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POLITIQUE ET PRIVÉE

DE

CHARLES-MAURICE

DE TALLEYRAND

ANCIEN ÉVÊQUE D'AUTUN, PRINCE DE BÉNÉVENT

Suivie

D'UN EXTRAIT DES MÉMOIRES INÉDITS

DE M. DE SEMALLÉ, COMMISSAIRE DU ROI EN 1814,

DE NOUVEAUX DOCUMENTS

SUR LA MISSION QUI FUT DONNÉE A MAUBREUIL ́POUR ASSASSINER NAPOLÉON,

SUR LA DÉPORTATION DE LA FAMILLE ROYALE ËN 1830, ETC.

PAR L.-G. MICHAUD

AUTEUR PRINCIPAL ET ÉDITEUR-PROPRIÉTAIRE DE LA BIOGRAPHIE UNIVERSELLE.

Nil conscire sibi, nullâ pallescere culpâ.

S

PARIS

AU BUREAU DE LA BIOGRAPHIE UNIVERSELLE
RUE DE LA CROIX-DU-ROULE, No 4

ET CHEZ LES LIBRAIRES DU PALAIS-ROYAL

1853

APM7356

même, ces mémoires ne sont guère qu'une justification, une longue apologie sans vérité, sans vraisemblance, de sa personne, de ses actes ou plutôt de ses intrigues. Il est probable qu'on y trouvera aussi des louanges de sa diplomatie, comme ce qu'il en a dit dans cet Éloge de Reinhardt, qu'il prononça à l'Académie des inscriptions et belleslettres, dont il était membre à peu près aussi ridiculement que de l'Académie des sciences morales et politiques.

Ce n'était certes pas un homme d'un grand savoir, ni un profond génie. Il n'avait fait que des études médiocres et spécialement consacrées à la carrière de l'Église, qu'il détesta dès l'enfance, et dans laquelle il n'entra que parce que sa naissance l'y appelait à de grands avantages. C'était, on ne peut le nier, un de ces abus de l'ancien ordre de choses qu'il était le plus nécessaire de réformer. Mais pour cela fallaitil qu'une révolution vînt tout renverser, tout détruire?

A peine sorti du séminaire, l'abbé de Périgord fut en effet pourvu de riches bénéfices, puis de la charge d'agent général du clergé, et enfin de l'évêché d'Autun, qui lui assurait la survivance de celui de Lyon. Ce fut dans cette belle perspective que le trouva la révolution, dont tous les effets, toutes les causes semblaient contraires aux intérêts de sa famille comme aux siens; dont tout concourait à lui faire repousser les principes et les conséquences. Mais, essentiellement égoïste et cupide, sans foi et sans conviction, il calcula froidement et dans son seul intérêt toutes les chances de l'avenir. D'un côté il vit l'audace, la perversité de la faction révolutionnaire, près de renverser tous les pouvoirs, d'envahir toutes les fortunes; de l'autre un prince faible, sans caractère, sans énergie et tout-à-fait incapable de résister à l'orage. Les conséquences de la lutte qui allait s'ouvrir ne lui parurent donc point incertaines. Ne doutant pas que la fortune et le pouvoir fussent destinés à passer dans d'autres mains, il suivit sans hésiter le pouvoir et la fortune. Quand des envoyés de la cour qui le connaissaient bien vinrent lui faire des offres d'argent pour qu'il s'attachât à leur cause, il compta la somme offerte, et répondit froidement : « Je gagnerai davantage d'un autre côté, et j'y serai plus en sûreté, parce que la révolution sera plus forte que vous... » Par là s'explique toute sa vie politique; et par là s'expliquent aussi toutes les causes de nos calamités. Les faits n'ont que trop justifié ces prévisions du prélat d'Autun; et il faut bien remarquer que c'est ainsi qu'ont agi et calculé la plupart des acteurs, des moteurs secrets de nos révolutions ; et qu'à la honte de ceux qui devaient les combattre, qui en avaient le pouvoir et qui n'ont pas su en user à propos, ces hommes méprisables n'ont eu qu'à se féliciter d'aussi honteux calculs.

L'évêque d'Autun était d'autant plus fondé à parler ainsi que dèslors il recevait du duc d'Orléans, chef du parti révolutionnaire, un traitement considérable, et que, dans le palais de ce prince, appelé le Palais-Royal, se tramaient tous les complots qui devaient conduire la France à une si déplorable imitation de la révolution anglaise de 1688. C'était dans ses voyages à Londres et dans son intimité avec la famille royale d'Angleterre que ce prince avait puisé ce projet funeste. Il y fit aisément entrer tous ses ambitieux amis, notamment l'évêque d'Autun; et, dans le long séjour que celui-ci fit ensuite à Londres, il s'y fortifia encore. Dès-lors, ce fut pour lui une idée fixe, un système invariable et que l'on retrouve dans tous les actes de sa vie politique, quels que soient les soins qu'il ait mis à les dissimuler.

Si l'on compare aujourd'hui l'histoire des révolutions britanniques avec ce qui s'est passé en France un siècle plus tard, il est impossible de ne pas être frappé d'étonnement, de ne pas voir que les auteurs de nos calamités ne furent que de serviles imitateurs. Les personnes, les choses, tout y est d'une effrayante ressemblance. C'était la partie de l'histoire que Talleyrand savait le mieux, ou, pour être plus exact, il ne savait guère que celle-là; car ce membre de l'Académie spécialement consacrée aux sciences historiques n'était pas doué de beaucoup de savoir ni d'érudition; il n'avait jamais pris la peine d'étudier autre chose que les ruses de l'agiotage et de la diplomatie. On n'a pas dit non plus que ce fût un homme éloquent ni un profond génie. Dans cette première assemblée nationale, où l'enthousiasme, le délire de la révolution, firent applaudir tant de charlatans, tant de médiocrités, il n'obtint jamais de grands succès de tribune, et ne fut guère distingué que par son rang et l'éclat de son nom, qui contrastaient si singulièrement avec ses opinions démocratiques. Comment ne pas s'étonner qu'un homme qui comptait parmi ses ancêtres des souverains, des alliances avec la famille royale, fût un de ses plus ardents persécuteurs! Comment ne pas s'indigner que celui qui, à peine entré dans la carrière ecclésiastique, avait été promu aux plus éminentes dignités, qui devait s'élever encore, fût un des premiers à l'abandonner, qu'il ait proposé, demandé lui-même le sacrifice de tous les priviléges de l'Église, de ses droits les plus sacrés, les plus inviolables; qu'il ait achevé sa ruine par cette loi de proscription qu'avec tant de raison on appela le code des martyrs; qu'enfin il ait mis le comble à tant de scandale, en sacrant les nouveaux évêques malgré les ordres de la cour de Rome et contrairement à toutes les lois de l'Église!

Ce fut après ce dernier sacrilége que le pape fulmina cont une bulle d'excommunication dont il se moqua ouvertement a

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et forcé de vivre d'un commerce si obscur qu'il n'a jamais osé l'avouer, il ne lisait les journaux qu'à la dérobée, et ce fut par eux qu'il apprit successivement la fuite de Dumouriez et du fils aîné du duc d'Orléans, puis la mort de Danton, celle de d'Orléans lui-même, enfin la ruine de son parti. Alors il ne désespéra pas de l'avenir, on lui doit cette justice; et lorsqu'il connut la révolution du 9 thermidor, où, en faisant tomber la tête de Robespierre, Tallien et Barras avaient du moins vengé Danton et son parti, il se flatta de pouvoir bientôt se réunir à ses anciens auxiliaires, et sur-le-champ il adressa une supplique au président de la Convention nationale. Ce fut le poète Chénier qui la présenta, et qui fit révoquer son exil sans la moindre opposition, attendu les services qu'il avait rendus à la république et ceux qu'il pouvait lui rendre encore. Comblé de joie à cette nouvelle, le bienfaiteur de la république se hâta de revenir, en prenant toutefois le chemin de Hambourg, où se trouvaient en ce moment quelques débris du Palais-Royal, entre autres Dumouriez, Valence, Mme de Genlis, et le fils aîné du duc d'Orléans, que son parti n'était pas encore assez fort pour faire venir à Paris. Il ne vit toutefois ces anciens amis qu'avec beaucoup de réserve et craignant toujours de se compromettre. Pressé de se rendre dans cette ville, il y arriva au commencement de l'année 1796, au moment où Bonaparte entrait dans sa glorieuse carrière.

Son bagage n'était pas considérable, et il pouvait dire comme le philosophe Bias: Omnia mecum porto. Mais il possédait un trésor plus précieux : l'esprit des affaires, le génie de l'intrigue avec celui des révolutions, qui ne l'a jamais quitté ; et il retrouva d'anciens amis, le général Montesquiou, qui, comme lui exilé par un décret, comme lui bienfaiteur de la république, avait été rappelé par un décret; et Mme de Stael, la fille de son premier maître en finances, en intrigues, qui avait aussi rendu de grands services à la révolution et aux révolutionnaires!

Non moins intrigante que lui, cette dame contribua beaucoup à le porter au ministère, d'où Carnot, un des directeurs, le repoussait durement. « C'est un misérable, disait-il, qui a tous les vices de l'ancien régime, et qui n'a aucune des vertus de la république. Tant que je serai directeur, il ne sera pas ministre... » Cependant, à force d'intrigues, de sourdes menées, et surtout parce qu'il n'y avait alors réellement personne en France qui connût bien les ruses, les secrets de la diplomatie européenne, on lui donna le portefeuille le plus important, celui des affaires étrangères.

C'était peu de temps avant la révolution du 18 fructidor, où le parti royaliste, maître de toutes les positions et qui semblait dominer l'opinion publique, se laissa renverser si maladroitement! On doit bien

penser que Talleyrand concourut de tout son pouvoir à un pareil résultat, quoiqu'il eût cessé d'être ministre par suite de quelques différends avec le parti ultra-révolutionnaire, dont il eut toujours à se plaindre. Il ne concourut pas moins à celle du 18 brumaire, qui porta Napoléon Bonaparte au pouvoir. On sait que son habileté consistait surtout à deviner les hommes, à les apprécier. Dès le commencement, il s'était mis en correspondance avec le vainqueur de l'Italie, qui de son côté avait compris qu'un pareil homme ne pouvait manquer de lui être utile dans ses projets ultérieurs. De là cette liaison, cette solidarité d'avenir, qui sembla rendre si long-temps leurs rapports indissolubles! Et cette nécessité, ces besoins réciproques augmentèrent encore avec l'élévation si subite, si prodigieuse du jeune général, qui, ayant passé la moitié de sa vie dans les camps, dans les quartiers généraux, ne connaissait guère plus les personnes et les choses de l'ancienne France que celles de la nouvelle, qui ignorait surtout les intérêts et les secrets rapports des puissances, qu'il avait tant d'intérêt à savoir.

Les premières guerres de la révolution avaient beaucoup ajouté aux rivalités, aux secrètes jalousies des vieilles dynasties, et personne ne savait mieux cela que l'envoyé de la révolution en Angleterre, dans le moment le plus important, le plus décisif. Comme il ne s'agissait, après le triomphe de Napoléon au 18 brumaire, que de bien mettre à profit un pareil état de choses, on doit reconnaître que personne plus que l'ancien évêque n'était capable de lui donner de bons et utiles conseils.. Ce fut d'abord dans la pacification avec la Russie qu'on reconnut son habileté et sa prévoyance. Saisissant adroitement un moment de juste mécontentement qu'avait donné à Paul Ier la politique ambitieuse et peu franche du cabinet de Vienne, il fit naître dans l'esprit de ce prince confiant et généreux, par des égards alors sans exemple, une sympathie, un enthousiasme qui changea en quelques jours toute la politique de l'Europe. Pour la diplomatie, c'était des moyens honnêtes et que tout gouvernement peut avouer et reconnaître; mais une circonstance moins honorable fut la disgrâce imprévue qu'éprouva à la même époque le prétendant Louis XVIII, que jusqu'alors le czar avait accueilli dans ses États avec des égards et une générosité que rien n'avait altérés. Ce fut donc avec beaucoup de surprise qu'on vit tout-à-coup ce prince repoussé, expulsé de l'asile qui lui avait été si généreusement donné. L'Europe royaliste s'indigna avec raison de ce brusque changement, et elle l'attribua au ministre des affaires étrangères de France, qui, toujours plein de zèle pour la branche cadette des Bourbons, ne manquait aucune occasion de poursuivre la branche aînée, et, par de secrètes délations, avait porté Paul Ier à des indignités dont ce prince était incapable.

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