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chefs de la marine n'avaient fait au général en chef que des rapports très-incomplets. Il se plaignit vivement de ce qu'on lui avait laissé ignorer le nombre des morts, des blessés, des prisonniers et des matelots renvoyés par les Anglais; celui des vaisseaux qu'ils avaient emmenés ou brûlés; celui des principaux officiers sauvés, tués ou prisonniers; quelle était la force de l'ennemi, s'il avait des vaisseaux à trois ponts, combien de quatre-vingt. Il demandait au contre-amiral Gantheaume et à l'ordonnateur Leroy de vouloir bien enfin lui transmettre un compte très-détaillé de tout ce qui s'était passé et de l'état des choses afin qu'il pût en instruire le gouvernement'.

J

Le général Kléber avait assisté au désastre de l'armée navale, et reçu, dans cette circonstance, des impressions peu favorables à la marine. Il écrivait à Bonaparte : « J'ai pris beaucoup d'humeur contre elle. Je l'ai vue sous les rapports les plus dégoûtans. L'énormité des bagages qu'on a déchargés à Alexandrie, la sorte d'élégance que les officiers de mer étalent encore dans les rues', font bien voir que peu d'entre eux ont essuyé des pertes particulières. D'ailleurs les Anglais ont eu le désintéressement de tout rendre aux prisonniers, et de ne point souffrir qu'il leur soit soustrait un iota. Il n'en a pas été de même à l'égard de nos officiers de terre; personne n'a plaidé leur cause; et trop fiers sans doute pour la plaider eux-mêmes, dans cette circonstance, ils arrivent

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abra inc · Lettres du 4 fructidor (21 août),

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ici nus; et la plupart d'entre eux, plutôt que de se rendre, ont préféré de se jeter à la mer. J'ai signé leurs états de pertes, et je leur ai fait distribuer, en attendant, quelques effets du magasin. Je pense donc que ce ne serait pas sans provoquer des murmures, que l'on accorderait des dédommagemens aux officiers de la marine, si l'on n'en donnait en même temps aux officiers de terre; et je prends la liberté de retenir les 15,000 francs que vous aviez affectés au général Gantheaume, jusqu'à ce que vous ayez pris un arrêté général pour les souffrances des deux

armes 1. >>

<< Parmi tous les motifs d'espérance que vous me donnez, il n'en est qu'un que mon coeur refuse d'admettre, c'est celui que vous fondez sur la marine. Je regrette le clou, la planche qu'on y emploie. Le pauvre Casabianca m'a dit une fois, en gémissant, et comme s'il avait pressenti ce qui devait lui arriver: « Notre marine est un cadavre infect. » C'est pis encore.

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Le frère du général Reynier, qui était passager sur l'aviso le Léger, pourra vous rendre compte de l'insigne lâcheté de cet équipage; le capitaine a été le premier à se coucher sur le ventre. Hier matin, deux heures avant le jour, les Anglais surprirent l'aviso la Torride, armé de trois pièces de dix-huit, sous le fort d'Abouqyr; ils vinrent L'attaquer avec de simples canots, montèrent à l'abordage, et firent prisonnier tout l'équipage

Lettre du 5 fructidor (22 août).

TOME I.

-

GUERRE D'Égypte.

18

endormi; le fort ne fut prévenu que par les coups de fusil que l'on tira dans le temps que les Anglais étaient déjà à bord; le capitaine a été puni en recevant neuf blessures; il a été rendu. Vous ne sauriez croire, citoyen général, combien ces récits pénètrent nos soldats d'indignation.

L'infanterie, qui se trouvait à bord de quelques bâtimens, m'a demandé, de la manière la plus pressante, à en être retirée pour rejoindre ses corps respectifs; j'y ai d'autant plus facilement accédé, qu'il était aisé à la marine de remplacer ses garnisons par des marins même, et que je pouvais par là renforcer celle de Rosette, que le général Menou trouvait beaucoup trop faible.

Ne vous en prenez pas à l'ordonnateur seul de la marine, si vous n'avez pas encore reçu un état approximatif du personnel et du matériel qui se trouvent dans le port; il aurait fallu qu'il eût été secondé par des hommes nerveux, et en quelque sorte identifiés avec la chose, et, j'ai beau observer, je n'en aperçois guère. Gantheaume qui, d'abord fort abattu, a repris son équilibre, est le seul qui paraisse se sentir, et dont vous puissiez tirer parti.

J'ignore la nature des blessures du capitaine de pavillon Gilet; il est parti d'ici assez bien portant. Quant au capitaine de frégate Martinet, il est le seul qui m'ait offert ses services à son retour; je lui ai donné le commandement de la légion nautique, dont deux compagnies se trouvent déjà à Abouqyr; les quatre autres les suivront

sous deux ou trois jours, c'est-à-dire lorsqu'on leur aura distribué leurs armes. Je suis sûr qu'il maintiendra la discipline dans ce corps; il est de tournure et de volonté à cela. Sa légion sera composée de 606 hommes, y compris l'état-major et tous les officiers . »

Bonaparte répondit à Kléber qu'il n'approuvait pas la mesure qu'il avait prise, de retenir les 15,000 fr. destinés au contre-amiral Gantheaume; qu'il eût à les lui remettre; que, du reste, les officiers de terre, en garnison sur les vaisseaux, qui devaient être peu nombreux, se trouvaient/ naturellement compris dans la répartition 2. Kléber et Gantheaume s'entendirent pour faire participer à ce secours les officiers des deux armées qui avaient le plus souffert.

Le général en chef écrivit à l'ordonnateur Leroy :

<< Il est extrêmement ridicule, citoyen ordonnateur, que vous vous amusiez à payer le traitement de table, quand la solde des matelots et le matériel sont dans une si grande souffrance. Je vous prie de vous conformer strictement à mon ordre, d'employer au matériel les trois quarts de l'argent que je vous ai envoyé, et le quart seulement au personnel de la marine. En faisant de si grands sacrifices pour elle, mon intention a été de mettre les trois frégates et les deux vaisseaux en état de sortir le plutôt possible 3. »

'Lettre du 9 fructidor ( 26 août ).

• Lettre du 13 (30).

3 Lettre du 29 (15 septembre).

On lisait dans le Courrier d'Égypte, du 20 fructidor, cet article remarquable : « Trois vaisseaux de guerre portugais et deux frégates croisent dans ce moment-ci devant Alexandrie. C'est le coup de pied de l'âne. Mais le lion n'est pas mort, et une année ne se passera pas sans que cette ridicule croisière ne coûte des larmes de sang à la reine et aux grands du Portugal. Pour aller de Paris à Lisbonne, il n'y a point d'Océan à tra

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Il se passa plus d'un an. Mais cette prédiction, où l'on reconnaît les paroles de Bonaparte, s'accomplit.

Pendant que l'armée de terre triomphait en Égypte et que l'armée navale succombait à Abouqyr, les communications avec la France étaient interrompues, et l'importante conquête de Malte s'affermissait lentement dans les mains des vainqueurs.

Les approvisionnemens de cette île éprouvaient des difficultés à cause des croisières anglaises et des mauvaises dispositions de la cour de Naples, qui entravait le commerce avec la Sicile. On avait ouvert des communications avec les puissances barbaresques; mais elles n'avaient encore rien produit qu'une lettre amicale du pacha de Tripoli.

Le peuple maltais, recommandable par sa douceur et sa bonté, semblait se rapprocher des Français, et avait même fait éclater son attache

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