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l'Égypte devait, pour la France, tenir lieu des Antilles; que le sucre, le café, le coton, l'indigo et la cochenille pourraient y remplacer toutes ( les autres cultures. Suivant lui, les Anglais savaient bien que la Mer-Rouge, dans laquelle seuls ils commerçaient, deviendrait nécessairement la propriété de la France; que de là aux Indes la distance n'était pas énorme; que le commerce de la côte orientale d'Afrique, Mehedie, Mascate, Mozambique, pourraient un jour tomber entre les mains des Français ; que les ports de la côte d'Aden et ceux dépendans des pays de l'Abyssinie seraient nécessairement fréquentés par eux; qu'ils pouvaient établir des liaisons avec l'intérieur de l'Afrique, de proche en proche, au moyen des caravanes, et peut-être faire communiquer un jour le Nil avec le Niger, au Sénégal.

Quoique tout cela fût encore éloigné, les Anglais, auxquels on ne pouvait refuser une grande intelligence, une prodigieuse activité et beaucoup d'esprit public, verraient d'un coup-d'oeil tout ce qu'on pouvait faire actuellement et ce qui pourrait s'exécuter dans la suite. Sentant qu'ils ne pouvaient et ne pourraient rien contre l'armée d'Égypte directement, parce qu'elle pouvait y rester long-temps sans secours étranger, ils prendraient tous les moyens de lui nuire et de lui susciter des ennemis en Asie, à Constantinople et en Barbarie. C'était donc au général en chef à y pourvoir.

Menou soumettait aussi à Bonaparte ses vues sur l'administration financière de l'Égypte, lui pro

posait des moyens pour utiliser les domaines nationaux, en prévenir la dilapidation et réprimer les malversations des agens militaires ou civils.

« Général, lui disait-il, vous avez conquis l'Italie et l'Égypte; c'est ici que vous devez mettre le complément à votre gloire, en fondant la plus belle des colonies qui aient jamais existé. Faire revivre et rétablir dans toute sa splendeur le pays de Sésostris, de quelques Pharaons et des Ptolomées; fonder le plus brillant commerce du monde, détruire en grande partie celui des Anglais par nos seuls établissemens en Égypte, est la plus belle destinée qui jamais ait été réservée à un homme. Je soumets, à vous seul, toute mes réflexions; faire le bien est ma folie, c'est peut-être le second tome de celle de l'abbé de Saint-Pierre; mais c'est à Bonaparte que j'écris ; c'est à lui seul qu'il appartient de faire le bonheur des peuples après les avoir conquis '. »

Au milieu de ses rêves, et malgré quelque négligence, moins scrupuleux ou moins circonspect que d'autregénéraux, au lieu de raisonner sur les obsta-cles, de crier misère, Menou prenait hardiment toutes les mesures qui lui étaient indiquées par sa situation, ou prescrites par le général en chef. Obligé de vivre de réquisitions, il en frappait sur sa province, y faisait des tournées pour en régulariser la répartition, et réunissait, sans trop charger les contribuables, des vivres de toutes espèces, pour une garnison de 3000 hommes pendant trois mois,

Lettres des 17 et 21 fructidor.

avec lesquels il se trouvait en état de secourir Alexandrie, Abouqyr et même Rahmanieh. Il avait fait payer, en cinq jours, la contribution de 100,000 francs, ordonnée par le général en chef.

Il alla parcourir sa province pour s'assurer de la soumission des villages. Plusieurs membres de la commission des arts et des sciences restés à Rosette, profitèrent de cette circonstance pour visiter un pays où, depuis bien des siècles, aucun Européen n'avait pénétré; c'était comme une partie de plaisir. Marmont voulut en être. Le 24 fructidor, on se mit en marche. Tant qu'on fut sur les bords du Nil, on fut bien accueilli par les habitans. Ceux de Berenbal, Métoubis et Foûéh rivalisèrent de bons traitemens. Mais il en fut autrement lorsqu'à la hauteur du village de Decoûq on s'enfonça dans l'intérieur des terres. Les généraux et les savans, à cheval, suivis d'une escorte de 200 hommes d'infanterie, se trouvèrent une lieue en avant d'elle, près de Chabbas Ameïr. Un premier groupe, composé d'un guide, de Montessuis, aide-de-camp de Marmont, de Viloteau, Varsy jeune, l'ingénieur Martin, membres de la commission, et Joly, dessinateur, arriva aux portes du village. Le guide, voyant un grand rassemblement, cria en arabe : La paix, soyez sans inquiétude! On ne répondit que par le mot erga! (Allez vous-en!) et on fit en même temps une décharge de coups de fusil; les voyageurs n'étant pas armés tournèrent bride, pour se replier sur l'escorte, au grand galop et sautant des fossés. Joly, craignant de ne pouvoir se tenir à cheval, mit pied à

terre; les Arabes l'atteignirent et le massacrèrent. Aux coups de fusil, l'escorte força sa marche, arriva et repoussa les Arabes dans le village. Ils se jetèrent dans une espèce de château fort, s'y maintinrent le reste du jour malgré l'attaque des troupes, qui ne les en débusquèrent que dans la nuit. Menou eut un cheval tué sous lui, et rentra avec un certain nombre de blessés à Rosette.

Dans sa correspondance avec le général en chef, Menou insistait sur une extrême sévérité contre

les voleurs, pour faire sentir au peuple la différence qui existait entre le gouvernement français et celui des beys. Toutes les observations qu'il avait faites, le portaient à croire que les véritables habitans du pays étaient, pour la majeure partie, honnêtes gens. C'était ce que Bonaparte, devinant les hommes, lui avait dit à Alexandrie dans ses instructions, en parlant de la seconde classe des habitans, composée de véritables Musulmans. Les intrigans, les malhonnêtes gens se trouvaient parmi les étrangers; c'étaient les Turcs de Constantinople et d'Asie, les Juifs, les Cophtes, qui, quoique indigènes, faisaient une classe à part, et ces ramas de Chrétiens de toute espèce qui ne venaient en Égypte que pour offrir aux beys leur expérience dans l'art de piller et de vexer les peuples. C'était ainsi que Menou aimait à s'épancher avec celui qui lui avait inspiré estime et respect, et auquel il avait voué le plus inviolable attache

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Marmont était toujours dans ces parages; Bonaparte lui écrivit : « L'intrigant Abdalon, intendant de Mourad-Bey, est passé, il y a trois jours, à Choarah, avec 30 Arabes; on croit qu'il se rend dans les environs d'Alexandrie: je désirerais que vous pussiez le faire prendre; je donnerais bien mille écus de sa personne; ce n'est pas qu'elle les vaille; mais ce serait pour l'exemple : c'est le même qui était à bord de l'amiral anglais. Si l'on pouvait parler à des Arabes, ces gens là feraient beaucoup de choses pour mille sequins. >>

Une djerme allant de Rosette au Kaire et portant 7 hommes de la 22. demi-brigade, fut attaquée par huit bateaux remplis de fellâh du village de Nâkleh et d'Arabes. La résistance des sept Français dura autant que leurs munitions; quand ils les eurent épuisées, et après avoir perdu un des leurs, ils se retirèrent sur la rive droite du fleuve, auprès du village de Gobâris : les habitans, ayant à leur tête le cheyk, Habsab-Allah, les recueillirent et leur donnèrent l'hospitalité. Les fellâh de Nakleh et les Arabes offrirent cent piastres pour se faire livrer les Français. Les habitans de Gobâris refusèrent cette offre, prirent les armes, et le cheyk les conduisit lui-même sur une djerme à Rahmanieh. Le général en chef ordonna que ce cheyk se rendrait au Kaire pour y être revêtu d'une pelisse.

'Lettre du 26 vendémiaire.

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