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homme qui semblait devoir jusqu'à la mort partager sa destinée ? Qui le croirait? C'était l'amour. Il y avait en Égypte une faction, celle des amoureux à grands sentimens. Leur esprit était malade; ils passaient les nuits à chercher dans la lune, l'image réfléchie des idoles qu'ils avaient laissées au-delà de la mer. Berthier était à la tête de cette faction. Au moment où l'armée avait appareillé de Toulon, le cœur avait manqué au chef d'étatmajor, et il avait failli rester sur le rivage. En Égypte, il portait une espèce de culte à ses amours; à côté de sa tente, il en avait toujours une autre aussi magnifiquement soignée que le boudoir le plus élégant, et consacrée au portrait de sa maîtresse, devant lequel il brûlait des parfums. L'ennui s'empara de lui; il ne put résister aux tourmens de l'absence, et demanda la permission de retourner aux pieds de la beauté qui l'enchaînait. Bonaparte, fort mécontenté, la lui donna. Berthier prit congé et fit ses adieux; mais honteux de sa faiblesse, et cédant aux instances de ses amis, il revint, fondant en larmes, disant qu'il ne voulait pas se déshonorer en se séparant de son général, de son ami, et ne partit pas '.

Dans ce moment même, 7 pluviôse (26 janvier), des nouvelles de France et d'Europe arrivaient enfin à Alexandrie, apportées par deux Français, Hamelin et Livron, venus sur un bâtiment ragusais, chargé, pour leur compte, de draps, de vins et de vinaigre. Ils étaient sortis de Trieste le 3 bru

'Las Cases, tome 1, page 261.

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maire, avaient relâché le 13 à Ancône, étaient allés à Navarin et en étaient partis le 22 nivôse. Ils n'avaient point de dépêches du gouvernement ni de France; ils n'apportaient que des lettres de Gênes et de Livourne, une du consul d'Ancône à Bonaparte, annonçant pour toute nouvelle, que tout était tranquille en France et en Europe; le Journal de Lugano, depuis le 17 fructidor jusqu'au 1". brumaire; le Courrier de l'armé d'Italie, du 14 vendémiaire jusqu'au 6 brumaire, qui s'imprimait à Milan.

Toutes les troupes traversaient le désert, et Bonaparte était lui-même prêt à partir du Kaire lorsqu'il apprit l'arrivée de ce bâtiment. Il retarda son départ de quelques jours. Il interrogea Hamelin, trouva beaucoup de contradictions dans les nouvelles qu'il donna comme les ayant apprises dans sa route, et y ajouta peu de confiance. Voici cependant celles qu'il manda à divers de ses lieutenans, à Kléber et à Desaix, et parmi lesquelles la plupart étaient vraies :

En France, pour l'intérieur, les choses étaient absolument dans le même état que lorsque l'expédition en était partie. Dans l'allure du gouvernement, on ne remarquait d'autre changement que celui qu'avait pu y apporter le nouveau membre qui y était entré ( Treilhard ).

Le Corps législatif paraissait avoir pris un peu plus de dignité et de considération et avoir dans les affaires un peu plus d'influence. On avait adopté des mesures pour recruter l'armée, et fait une loi qui appelait au service tous les jeunes

gens de 18 ans, appelés conscrits. On avait fait une levée de 200,000 hommes, qui paraissait s'effectuer.

Le congrès de Rastadt en était toujours au même point; on y parlait beaucoup sans avancer à rien. Pour activer les négociations, on avait envoyé Jourdan commander l'armée du Rhin, Joubert celle d'Italie.

Pléville le Peley était parti pour Corfou, afin de réunir le reste de la marine. La place était bloquée par une escadre russe. Les habitans s'étaient réunis à la garnison forte de 4,000 hommes. Le blocus n'avait pas empêché la frégate la Brune d'y entrer le 30 brumaire.

Descorches était parti pour Constantinople, le 24 vendémiaire, comme ambassadeur extraordinaire. L'ambassadeur turc à Paris faisait toujours ses promenades comme à l'ordinaire. PasswanOglou avait entièrement détruit l'armée du capitan-pacha, et était maître d'Andrinople.

Les dignes alliés de la République, les Espagnols, avec 24 vaisseaux, se laissaient bloquer à Cadix par 16 voiles anglaises.

L'Angleterre avait déclaré la guerre à toutes les républiques italiennes.

Le général Humbert avait eu la bonté de doubler l'Écosse et de débarquer en Irlande avec un corps de 1,500 à 2,000 hommes et l'adjudant-général Sarrazin. Après avoir eu quelques avantages, il s'était laissé investir et avait été fait prisonnier. Bonaparte regrettait de voir le brave 3o. de chasseurs dans une opération aussi ridicule.

Les Anglais bloquaient Malte; mais plusieurs bâtimens chargés de vivres y étaient entrés. L'escadre de Brest était très-belle.

On était très-indisposé à Paris contre le roi de Naples.

De tous côtés on armait en Europe, cependant on ne faisait encore que se regarder.

La situation de la France et de l'Europe jusqu'au 20 brumaire paraissait à Bonaparte assez satisfaisante '.

Quoiqu'il crût qu'on était en paix avec Naples et l'empereur, il chargea Marmont de retarder, sous différens prétextes, le départ des bâtimens napolitains, impériaux et livournais, en attendant qu'on acquît des renseignemens plus certains.

Ces nouvelles étaient les premières, les seules que Bonaparte eût reçues depuis sept à huit mois; encore n'y en avait-il pas du gouvernement. Comment se faisait-il qu'aucun bâtiment ne fût parvenu en Égypte, tandis que ceux qui étaient expédiés d'Alexandrie arrivaient en France, malgré les croisières anglaises? Était-ce insouciance du Directoire, inhabileté de ses agens? L'armée française, sur laquelle se portaient tous les regards de l'Orient, était-elle donc oubliée dans sa patrie ? En annonçant au Directoire l'arrivée de Hamelin et de Livron, Bonaparte lui écrivit :

<< Il est nécessaire que vous nous fassiez passer des armes, et que vos opérations militaires et

'Lettres de Bonaparte à Kléber, à Marmont et à Desaix, des 17, 21 et 22 pluviôse (5, 9 et 10 février).

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Lettre du 21 pluviôse.

diplomatiques soient combinées de manière à ce que nous recevions des secours; les événemens naturels font mourir du monde.

Nous avons eu bien des ennemis à combattre dans cette expédition : déserts, habitans du pays, Arabes, Manilouks, Russes, Turcs, Anglais.

Si dans le courant de mars, le rapport du citoyen Hamelin m'était confirmé, et que la France fût en guerre contre les rois, je passerais en France.

Je ne me permets, dans cette lettre, aucune réflexion sur les affaire de la République, puisque depuis dix mois je n'ai plus aucune nouvelle.

Nous avons tous une entière confiance dans la sagesse et la vigueur des déterminations que vous prendrez '. >>

On voit par la fin de cette lettre, que Bonaparte, ne regardant l'expédition d'Égypte que comme un objet secondaire, ne perdait pas de vue la situation de l'Europe, bien plus importante à ses yeux; qu'en cas de guerre, il croyait sa présence nécessaire en France, et prenait luimême ouvertement l'initiative de son retour; ce qui ne permet pas de douter qu'il n'y eût été autorisé par le Directoire.

C'était chez lui une pensée toujours dominante, comme on l'a vu ci-dessus; il avait déjà écrit au Directoire :

« Nous attendons des nouvelles de France et d'Europe. C'est un besoin vif pour nos àmes;

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