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Van Maanen sut marcher entre les deux écueils : il n'avait aucune envie de faire le deuxième tome du héros d'Utique et de donner lieu aux jeunes humanistes bataves de lire ainsi le distique d'Horace:

Et euncta terrarum subacta
Præter atrocem animum Maanen.

Mais il ne voulait pas se salir assez pour être imprésentable et pour que les plus déterminés flatteurs rougissent de chanter ses louanges. Voici donc quelle fut son allure. D'abord, malgré les sinistres trop parlants et de Prague et de Leipzig, il ne se hâta pas de désespérer de l'étoile de l'empereur, dont il appréciait, en calme et froid observateur, l'indomptable énergie et l'esprit de ressources; et, lors même que la révolution de novembre à la Haye eût comme sonné le glas de la domination française en Hollande, il tint bon, biaisant un peu ou s'abstenant, mais ne commettant pas et dans sa sphère ne permettant pas un acte dont Napoléon, s'il fût resté vainqueur, eût pu lui faire un reproche. Il eût donc pu dire aux amis de l'empire qu'il fut dévoué à l'empire, tant qu'il y eut un empire. Mais enfin voici la seconde phase. Nous sommes au lendemain du 31 mars 1814; nous avons atteint ce moment où l'empire a cessé d'être, où tous les rejetons des vieilles souches princières surgissent redemandant qui son électorat, qui son tiers ou quart de grand-duché, qui ses salines et qui son enclave, où sous les auspices de Castlereagh, Wellington, etc., le fils du ci-devant premier et dernier stadhouder général des Provinces-Unies vient les administrer provisoirement sous l'œil anglais, en attendant qu'il de

vienne, sous le titre de roi des PaysBas, préfet de la Sainte-Alliance et garde-clef des citadelles dont on hérisse contre nous la frontière belge. Que va devenir et à quoi va se résoudre dans cette débâcle le patriote de 1787 et 1795, le haut dignitaire des gouvernements nés de la révolution, l'afrancesado fidèle jusqu'à la dernière minute à l'usurpateur français, on pourrait dire presque l'ennemi personnel de tout ce qui portait le nom de Nassau. Il obtint audience de ce candidat à la couronne néerlandaise; et lui prouva sans doute que nul mieux que lui n'était à même, si le roi savait se l'attacher, de l'éclairer sur les personnes à redouter et sur les menées hostiles; il termina, ce nous semble, en demandant que son zèle fût mis à l'épreuve. Cette conversation n'ayant été transmise par Van Maanen à personne, il est évident que nous ne donnons ici nos paroles que sous toutes réserves; mais elles ressortent, à notre avis, de la nature des faits qui précèdent et qui suivent. Les hommes d'État, lorsqu'ils ont manié pratiquement les affaires vingt ans durant, ont vu s'égrener beaucoup de scrupules au vent des besoins du jour; et lorsqu'ils ont été mêlés à des affaires grandioses, à un ensemble gigantesque, ils ne gardent plus qu'un terne et pâle souvenir des petites agitations, des petites rivalités, des petites haines de leur jeune âge: il est donc simple que Van Maanen, à moins que quelque injure nouvelle eût ravivé de vieilles plaies, n'en fût plus à l'inimitié avec la maison stadhoudérienne si longtemps enfouie dans l'ombre et si microscopique en face des grandes commotions dont l'Europe venait d'être le théâtre. Quant au

patriotisme et aux idées républicaines, il y avait longtemps qu'il n'était plus imbu du premier, puisque la transformation du royaume indépendant de Hollande en huit départements du grand empire ne l'avait pas effarouché; il y avait longtemps aussi que le régime napoléonien l'avait déshabitué de celles-là. Ceci posé, il devient clair que ce n'est pas de 1814 qu'il faut dater ce que les uns appellent l'apostasie, ce que nous nous bornons à nommer le changement de Van Maanen. Ce changement est l'œuvre graduelle et presque inaperçue du temps. Républicain (ou si l'on veut patriote) en même temps qu'hostile à la famille qui veut cumuler les stadhoudérats pour extraire de ce cumul une sienne monarchie, il est par cela même du système français sous Louis XVI, à plus forte raison sous la convention; ami de la France, il la sert et comme chef du parquet quand la Batavie est république, et comme ministre lorsque la Hollande devient royaume; ministre d'un monarque, il comprend les avantages, la simplicité, la rapidité du mécanisme monarchique; les convictions républicaines s'affaiblissent d'autant, les prédilections republicaines s'attiédissent de même; les quelques années sous la domination directe et sous l'œil du génie qui régit l'Europe de l'Océan au Niémen achèvent l'œuvre. Ambitieux et suffisamment jeune encore, Van Maanen arrive donc devant Guillaume, non pas pur d'antécédents, mais libre de tous ses antécédents: il n'a plus de tendresse, plus de faible pour la république, il n'a plus. d'antipathie pour les Nassau et jamais il n'en a déployé contre le

personnage auguste avec lequel il a l'honneur de s'entretenir! Ce n'est pas tout, les événements des vingt et une dernières années l'ont convaincu que sept provinces formant sept petits États à part ne valent par le quart de ce qu'elles vaudraient fondues en un seul sous un seul chef; et quel peut être ce chef, si ce n'est un indigène d'illustre maison? et quel sera cet indigène si ce n'est un Nassau? Les PaysBas ont donc besoin de Guillaume. Mais Guillaume, à qui les anciens patriotes feront opposition, a besoin d'un tacticien qui les sache par cœur, eux et leurs manoeuvres; ce tacticien c'est un des leurs, ramené par l'expérience à la résipiscence, tandis qu'ils sont voués, eux, à l'impénitence finale; ce tacticien, c'est Van Maanen. Guillaume a donc besoin de Van Maanen (on doit être heureux de trouver sous sa main un Van Maanen), comme les Pays-Bas ont besoin de Guillaume. Le prince déjà mûr à qui nous supposons qu'on tenait quelque chose de ce langage, était de force à le comprendre et à en faire son profit; il n'avait point horreur, comme son voisin des Tuileries, « de se coucher dans les draps de Bonaparte; » il sentait que ce dominateur des trônes avait dressé ses chambellans à faire comme il faut le lit monarchique. Van Maanen donc, non-seulement ne perdit pas sa présidence, mais encore il fut chargé, à titre provisoire il est vrai, du portefeuille de la justice; et c'est lui qui, dans l'assemblée des notables d'Amsterdam, en 1814, porta la parole en sa qualité de ministre, au nom du roi Guillaume, pour ouvrir la session dans laquelle devait s'élaborer la nouvelle loi fondamentale. Un moment encore pourtant l'incer

titude plana sur les destins de la Belgique et de la Hollande. Les Cent-Jours faillirent tout remettre en question, ou plutôt résoudre au profit de la France et à la confusion des protégés de Castlereagh la question remise soudain sur le tapis. Mais la jalousie britannique triompha : Blücher aidant, la France fut réenvahie par les Cosaques ; la clause des actes de Vienne qui créait un royaume des Pays-Bas et qui. faisait des Nassau une dynastie sous laquelle se fondraient et ces ex- républicaines Provinces - Unies protestantes et ces ex- autrichiens Pays-Bas catholiques, sortit du pays des songes pour prendre place dans le domaine des réalités. Guillaume I d'Orange fut proclamé roi. Il continua quelque temps encore les épreuves sur son ministre provisoire, dont il irritait la soif par l'attente; enfin, le 16 novembre 1816, fut signée sa nomination si fortement, si anxieusement poursuivie. Van Maanen, au bout de huit ans, retrouva donc auprès de Guillaume le rang qu'il avait auprès de LouisNapoléon. Mais sa mission, celle qu'il accepte du moins, n'est plus la même: au temps de l'empire, il n'avait qu'à travailler au développement des ressources du royaume, soit au point de vue exclusif des régnicoles, soit au point de vue francais; et dans l'un comme dans l'autre cas, loyal ministre de Louis, ou clandestin instrument de l'empereur, il avait sa part d'une œuvre de progrès et d'expansion. Maintenant, qu'on appelle ou non progrès la modification qu'on projette, c'est de comprimer et de restreindre qu'il s'agit. Qu'il y ait des instants dans lesquels la restriction soit opportune et la compression indispen

puisse être, c'est ce que nous ne nions, ni ne recherchons; mais, en adhérant au principe, tout homme d'État et tout sage se dira que, lorsqu'on l'applique, il faut savoir graduer les doses, en d'autres termes apporter des tempéraments, et, somme toute, ne pas ajouter au nombre des ennemis les mécontents. Pour ces juges impartiaux et compétents, il ne s'agit donc, en admettant le rôle nouveau qu'assume Van Maanen et que, l'on a pu s'en convaincre, nous n'avons pas essayé de noircir, il ne s'agit, disons-nous que d'examiner s'il s'y prit de manière à réaliser son programme, c'est-à-dire à brider malcontents et révolutionnaires, et à établir sur la pierre un trône qui n'était encore que sur le sable mouvant. En effet, il commença par serrer la bride un peu fort. De deux projets de loi qu'il porta et soutint devant la seconde chambre en l'année parlementaire 1817-1818, la première retranchait à la liberté de la presse presque tout ce que la législation restrictive en laissait encore debout; la seconde, bien autrement étonnante proclamait que la chasse, d'un bout à l'autre du royaume, faisait partie de la prérogative royale; en termes plus nets, que les propriétaires de biens-fonds n'avaient pas droit de chasser sur leurs propres terres. En absolutisme du moins, c'était un progrès. Toutefois, ce ne fut pas son triomphe: en dépit de ses exordes par insinuations, de ses confirmations victorieuses et de ses péroraisons à la milonienne, ses deux malheureux projets tombèrent à plat. Les éternels ennemis des trônes avaient réussi à rallier à leur cause ces égoïstes propriétaires qui tenaient

sable, tout impopulaire qu'elle à transmettre intact à leurs fils le

« droit du sport, » et qui croyaient avoir acheté avec la terre le gibier qu'elle nourrissait. Ces mal-intentionnés l'emportèrent et même poussèrent la cruauté jusqu'à refuser au vaincu la consolation qu'il requérait à grands cris de rappeler à l'ordre le député d'Otrange, qui l'avait percé à jour, haché menu et orné d'un de ces sobriquets qui restent dans toutes les mémoires. Ce double échec, après lequel un ministère anglais aurait offert en masse sa démission (mais nous ne sommes pas en Angleterre), ne fit que piquer au jeu le ministre et probablement aussi son maître. Van Maanen imagina, pour atteindre plus sûrement les récalcitrants et préparer les voies aux lois qu'il avait sur le métier, de remettre en activité une espèce de conseil prévôtal, ou tribunal martial, établi temporairement et d'urgence, sans formes aucunes, en 1813 et 1814, quand ce qu'on nommait l'ennemi (c'està-dire un reste de l'armée française) était aux portes, et qui depuis la pacification générale était tombé de lui-même : ce conseil était qualifié de « cour spéciale extraordinaire; il n'y eut d'un bout à l'autre du royaume qu'un cri contre cette résurrection. L'ex-procureurgénéral, aux convictions près, toujours le même que lorsqu'il requérait des juges la tête de Van Driel (en ce moment son collègue) crut qu'il suffisait, pour écraser les réclamants, de jeter un coup d'oeil sur eux « de toute la hauteur de son dédain, » et donna pour toute raison que « cette cour n'avait été abolie par aucun acte public de l'autorité, » comme si la cessation des circonstances essentiellement éphémères qui l'avaient fait naître, comme si la loi fondamentale

ne l'avait pas de longue main mise à néant! «Que ne rétablissez-vous donc aussi, répondit une voix d'accord avec le sentiment intime de tous, le conseil des troubles du duc d'Albe? Il serait malaisé de produire l'acte qui le supprime.» Nous ne serions pas surpris que Van Maanen se fût dit in petto: a Eh, mais! c'est une idée. » Heureusement l'on ne parachève pas tout ce que l'on tente on a beau se promettre de tout pourfendre; l'épée s'émousse ou s'ébrèche en route, le mousquet fait long feu. Il en fut ainsi des foudres de Van Maanen. La cour spéciale extraordinaire tint séance plusieurs semaines, il est vrai; il y eut des amendes, des emprisonnements, des exils; mais les condamnations capitales ne restèrent qu'à l'état de menaces; il y eut des victimes; mais, sauf un prêtre catholique (l'abbé de Foere), des victimes que nul ne connaissait avant le coup qui les frappait, et qui ne furent guère plus connues après leur condamnation. Ladite cour ensuite rentra dans ses catacombes pour n'en plus sortir; et ceux qui croyaient voir poindre sous la phraséologie et la simarre du pacha des velléités de terreur, eurent droit de se dire « Ne fait pas de la terreur qui veut. » Le rancuneux ministre pourtant ne voulut pas qu'on rit sur toute la ligne. La presse paya pour la galerie: quelques écrivains, non belges et belges, furent emprisonnés, et les uns bannis, les autres mis sous clef, pour faire contre-poids à leur joie d'avoir vu s'embourber le char orangiste, et d'avoir, qui plus, qui moins, poussé à la roue, le tout sans jugement! Des gendarmes suffisaient à la besogne, l'ex-anti-orangiste,

cette fois, n'avait plus de chambre sur les bras, et le ministre de la justice n'avait pas besoin de juges. Il se serait non moins volontiers privé d'avocats, les trouvant beaucoup trop imbus à cette époque des idées que lui-même proclamait en 1789, alors qu'il n'était qu'un simple soutien de la veuve et de l'orphelin, adjurant et implorant, n'administrant pas la justice. C'est ce dont les moins clairvoyants s'aperçurent dans l'affaire Vanderstræten (voy. ce nom, t. XLVII), en 1819. Cet écrivain ayant été jeté en prison, six des plus habiles et des plus honorables avocats du royaume signèrent une consultation en sa faveur. Quoique celle-ci fût aussi modérée dans la forme que forte de faits et de raisonnements, le ministre les fit incarcérer tous les six, avec l'intention positive de les miner indéfiniment, par les longueurs de la détention préventive et d'enlever à l'accusé, par l'intimidation universelle,

ses

moyens de défense. Plusieurs des captifs tombèrent malades. En dépit de cette tactique profonde, Van Maanen ne réussit qu'à soulever de plus en plus les répugnances contre lui, à s'aliéner le barreau, à mécontenter au dernier degré les nombreuses et puissantes clientèles des six avocats, à rendre sensible le dissentiment entre le monarque et partie au moins des sujets, quand, forcé de mettre ces six avocats en jugement, à Bruxelles, il vit les masses accourir de Louvain, de Gand, d'Anvers, pour acclamer les persécutés, et finalement à n'obtenir de sa magistrature amovible et chargée de mille liens, pas même une seule, une faible condamnation. Il serait trop long de suivre Van Maanen dans tous les actes de son ministère;

les spécimens qui précèdent suffisent pour le faire apprécier, et peu de mots désormais sont tout ce qu'il faut pour mettre à même de préciser ce que fut l'homme, ce que fut le magistrat, ce que fut le ministre. Homme, d'une part, il outra toutes ses opinions, non-seulement en paroles, mais dans la pratique; de l'autre, il est clair qu'il ne saurait échapper au reproche d'inconstance, et quoi que nous ayons dit, soit pour expliquer son apostasie, soit pour en préciser le moment, ce n'est pas une apologie que nous avons entreprise. Qu'on se convertisse, soit, mais dans le secret de son cœur, sans en tirer lucre, ou portefeuille, ou grand-cordon; et surtout, si l'on veut passer pour homme sérieux, qu'on ne se convertisse pas, après avoir paradé sur la brèche, tenant en main, le drapeau opposé à celui qu'on avait précédemment porté. Magistrat, il n'eut qu'un mérite, celui de savoir son droit; mais le droit, il en était le contempteur, et il ne cherchait dans la loi que le moyen d'être légalement injuste, rapace et oppresseur; rusé plutôt qu'adroit, retors plutôt qu'éclairé, sans conscience et sans entrailles, il ne voyait dans le code qu'un réseau à mailles perfides et impalpables où faire trébucher un ennemi. Ministre, il savait manier la parole devant les chambres, comme autrefois au barreau; mais si l'éloquence est l'art de persuader malgré les fonds secrets, il en manqua souvent; presque continuellement aussi l'adresse lui fit défaut, et peu de carrières ministérielles ont été marquées par plus d'insuccès. « L'habileté politique suprême, avons-nous dit, c'est de diminuer le nombre des ennemis;» on pour

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