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CHAPITRE XV

Puissance maritime de la Russie.

Depuis les Varègues, dans les temps reculés de l'histoire moskovite, il ne put être question, pour la Russie, de s'occuper du commerce et de la marine, sans laquelle il reste inactif et circonscrit. Les luttes que cette puissance naissante eut à soutenir contre les Tatars, qui vinrent l'attaquer jusqu'au cœur de ses petits États, à Nowogorod, sa capitale, appelèrent tous ses efforts à se défendre de ses redoutables voisins.

On a vu, dans l'aperçu historique que nous avons tracé, qu'après avoir profité de leurs divisions, la Russie s'agrandit peu à peu, et tenta bientôt de rivaliser avec des puissances maritimes, à la discrétion desquelles elle se trouvait, par l'abandon qu'elle avait dû faire de quelques côtes de la Bal

tique, où autrefois elle avait pu construire des barques et établir des magasins pour recevoir quelques marchandises et entretenir sa petite flotte.

L'ambition des Russes, de posséder les contrées qui avaient été le berceau d'une partie de leur nation, ne put être satisfaite que fort tard, et les pays plus étendus que celui des Varègues, qu'elle a enfin obtenus soit par la ruse, soit par la force, sur la Kourlande, la Livonie, la Finlande, ont pu lui faire espérer de devenir aussi redoutable sur mer que

sur terre.

Elle n'avait primitivement que quelques bateaux à rames sur le Volga, le plus grand fleuve de la Russie d'Europe qui, après un parcours de 2,800 kilomètres, se jette dans la mer Kaspienne, à Astrakhan. Cette grande artère du commerce intérieur de la Russie paraissait même une voie suffisante à son commerce. En effet, elle relie les riches provinces méridionales avec celles plus pauvres du nord; et par l'Oka, dont le confluent est à NijnéïNowogorod, et qui a un cours de 1,300 kilomètres, elle communique avec celles populeuses de l'ouest, traversées par la Moskwa, la Kliasma, qui se jettent dans l'Oka; et, de plus, par la Saula, dont le cours a 750 kilomètres, et qui reçoit de nombreux affluents, elle pénètre dans des contrées fertiles et déjà arrosées par le Don, qui communique avec la mer Noire.

Cette immense et fertile partie de l'Europe aurait donc pu satisfaire une ambition moins insatiable

que celle de la Russie; car elle dépasse en étendue et en moyens de productions les autres parties de l'Europe les plus favorisées. Il ne lui suffisait pas que ce commerce intérieur, approvisionné par la Hollande, et surtout par l'Angleterre, lui procurât le nécessaire pour des populations encore barbares; il lui fallait rivaliser sur les mers avec les autres nations. Mais les nations qui, les premières, se sont adonnées à la navigation, avaient été forcées de chercher sur cet élément et dans des colonies lointaines, des ressources et des richesses que le sol restreint qu'elles occupaient leur refusait; il leur fallait des débouchés nécessaires à l'industrie, pour occuper et faire vivre des populations n'ayant point sur la terre qu'ils habitent les moyens de pourvoir à leur subsistance.

Chez ces nations, le développement maritime était une nécessité; pour la Russie, c'est une prétention illégitime, oppressive et anti-naturelle à sa situation territoriale. Elle a plus qu'il ne faut pour s'occuper, pendant bien des siècles, du développement de son-agriculture, de ses relations de provinces à provinces, de l'extraction de ses mines, et surtout de la civilisation dont son peuple a besoin pour accroître son bonheur et la dignité humaine.

Pierre [ peut donc être taxé, par les peuples étrangers, d'un orgueil impardonnable et dangereux pour la paix du monde, en voulant accaparer, sur mer, cette puissance formidable que les autocrates moskovites sont parvenus à constituer sur

terre; et qui doit être l'épouvantail du monde entier, si une ligue vraiment sainte ne parvient pas à arrêter des progrès non discontinus depuis cent cinquante ans.

C'est surtout dans la formation de la marine russe que les États de l'Europe, et en première ligne l'Angleterre, doivent se reprocher d'avoir aidé à un accroissement subit des forces de la Russie. Nous ne reviendrons pas sur ce qui résulte de notre aperçu historique, mais nous ne saurions nous empêcher de répéter qu'à l'avènement d'Alexandre, en 1801, moins de cent ans après l'envahissement des premiers ports de la Livonie, sur la Baltique, et de ceux sur la mer Kaspienne, sur la mer d'Azof et sur la mer Noire, la marine russe dépassait celle de la plus grande puissance maritime. (v. p. 111, chap. VII.)

S'il fallait comparer non-seulement les forces de la Grande-Bretagne, mais aussi celles de tous les Etats de l'ancien et du nouveau monde, on verrait que, seule, la Russie a maintenu sa marine sur le même pied; et que, lorsque l'accord des puissances et le besoin de la paix les entraînaient à diminuer des forces qui n'ont pour but que des hostilités toujours fâcheuses pour les peuples civilisés, les tzars entretenaient dans leurs ports, en même temps que dans leurs casernes, dans leurs camps et dans leurs colonies, des instruments de destruction, d'envahissements et de conquêtes. Ainsi, au moment où la civilisation s'abandonnait à l'es

poir d'un meilleur avenir, des fers se forgeaint par des mains barbares et serviles pour l'enchaîner, le jour qui paraîtrait propice à celui qui en dispose avec le pouvoir le plus absolu qui se soit fait sentir dans l'histoire moderne et ancienne.

Les premiers chantiers pour une flotte de guerre furent construits par les soins de Pierre I, dans la contrée du Don, près de Voronège. Cette flotte descendit le Don et vint remporter sa première victoire contre les Turks, sur la mer Noire. D’autres vaisseaux furent construits sur les lacs du nord, entrèrent dans la Baltique, et commencèrent contre la Suède ces attaques qui ne finirent que lorsque la Russie lui eût enlevé tout ce qu'elle possédait sur le continent européen, borné par les golfes de Finlande et de Bothnie.

Déjà Pierre I, avec ses vaisseaux informes, mal construits, et la plupart à rames, avait pu battre un amiral suédois et lui prendre une frégate et dix vaisseaux à rames; et se consoler ainsi de la défaite qu'il avait éprouvée sur le Pruth, et qui arrêtait ses tentatives sur les mers d'Azoff et du Pont-Euxin (mer Noire). Ses voyages en Europe, son infatigable activité avaient créé le nouvel élément de la puissance de ses successeurs; et s'il leur a dicté des conseils d'envahissements, il leur a ouvert la source d'une force suffisante pour les accomplir.

Mais il fallait accroître cette force. Le défaut de hardiesse des Russes à se confier à l'élément per

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