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RÉVOLTE DU KAIRE.

Malgré les soulèvemens partiels qui se manifestaient dans plusieurs provinces, il n'y avait rien d'alarmant dans leur situation. Une poignée de Français, partout où ils se présentaient, suffisait pour triompher des révoltés, quel que fût leur nombre; leurs défaites répétées, usaient l'esprit de sédition, et tout faisait présager que dans peu de temps l'Égypte, déjà conquise, serait bientôt soumise toute entière. Depuis l'occupation du Kaire, cette ville avait été parfaitement tranquille, et là, comme dans la plupart des États de l'Europe, l'exemple de la capitale avait une grande influence sur les provinces. Étonnés d'abord des moeurs égyptiennes, les Français s'y étaient bientôt accoutumés et les respectaient. Les habitans, s'ils ne montraient pas un grand empressement à se mêler avec leurs vainqueurs, semblaient du moins les voir sans répugnance. D'ailleurs comprimés par l'appareil militaire et la présence du général en chef, les hommes impatiens du joug étranger n'osaient pas le secouer et courbaient la tête. Cependant sous ce calme apparent fermentait un orage; il éclata à l'improviste; on ne le soupçonnait pas.

Le 30 vendémiaire (21 octobre), à la pointe du jour, des rassemblemens se formèrent dans divers quartiers du Kaire. A sept heures, une populace

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✓ nombreuse se porta à la maison du qady IbrahimEhctem-Efendi, homme respectable par ses moeurs et son caractère. Une députation de 20 personnes les plus marquantes, entra chez lui et l'obligea à monter à cheval pour se rendre, tous ensemble, chez le général en chef, sous prétexte de lui demander la révocation de la mesure relative aux titres des propriétés. On se mettait en marche, lorsqu'un homme de bon sens fit observer au qady que le rassemblement était trop nombreux, et trop mal composé pour des hommes qui ne voulaient que présenter une pétition. Il fut frappé de l'observation, descendit de cheval et rentra chez lui. La populace mécontente le maltraita ainsi que ses gens à coups de pierre et de bâton, et ne manqua pas cette occasion de piller sa maison 1.

Mais les attroupés se croyant alors assez forts pour attaquer les Français, se portèrent dans les différens quartiers qu'ils habitaient, et les prenant au dépourvu, en massacrèrent plusieurs. La maison du général Cafarelly fut investie et pillée; il était sorti avec le général en chef pour visiter des travaux; deux ingénieurs des ponts et chaussées, Duval et Thévenot qui se trouvaient chez lui, y périrent après s'être défendus avec un grand courage. Les chirurgiens de première classe, Roussel et Mongin, eurent le même sort en défendant l'entrée de l'hôpital que les révoltés ne purent forcer. La maison de Kassim-Bey, habitée par les membres de la commission des arts fut assaillie; mais aidés

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Lettre de Bonaparte au Directoire, du 6 brumaire.

seulement de leurs domestiques, ils s'y défendirent et donnèrent le temps à la troupe de venir les dégager.

Le commandant de la place, Dupuis, s'était d'abord contenté d'envoyer des patrouilles ; mais la révolte prenant un caractère sérieux, il sortit accompagé de son aide-de-camp Maury, de son interprète Baudeuf, et de 15 dragons. Quoique toutes les rues fussent obstruées, il était parvenu de la place de Birket-el-Fil jusqu'au Mouski, près le quartier des Francs, et avait même dissipé quelques attroupemens. Arrivé dans la rue des Vénitiens, un flot immense de peuple voulut s'opposer à son passage. Il fit entendre quelques paroles de paix, on ne l'écouta pas. Un chef de bataillon turc attaché à la police, qui venait par derrière, voyant le tumulte et l'impossibilité de le faire cesser par la douceur, tira un coup de tromblon. La populace devint furieuse. Dupuis la chargea avec son escorte, culbuta tout ce qui était devant lui, et s'ouvrit un passage; mais un coup de lance l'atteignit au-dessous de l'aissèle gauche et lui coupa l'artère. Son aide-de-camp fut jeté à bas de son cheval; Dupuis lui tendit la main pour le faire remonter; ce mouvement ouvrit un large passage au sang, il perdit connaissance. On le transporta chez Junot, son ami, où il mourut. Solidaire de la gloire immortelle que s'était acquise en Italie la 32. demi-brigade, dont il avait été commandant, nommé général de brigade sur le champ de bataille des Pyramides, il était entré le premier avec moins de 200 hommes au Kaire, dans une

ville de 300,000 âmes. Dans cent occasions, les hasards de la guerre l'avaient respecté. En apprenant sa mort prématurée, Bonaparte s'écria avec une douloureuse émotion : « J'ai perdu un ami l'armée un brave et la France un de ses plus généreux défenseurs ».

Le canon d'alarme se fit entendre, la fusillade s'engagea dans toutes les rues. Les insurgés, au nombre de 15,000, se retranchèrent dans la mosquée de Jémil-Azar, pour rallier à eux la plupart des habitans, qui, encore timides, n'avaient pris aucun parti; ils en barricadèrent les avenues. D'un autre côté, les Arabes, prévenus du mouvement, parurent et cherchèrent à entrer dans la ville pour se réunir aux insurgés.

Le général en chef, qu'on avait envoyé chercher à Gizeh, voulut rentrer en ville. Après avoir été repoussé de plusieurs portes par les insurgés, il parvint à y pénétrer par la porte de Boulaq. Il donna le commandement au général Bon. Les communications entre les différens quartiers étaient interrompues; la populace pillait les maisons des riches. Des pièces de canon furent mises en batterie à l'entrée des principales rues.

Vers midi, un convoi venant de Salhieh, et conduisant une vingtaine de malades, fut assailli par les Arabes, l'escorte dispersée, et les ma

'La ville de Toulouse, où il était né, célébra, le 20 brumaire an IX, un service funèbre en son honneur. Un arrêté des consuls ordonna qu'un monument lui serait élevé sur une place de cette ville; il ne fut point exécuté,

lades, à peine entrés dans la ville, furent mas

sacrés.

La nuit sembla ramener le calme; les hostilités furent suspendues; mais les insurgés en profitèrent pour se renforcer.

A minuit, Bonaparte envoya le général Dommartin sur le Moqattam, entre la citadelle et la Koubeh, pour y établir une batterie de quatre obusiers qui dominait la grande mosquée à 150

toises.

Le 1. brumaire, dès la pointe du jour, les généraux Lannes, Vaux et Dumas sortirent du Kaire pour battre la campagne, et mirent en fuite 4 à 5,000 paysans et Arabes qui venaient au secours des insurgés. Il s'en noya beaucoup dans l'inondation. Mais le chef d'escadron Sulkowski aide-de-camp du général en chef, fut assailli à son retour par la populace du quartier de Bab-elNasr, son cheval tomba, et cet officier fut assommé. Les blessures qu'il avait reçues au combat de Salhieh n'étaient pas encore cicatrisées; c'était un militaire de la plus belle espérance 1.

A deux heures après midi, tout était tranquille hors du Kaire. Avant de faire tirer les batteries du Moqattam, Bonaparte fit offrir le pardon aux insurgés. Le divan, les principaux cheyks, les

'Lettre de Bonaparte au Directoire, du 6 brumaire.

« C'était, dit Napoléon, un Polonais plein d'audace, de savoir et de capacité. Il était aller porter à Kosciusko les instructions du comité de salut-public. Il connaissait le génie, parlait toutes les langues de l'Europe, aucun obstacle ne l'arrêtait. » Antommarchi, tome II, page 5.

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