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Ces soupçons s'accrurent encore quand on sut les tentatives d'empoisonnement exécutées à Varsovie sur la même famille par des émissaires venus de Paris avec des instructions et des moyens qui n'avaient pu leur être donnés que par le même ministre ! C'était là, on ne peut le contester, encore une suite du plan conçu pour l'imitation de la révolution de 1688, qui avait commencé aux 5 et 6 octobre 1789 à Versailles, qui fut continué au 2 juin, au 10 août 1792, au 21 janvier 1793, et qui devait être repris bien des fois encore! Tout cela se fit, on ne peut en douter, par les sourdes menées et les perfides avis du ministre alors chargé de toute la police extérieure, et qui se garda bien d'en prévenir le premier consul.

Si les services qu'il rendit dans le même temps pour les traités de Lunéville et d'Amiens, pour la confédération du Rhin et pour tout ce qui prépara l'empire, furent plus honorables et plus utiles pour la France, on doit aussi reconnaître que, pour lui, ils furent plus lucratifs. Ce fut surtout dans la création de cette confédération et la sécularisation des électorats catholiques qu'il fit d'immenses bénéfices. C'était véritablement le temps des grandes affaires. Tous les princes d'Allemagne, on peut dire même de l'Europe, étaient ses courtisans, ses tributaires. On a dit que les salons des Tuileries furent alors moins brillants, moins remplis que les siens, que les habitués en furent moins ob.. séquieux, moins humbles!

Ces hautes faveurs, cet étonnant crédit en étaient à leur apogée lors de l'avènement impérial. Ce fut encore l'ancien évêque qui, dans cette occasion, prépara et dirigea toutes les négociations. Le pape, qui jadis avait fulminé contre lui des bulles d'excommunication, rendit à la vie séculière celui qui y était déjà rentré lui-même depuis long-temps, et ce fut une des premières conditions du voyage de Pie VII à Paris; sans cela peut-être il n'aurait pas eu lieu... A quoi tiennent les destinées humaines !

Dans la campagne d'Autriche, qui commença l'année suivante (1805), rien ne fut changé dans la position du prélat sécularisé. Prévoyant que la diplomatie aurait une grande part aux événements, Napoléon l'emmena avec lui. Et il n'eut pas à s'en repentir; car ce fut dans cette occasion qu'il obtint les plus grands services de son habileté à diriger les négociations avec le roi de Prusse. On sait que ce prince eut alors dans ses mains les destinées du monde, et que, par la maladresse d'Haugwitz autant que par l'habileté de Talleyrand, il laissa échapper cette occasion de se placer au premier rang des puissances. La paix de Presbourg, que ce dernier dicta et signa, fut pour l'Autriche comme ur la Prusse une triste conséquence de cette énorme faute; et Naon, conseillé par Talleyrand, en profita admirablement, on doit le

reconnaître. Revenu aussitôt après dans la capitale, le ministre des affaires étrangères continua à jouir d'une grande faveur et fut gratifié du titre et des revenus de la riche principauté de Bénévent.

L'année suivante, il accompagna encore l'empereur dans la brillante campagne que termina le traité de Tilsitt. Continuant à être initié dans les plus grands secrets, assistant à toutes les conférences des deux empereurs, il reçut du czar des témoignages de la plus haute confiance; et l'on ne peut guère douter aujourd'hui que ce ne soit à cette espèce d'intimité, bientôt remarquée par l'œil perçant de Napoléon, qu'on doive attribuer les premiers soupçons de celui-ci. Cependant il se contint et ne fit point éclater de mécontentement, se bornant à donner le portefeuille des affaires étrangères à M. de Champagny. Il l'admit encore à de grands secrets politiques, notamment à celui de l'invasion d'Espagne, et le chargea de conclure avec Isquierdo le traité de Fontainebleau, qui devait la préparer. Il l'emmena même l'année suivante à Erfurth, où il ne lui fut plus possible de conserver aucun doute sur les trahisons de son ministre. Le secrétaire Menneval, qui en fut témoin, l'a attesté dans ses mémoires, où il dit positivement que Talleyrand allait le soir porter au czar les plans et les projets qu'il avait entendus le matin de la bouche de Napoléon!... On conçoit tout ce que durent être les conséquences de cette trahison dans de pareilles circonstances. L'empereur ne parut pas en avoir compris d'abord toute l'étendue; cependant il est bien sûr que dès cette époque il l'éloigna des affaires. Mais nous pensons qu'il ne le fit pas surveiller avec assez de sévérité; car ce fut alors que cet homme méprisable se jeta dans toutes sortes de complots, d'intrigues, et qu'il devint réellement un des plus dangereux ennemis de celui auquel il devait tout, de celui qui d'un mot pouvait l'écraser! Et par une autre fatalité, il se trouva que Fouché, qui avait été long-temps son ennemi, son rival, après être comme lui tombé dans la disgrâce de Napoléon, par une indulgence irréfléchie revint alors dans la capitale. Placés ainsi dans la même position, ces deux hommes perfides ne furent pas long-temps sans comprendre qu'en se réunissant ils doubleraient leurs forces. Ils eurent plusieurs entrevues, s'associèrent d'autres mécontents du dedans, du dehors, et devinrent un parti fort dangereux, un parti qui a contribué plus que tout autre à la chute de l'empire! Napoléon, dont le règne, dans les derniers temps, fut si agité, traversé par tant et de si grands événements, songea peu à deux hommes aussi dangereux, qu'il méprisait, mais qu'il croyait avoir mis dans l'impuissance de lui nuire.

On ne peut pas douter aujourd'hui qu'en 1814 Talleyrand, par suite de ses anciens rapports avec l'empereur de Russie, n'ait eu un grand ascen

dant sur l'esprit de ce prince, qu'il ne soit parvenu à le tromper sur la situation de la France, sur le danger pour elle et pour l'Europe de retourner franchement à la monarchie, d'abandonner les faux systèmes de la révolution, et qu'après une année d'expérience, de concert avec Fouché, il n'ait fait entrer dans les mêmes errements le généralissime de cette coalition, armée en apparence pour la réhabilitation du système monarchique, et qui ne réhabilita réellement que la révolution dans les choses comme dans les personnes! C'est à cette erreur, à ce contre sens évident, qu'il faut attribuer tous les désordres, toutes les révolutions qui, depuis cette fatale époque, n'ont pas cessé d'affliger les peuples, qui les affligeraient encore si une main ferme et courageuse n'était venue les mettre dans la seule voie où ils puissent trouver la paix et le bonheur.

Après la chute de Napoléon, ses ennemis n'avaient rien d'arrêté pour le remplacer; on a même pensé avec quelque raison qu'ils eussent consenti à le rétablir en limitant son pouvoir; mais dans ce cas Talleyrand ne se serait pas cru en sûreté ! Et il fallait que ses craintes fussent bien grandes pour qu'il préférât à son ancien maître les Bourbons, qu'il avait tant de raisons de redouter ! Il est vrai qu'en les soumettant à son parti, en leur faisant subir les lois de la révolution, ses craintes devaient cesser. Il connaissait assez leur faiblesse, leur incapacité, et on l'avait souvent entendu en faire le sujet de ses plaisanteries, de ses mordantes épigrammes. Avec de tels princes, il pourrait dominer encore, il pourrait recommencer les bonnes affaires! Ce fut toute sa pensée, et là est sans nul doute tout le secret de sa politique; par là s'explique la révolution du 31 mars 1814, et aussi celle de juillet 1815. Nous fûmes assez bien placé pour observer ces deux grands événements, et nous ne craignons pas d'affirmer qu'aucun historien n'a pu en parler avec plus de vérité et d'exactitude. Personne n'a vu de plus près la ruse, la fourberie dont usa Talleyrand pour tromper Alexandre, pour faire entrer dans ses machiavéliques projets un prince aussi grand, aussi généreux ! Personne n'a vu de plus près tout ce qu'il fit pour éloigner l'envoyé de Napoléon, Caulaincourt, et neutraliser l'opposition des commissaires du roi Semallet et Polignac, qui, dans l'impuissance de résister à un aussi redoutable adversaire, protestèrent du moins contre cette étrange réhabilitation de la révolution par la monarchie.

Le fragment des mémoires inédits que M. le comte de Semallet a bien voulu nous confier, et que nous donnons dans les documents inédits qui terminent ce volume, offre sur tout cela des renseignements précieux pour l'histoire .

On sait aujourd'hui tout ce que les fautes qui furent alors commises ont coûté de sang et de larmes aux peuples et aux rois eux-mêmes, qui naguère, après trente ans d'erreurs et de déceptions ne comprenaient pas encore la fourberie dont ils avaient été dupes, les piéges dans lesquels ils étaient tombés. Il a fallu que d'autres révolutions, d'autres calamités vinssent les en avertir; il a fallu enfin que les poignards de la démocratie leur démontrassent qu'avec la faction révolutionnaire il n'y a ni paix ni trêve à espérer, que tout pacte qu'on pourrait faire avec elle sous prétexte de conciliation, de fusion, ne serait encore qu'un mensonge, une amère déception.

On a vu comment tomba en quelques mois ce frêle édifice bâți și bizarrement sous l'influence étrangère, au profit de la révolution, qui en occupa d'abord toutes les positions, et l'on sait avec quelle habileté Napoléon profita de tant d'aveuglement. Mais lui aussi commit une grande faute; ce fut de croire à la bonne foi, à la force du parti révolutionnaire, que tant de fois il avait soumis, vaincu. Nous pensons que cette faute l'a perdu beaucoup plus que la défaite de Waterlo, qui pour lui n'était pas irréparable. Nous avons dit comment, dans cette seconde restauration de 1815, l'influence étrangère ne fut pas moins évidente, et comment Talleyrand, bien que disgracié par Alexandre, y eut autant de part qu'à la première. Cette fois, ce fut le généralissime Wellington qu'il sut faire agir selon ses vues et son système.

Une circonstance qui le favorisa singulièrement dans cette occasion fut la présence de Fouché, son ancien rival, qui, comme lui tombé dans la disgrâce de Napoléon, comme lui cherchait à s'en venger, et pour cela s'adressait à tous les partis, excitait partout les passions et les haines! Pendant les huit jours qui précédèrent l'entrée de Louis XVIII à Paris, ces deux fauteurs de tant de complots et d'intrigues ne cessèrent pas d'être en rapport avec le duc de Wellington et les autres chefs de la coalition, en même temps qu'ils faisaient mouvoir le parti révolutionnaire, et Louis XVIII lui même, qui, impatient de trôner, comme on l'a dit, beaucoup plus que de régner réellement, voulait entrer surle-champ dans sa capitale, mais ne l'osait, par la crainte des révolutionnaires, des fédérés, et toutes les fantasmagories dont le ministre de la police ne manquait pas de lui envoyer chaque jour le bulletin. Nous avons vu tout cela de bien près, et personne ne sait mieux que nous ce que furent réellement ces dangers auxquels le petit-fils de Henri IV eut le malheur de croire! On sait ce qu'il en a coûté à ce prince et à la France tout entière!

Ce sera, on ne peut en douter, une des pages les plus honteuses de l'histoire que celle où l'on verra Louis XVIII recevant des mains du

et forcé de vivre d'un commerce si obscur qu'il n'a jamais osé l'avouer, il ne lisait les journaux qu'à la dérobée, et ce fut par eux qu'il apprit successivement la fuite de Dumouriez et du fils aîné du duc d'Orléans, puis la mort de Danton, celle de d'Orléans lui-même, enfin la ruine de son parti. Alors il ne désespéra pas de l'avenir, on lui doit cette justice; et lorsqu'il connut la révolution du 9 thermidor, où, en faisant tomber la tête de Robespierre, Tallien et Barras avaient du moins vengé Danton et son parti, il se flatta de pouvoir bientôt se réunir à ses anciens auxiliaires, et sur-le-champ il adressa une supplique au président de la Convention nationale. Ce fut le poète Chénier qui la présenta, et qui fit révoquer son exil sans la moindre opposition, attendu les services qu'il avait rendus à la république et ceux qu'il pouvait lui rendre encore. Comblé de joie à cette nouvelle, le bienfaiteur de la république se hâta de revenir, en prenant toutefois le chemin de Hambourg, où se trouvaient en ce moment quelques débris du Palais-Royal, entre autres Dumouriez, Valence, Mme de Genlis, et le fils aîné du duc d'Orléans, que son parti n'était pas encore assez fort pour faire venir à Paris. Il ne vit toutefois ces anciens amis qu'avec beaucoup de réserve et craignant toujours de se compromettre. Pressé de se rendre dans cette ville, il y arriva au commencement de l'année 1796, au moment où Bonaparte entrait dans sa glorieuse carrière.

Son bagage n'était pas considérable, et il pouvait dire comme le philosophe Bias: Omnia mecum porto. Mais il possédait un trésor plus précieux : l'esprit des affaires, le génie de l'intrigue avec celui des révolutions, qui ne l'a jamais quitté ; et il retrouva d'anciens amis, le général Montesquiou, qui, comme lui exilé par un décret, comme lui bienfaiteur de la république, avait été rappelé par un décret; et Mme de Stael, la fille de son premier maître en finances, en intrigues, qui avait aussi rendu de grands services à la révolution et aux révolutionnaires!

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Non moins intrigante que lui, cette dame contribua beaucoup à le porter au ministère, d'où Carnot, un des directeurs, le repoussait durement. « C'est un misérable, disait-il, qui a tous les vices de l'ancien régime, et qui n'a aucune des vertus de la république. Tant que je serai directeur, il ne sera pas ministre... » Cependant, à force d'intrigues, de sourdes menées, et surtout parce qu'il n'y avait alors réellement personne en France qui connût bien les ruses, les secrets de la diplomatie européenne, on lui donna le portefeuille le plus important, celui des affaires étrangères.

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C'était peu de temps avant la révolution du 18 fructidor, où le parti royaliste, maître de toutes les positions et qui semblait dominer l'opinion publique, se laissa renverser si maladroitement! On doit bien

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