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dans cette circonstance comme dans tant d'autres, prouver que s'ils nous accordent une grande prépondérance sur le continent, ils ont donné l'empire des mers à nos rivaux. Mais ce revers ne peut être attribué à l'inconstance de notre fortune; elle ne nous abandonne pas encore: loin de là, elle nous a servis dans toute cette opération au-delà de tout ce qu'elle a jamais fait. Quand j'arrivai devant Alexandrie avec l'escadre, et que j'appris que les Anglais y étaient passés en forces supérieures quelques jours auparavant, malgré la tempête affreuse qui régnait, au risque de naufrager,

me jetai à terre. Je me souviens qu'à l'instant où les préparatifs du débarquement se faisaient, on signala dans l'éloignement, au vent, une voile de guerre : c'était la Justice. Je m'écriai : « Fortune! m'abandonneras-tu? Quoi! seulement cinq jours! » Je débarquai dans la journée; je marchai toute la nuit ; j'attaquai Alexandrie à la pointe du jour, avec 3,000 hommes harassés sans canons et presque pas de cartouches; et dans les cinq jours j'étais maître de Rosette, de Damanhour, c'est-à-dire déjà établi en Égypte. Dans ces cinq jours l'escadre devait être à l'abri des forces des Anglais, quel que fût leur nombre. Bien loin de là, elle reste exposée pendant tout le reste de messidor. Les Anglais se laissent voir en nombre supérieur pendant dix jours dans ces parages. Le 11 thermidor, elle apprend la nouvelle de l'entière possession de l'Égypte et de notre entrée au Kaire; et ce n'est

que lorsque la fortune voit que toutes ses faveurs sont inutiles, qu'elle abandonne notre flotte à son destin ».

Bonaparte adressa des consolations au vice-amiral Thévenard, père du capitaine de l'Aquilon, tué à la bataille d'Abouqyr.

«Votre fils, lui écrivait-il, est mort d'un coup de canon sur son banc de quart: je remplis, citoyen général, un triste devoir en vous l'annonçant; mais il est mort sans souffrir et avec honneur. C'est la seule consolation qui puisse adoucir la douleur d'un père. Nous sommes tous dévoués à la mort : quelques jours de vie valent-ils le bonheur de mourir pour son pays? Compensent-ils la douleur de se voir sur un lit environné de l'égoïsme d'une nouvelle génération? Valent-ils les dégoûts, les souffrances d'une longue maladie? Heureux ceux qui meurent sur le champ de bataille! Ils vivent éternellement dans le souvenirde la postérité. Ils n'ont jamais inspiré la compassion, ni la pitié que nous inspire la vieillesse caduque, ou l'homme tourmenté par les maladies. aiguës. Vous avez blanchi, citoyen général, dans la carrière des armes; vous regretterez un fils digne de vous et de la patrie : en accordant avec nous quelques larmes à sa mémoire, vous direz. que sa mort est glorieuse et digne d'envie.

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» Croyez à la part que je prends à votre dou

Lettre du 2 fructidor (19 août).

leur, et ne doutez vous'. >>

pas

de l'estime que j'ai pour

"

Ainsi parlait un guerrier à un père, à un homme, à un militaire. Pour être entendu d'une femme d'une épouse, c'est un autre langage que tient Bonaparte à la veuve de l'amiral Brueys, « Votre mari, lui écrivit-il, a été tué d'un coup de canon

en combattant à son bord. Il est mort sans souffrir et de la mort la plus douce, la plus enviée par les militaires.

» Je sens vivement votre douleur. Le moment qui nous sépare de l'objet que nous aimons est terrible; il nous isole de la terre; il fait éprouver au corps les convulsions de l'agonie. Les facultés de l'âme sont anéanties, elle ne conserve de relations avec l'univers qu'au travers d'un cauchemar qui altère tout. Les hommes paraissent plus froids, plus égoïstes qu'ils ne le sont réellement. L'on sent dans cette situation que si rien ne nous obligeait à la vie, il vaudrait beaucoup mieux mourir. Mais, lorsqu'après cette première pensée, l'on presse ses enfans sur son coeur, des larmes, des sentimens tendres raniment la nature, et l'on vit pour ses enfans. Oui, madame, voyez dès ce premier moment qu'ils ouvrent votre cœur à la mélancolie. Vous pleurerez avec eux, vous éléverez leur enfance, vous cultiverez leur jeunesse. Vous leur parlerez de leur père, de votre douleur, de la perte qu'eux et la République ont faite.

'Lettre du 18 fructidor (4 septembre).

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Après avoir rattaché votre âme au monde par l'amour filial et l'amour maternel, appréciez pour quelque chose l'amitié et le vif intérêt que je prendrai toujours à la femme de mon ami: persuadezvous qu'il est des hommes, en petit nombre, qui méritent d'être l'espoir de la douleur, parce qu'ils sentent avec chaleur les peines de l'âme >>..

I

En envoyant cette lettre à l'ordonnateur de la marine à Toulon, pour la remettre à la veuve Brueys avec tous les ménagemens possibles, il lui écrivait : «< Soyez assez aimable, je vous prie, pour faire connaître à ma femme, dans quelque lieu qu'elle se trouve, et à ma mère, en Corse, que je me porte bien. J'imagine que l'on m'aura dit, en Europe, tué une douzaine de fois 2 ».

2

Le brick la Salamine, qui avait appareillé de dessous le fort d'Abouqyr, le 15 thermidor, rallia, à dix lieues S. du cap Célidonia, le contre-amiral Villeneuve, qui l'expédia, le 20, à Alexandrie, pour informer de sa situation le général en chef et lui faire le rapport de sa conduite. Le 15 messidor, à deux heures du matin, se voyant seul avec le Généreux, les frégates la Diane et la Justice, en état de combattre et de faire voile, étant canonné par les vaisseaux auxquels il ne pouvait riposter et qui auraient fini par le réduire à la nécessité de faire côte, il avait préféré appareiller et essayer de sauver les débris de l'escadre en combattant sous voiles. Les ennemis avaient dé

A

Lettre du 2 fructidor ( 19 août).

2 Idem.

taché trois vaisseaux pour le poursuivre; mais ils avaient bientôt reviré dans leur escadre; un seul avait donné et reçu une bordée, et il était sorti de la baie avec le Guillaume-Tell, suivi du Généreux, de la Diane et de la Justice. Il allait tâcher de gagner le port de Malte où il désirait recevoir des ordres. Il se proposait d'envoyer de cette île un extrait de son journal pour faire apprécier la nécessité absolue du parti qu'il avait pris. Néanmoins son cœur était navré de chagrin et de tris

tesse.

Cependant, tandis que l'amiral Brueys était aux prises avec les vaisseaux anglais, Villeneuve qui commandait l'aile droite, pouvait couper ses câbles et tomber sur la ligne anglaise avec les cinq vaisseaux qui étaient sous ses ordres. Au dire de Nelson et des Anglais, même après l'explosion de 'Orient, Villeneuve aurait pu décider la victoire. Il le pouvait encore à minuit, s'il eut appareillé et pris part au combat. Ce contre-amiral étant brave et bon marin, on se demande la raison de cette singulière inaction. Il attendait, dit-on, des ordres. On assure que l'amiral lui avait fait signal d'appareiller, mais que la fumée l'empêcha de l'appercevoir. Fallait-il un ordre pour prendre part au combat? L'Orient sauta vers onze heures. On se battit ensuite pendant treize heures. Le commandement appartenait à Villeneuve. Pourquoi donc ne fit-il rien? Il était d'un caractère irrésolu et sans vigueur '.

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