qu'en cela il ait pris conseil de Talleyrand, qui, tout révolutionnaire qu'il eût été jusqu'alors, savait bien les règles de ces sortes de communication et ne pensait pas que le temps fût venu de s'en écarter. On sait comment le ministère anglais y répondit et quelles conditions il mit aux propositions de paix qui lui furent faites si brusquement. Nous ne citerons de cette réponse que la partie la plus remarquable,celle qui donna lieu aux plus vives récriminations. Selon le ministre Grenville, qui signa la dépêche, le gage le plus sûr de la réalité et de la durée de la paix, qui était proposée par la France, devait être la restaura

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tion de cette lignée de princes qui | pendant tant de siècles avaient « conservé à la nation française « sa prospérité au dedans et sa con▪ sidération au dehors. Un tel évé•nement, ajoutait le ministre, écar1 terait tout obstacle aux négocia«tions et à la paix. » On doit bien penser qu'une pareille ouverture ne pouvait convenir ni au consul ni à son ministre. Ce dernier y fit une réponse beaucoup moins franche, et dont les principaux motifs furent établis sur des faits qu'il savait bien n'être pas exacts, puisque ces faits se rapportaient à son ambassade de Londres, dont il n'avait pu oublier les principales circonstancès, et que cependant il changeait et dénaturait dans les détails les plus importants. Les ministres anglais s'abstinrent de toute autre réponse, et l'affaire en resta là. Quant aux autres puissances, qui avaient reçu de pareilles communications, on ne peut pas douter qu'elles n'y aient répondu; mais comme le gouvernement consulaire s'abstint de toute publication acet égard, on doit penser que leurs réponses furent peu favorables.

Quelques mois après, le ministre des affaires étrangères fut chargé d'une affaire plus difficile et sans doute plus importante, qu'il conduisit très habilement, il faut en convenir, et qui eut les plus heureux résultats; ce fut la réconciliation de la France avec l'empereur de Russie. Lorsqu'il eut rompu avec l'Autriche, vers la fin de 1799, on sait que Paul Ier ne renonça pas entièrement à faire la guerre au parti révolutionnaire qui gouvernait la France, qu'il fit même partir un de ses corps d'armée pour secourir les Vendéens, et qu'il refusa le reconnaître le gouvernement consulaire. Ce fut dans de pareilles cir

LXXXIII.

constances que Talleyrand ne désespéra pas de faire du czar un allié, un ami du premier consul, et que, par un peu de cajoleries dans ses dépêches, par le cadeau d'une épée du grand maître de Malte, que ce prince croyait avoir remplacé, et surtout par le renvoi sans échange, sans rançon, de tous les prisonniers russes que la France possédait, il en vint au point de faire entrer le czar en correspondance avec le premier magistrat de la république, et qu'il n'y eut pas seulement entre eux des lettres d'un ton fort amical, mais qu'ils signèrent un traité de la plus haute importance, et duquel pouvait résulter pour l'Angleterre la perte de ses colonies de l'Inde et pour la France l'alliance la plus réellement avantageuse. Déjà toutes les dispositions étaient faites, et l'armée des deux empires allait se mettre en marche pour traverser l'Asie, lorsque la mort de Paul 1er vint subitement renverser tous ces plans et détruire tant de beaux projets. Quand Bonaparte en reçut la nouvelle, il se répandit en violentes invectives contre le ministère anglais, qu'il accusa hautement d'avoir pris part à cet attentat. Talleyrand, qui sans doute autant que lui en fut affligé, n'exhala sa douleur que par ce peu de mots sur le genre de mort auquel on dit que le czar avait succombé: Toujours des apoplexies; ils devraient au moins un peu changer..... » Cet événement, dans de pareilles circonstances, fut certainement un malheur pour la France. La ruine de l'Angleterre était certaine si l'expédition se fût exécutée; mais il est probable que, pour l'éviter, cette puissance eût fait de grands sacrifices. C'était à Talleyrand surtout qu'on devait le succès de la négo

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ciation; et le premier consul était parfaitement en mesure d'en profiter; il en avait admirablement saisi toutes les conséquences, et ce résultat lui avait fait prendre la plus haute idée de son ministre. Cette réputation d'habileté s'étendit beaucoup à cette époque. Cependant il n'était pas partout jugé aussi favorablement, Le portrait qui fut envoyé dans ce temps-là, de Paris à un ministre de Berlin, bien qu'il s'y trouve de légères erreurs, mérite d'être rapporté

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Ce qui, à l'égard de M. de Tal«<leyrand, intéresse peut-être beau« coup moins Votre Excellence, c'est - ce qui a trait à sa vie privée, à ses actes purement personnels. Mais « ce serait là cependant qu'on pourrait puiser des idées saines sur le mérite, les talents, la mobilité du ⚫ personnage; et cette connaissance « n'est point inutile sans doute à celui qui doit suivre sa marche politique dans les négociations dont ce diplomate est ou sera chargé. • Est-il indifférent aux rois de savoir ⚫ comment la tortuosité de ses principes et de sa conduite fit et main

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« tint son crédit, que probablement elle prolongera? Votre Excellence,

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sérieuses et véritablement raison« nées. Votre Excellence sait sa con• duite aux états généraux et en Angleterre; elle a peut-être lu ses discours ou mémoires avant et de« puis son exil, dont il ne dut la fin qu'aux sollicitations de Mme de Staël près du régicide Chénier, Mais ces écrits sont uniquement l'œuvre de son ancien grand-vicaire Desrenaudes, que je l'ai entendu nommer très cavalièrement son aide de camp. Desrepaudes • est un écrivain plein d'esprit, de connaissances, de talent; il lui • prépare jusqu'à ces petits billets du matin qui charment ses amis, ⚫ hommes et femmes, mais que pourtant l'indolent personnage ne fait • que copier en chétif écolier, Introduit chez Barras par madame de Villars - Brancas, leur parente commune, ce fut là qu'il conçut, prépara et proposa le coup d'État du 18 fructidor, qui l'éleva au minis

lors de ses voyages en France, l'atère où il se maintint par sa flexi

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bilité et un impassible courage à « souffrir les brutalités de Rewbell,

comme en jouant l'homme affairé, . tandis que dans son cabinet, où l'on entrait par une porte de derrière, dite des amis, il se livrait avec ses affidés aux piseuses saillies d'une constante et insouciante paresse. Il lui fallait une souillure patente, pour assurer sa complicité avec son maître; il voulut donc se marier, ce qui passait alors chez un ⚫ prêtre pour un grand scandale, et rechercha madame de Buffon. C'e tait l'effet d'un double calcul; ca

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cette union le déprêtrisait et le liait de plus en plus aux intérêts de la maison d'Orléans, qui tôt ou tard pouvait triompher. Cette femme qui valait cent fois mieux que sa réputation, et à qui madame la duchesse d'Orléans elle-même rendait justice, le refusa, et il ne lui a jamais pardonné. Mais plus tard ⚫ un trésor de honte est venu luire à ses yeux; madame Grand, femme répudiée, est devenue la citoyenne Talleyrand. Admirateur intéressé de Bonaparte, valet sous mis du Directoire, j'ai dit à Votre Excellence l'intrigue qui le fit chasser, les prévoyantes bassesses qui le firent rappeler par celui dont il devina les hautes destinées et à l'épée victorieuse duquel il dut les succès diplomatiques dont il jouit et qu'il a su parer des talents rélégués dans l'ombre des d'Haute⚫rive et des Durand. Quant à lui, de ⚫ quelle haute yue politique, de quel système d'État, de quelle épineuse négociation peut-il se glorifier? • Bonaparte conclut sans lui le traité ⚫de Campo-Formio. Celui, très-illusoire, du comte de Saint-Jullien, dont il fut la dupe, n'eût été que la réalisation de la convention d'Alexandrie. La pacification de Lunéville avait été d'avance imposée à Hohenlinden. Il ne lui reste donc que des intrigues peu honorables avec Arahüjò et les ministres américains,ainsi que les ergotages longs ⚫et sans fruits de ce congrès de Rastadt, à l'abri desquels se formait une coalition qu'il ne sut ni prévoir ni prévenir. S'il se maintient, c'est qu'il flatte l'orgueil et l'ambition de son maître, dont il devine et approuve d'avance les secrètes pensées; c'est qu'il lui est utile en sachant parer de formes aimables

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«et conciliatrices son despotisme politique, quelquefois un peu trop brutal. Mais s'il cessait d'être l'a

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gent servile d'un triomphateur, . l'homme se montrerait dans toute • sa médiocrité. Voilà sur quoi il est important de ne pas s'abuser, en -traitant avec un ministre le plus grand de tous pour les roueries politiques et les bons mots... » Si cette esquisse d'un portrait qu'on pourrait appeler anecdotique ne suffit pas pour bien connaître un des hommes les plus célèbres de notre époque, on y trouve du moins des faits et quelques traits qui peuvent le faire apprécier sous beaucoup de rapports. Ce ne fut pas un Richelieu ni un Mazarin, mais un rusé diplomate, un astucieux intrigant, sachant prévoir les événements, et toujours prêt à s'y soumettre, à en tirer parti dans son intérêt. Personne moins que lui n'eut le droit de dire comme le poète de Rome: Mihi res,non merebus submittere conor. Pour lui, il eut fallu retourner ainsi la maxime; Merebus, non mihi res submittere conor. Le seul personnage de notre histoire auquel on puisse le comparer est l'ignoble Dubois, auquel toutefois il fut supérieur par l'esprit, les bonnes manières qu'il tenait du rang élevé dans lequel il était né. Nous ne pensons pas que, même dans une mascarade, il eût poussé l'effronterie jusqu'à outrager publiquement son maitre (11). Son habileté consis

(11) On a dit souvent qu'il était possible de lui donner, et sans qu'il y parût sur sa figure, vingt coups de pied dans le derrière; qu'ainsi il eût fort bien joué le rôle du régent, qui, pour être mieux déguisé dans un bal masqué, se faisait traiter de cette façon par son favori, se contentant de lui dire, quand il se sentait frapper trop fort: Dubois, tu me déguises trop

tait surtout à dissimuler. Il a dit que la parole n'avait été donnée à l'hom. me que pour déguiser sa pensée, et Chénier, qui le connaissait bien, a fait dans ce sens une de ses meilleures épigrammes :

Roquette dans son temps, Talleyrand dans le
Furent tous deux prélats d'Autun. [nôtre,

Tartufe est le portrait de l'un (12);
Ah! si Molière eût connu l'autre!

Après les victoires de Marengo et de Hohenlinden, qui portèrent si haut la puissance de Bonaparte, vinrent les traités de Lunéville et d'Amiens, puis les négociations d'indemnités, de sécularisations, qui devaient donner lieu à tant d'intrigues, de spoliations préparées et dirigées par l'ancien prélat; on peut dire qu'il fut alors au milieu de son véritable élément; mais avant de parler avec plus d'étendue de ces brillantes affaires, nous devons dire quelque chose d'une opération plus grande encore et surtout plus honorable, celle du concordat qui fut conclu avec le saint-siége le 15 juillet 1801, et auquel on ne pouvait guère penser que prendrait part le cidevant évêque.

Ce fut un spectacle curieux et bien digne d'une époque d'incertitude et de mépris des choses les plus saintes, que celui d'un homme qui s'était montré des premiers et des plus acharnés à attaquer la religion et ses ministres, qui pour cela avait été excommunié, rejeté de l'Église, qui n'était pas encore relevé de ces trop justes condamnations, que de voir, disons-nous, ce même homme concourir au redressement de tant de de torts, à la réparation de tant de

(12) L'abbé Roquette, qui fut évêque d'Autun sous Louis XIV, avait fourni à Molière le modèle de son Tartufe.

maux qu'il avait accumulés sur la France! L'ancien évêque d'Autun, assisté du transfuge des royalistes Ber. nier, n'hésita pas à se charger de cette mission délicate avec l'envoyé du pontife romain Consalvi. Heureuse. ment pour lui, le pontife n'était plus le même que celui qu'il avait fait expulser de Rome cinq ans auparavent. Pie VI était mort dans l'exil, et mal

gré les recommandations du Directoire et de son ministre, on lui avait donné un successeur. L'objet dont Talleyrand s'occupa le plus dans ce grand acte de réconciliation fut ce qui l'intéressait plus particulièrement lui-même. Depuis qu'il y avait

aux Tuileries une cour où l'on s'ef

forçait de rappeler tout ce qui avait autrefois distingué la monarchie française, la liaison du ci-devant prélat avec madame Grand était devenue un véritable scandale, et le premier consul ne permettait pas qu'elle y fût reçue. Il n'y avait qu'une décision papale qui pût mettre fin à cette fâcheuse exclusion ; et l'on conçoit l'empressement avec lequel le ci-devant évêque saisit pour y parvenir l'occasion du concordat, qui lui fut si heureusement offerte. Son premier soin fut de demander au Saint-Père la révocation de l'excommunication prononcée contre lui en 1790, et son retour à la vie séculière. Ces deux points, quelque graves qu'ils fussent, ne rencontrèrent point de difficultés, et l'ex-prélat en conclut qu'il avait obtenu la faculté de se marier. Cependant, comme Pie VII ne l'entendit point ainsi, et que sa décision a donné lieu à différentes interprétations, nous la citerons tout entière : c'est une pièce importante dans cette histoire.

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