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Les Égyptiens étaient subjugués, ils n'étaient pas soumis. Bonaparte proposa aux cheyks de la grande mosquée de publier un fetham pour ordonner au peuple de lui prêter serment d'obéissance. Cette proposition les mit dans un grand embarras. « Pourquoi, lui répondit le cheyk Cherkaoui, vieillard respectable, ne vous feriezvous pas musulman avec toute votre armée? Alors 100,000 hommes accourraient sous vos drapeaux, vous rétabliriez la patrie arabe et soumettriez l'Orient.» Bonaparte objecta la circoncision dont Dieu avait rendu les Français incapables, et l'abstinence du vin dont ils ne pouvaient se passer. On discuta long-temps. On prit des délais pour délibérer. Les cheyks décidèrent qu'on pouvait se de la circoncision, et quant au vin, que passer le musulman qui en buvait allait en enfer. Bonaparte les invita à y réfléchir plus mûrement ; et il fut enfin résolu par eux qu'on pouvait se faire musulman sans se faire circoncire, ni s'abstenir du vin ; qu'il fallait seulement faire de bonnes œuvres en proportion du vin qu'on buvait. Alors, leur dit Bonaparte, nous sommes tous musulmans et amis du prophète. Ils le crurent ou feignirent d'autant plus volontiers de le croire que l'armée ne professait aucun culte. Il fit tracer le plan d'une mosquée plus grande que celle de Jémil-Azar, annonçant qu'il la ferait bâtir comme un monument de la conversion de l'armée, et ne voulant dans le fait que gagner du temps. Les cheyks donnèrent le fetham d'obéissance, et déclarèrent Bonaparte ami du prophète et placé sous sa protection.

Paraître mahométan, c'est tout ce que fit Bonaparte, c'était ce qu'une haute sagesse et une habile politique commandaient. On se conciliait ainsi les imans, les muphtis, les ulemas, et le peuple à l'exemple des ministres de sa religion, Si l'armée n'avait pas paru disposée à embrasser l'islamisme, si elle avait arboré la croix et professé le christianisme, 25 à 30,000 Français ne se seraient pas maintenus en Égypte. On aurait vu, comme au temps des croisades, se renouveler les fureurs du fanatisme et la guerre d'extermination.

Du reste, le changement de religion, inexcusable peut-être pour des intérêts privés, fut de tout temps justifié par la politique. Paris vaut bien une messe, dit fort sensément Henri IV; et tel catholique du même pays que le Béarnais n'hésita point à se faire luthérien pour régner sur les Scandinaves.

«Croit-on, dit Napoléon, que l'empire d'Orient et peut-être la sujétion de toute l'Asie n'auraient pas valu des pantalons et un turban? Je prenais l'Europe à revers; la vieille civilisation était cernée qui eût alors songé à inquiéter le cours des destinées de la France et de la régénération du siècle? qui eût pu y parvenir? qui eût osé l'entreprendre 1? »

Menou seul se fit mahométan, prit le nom d'Abdallah, et épousa une Égyptienne. Cette étrange résolution lui attira dans le temps du ridicule, parce qu'elle était isolée, et dans la suite beaucoup

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de blâme. Ne pouvant lui trouver un but raisonnable, on lui en supposa de toute espèce. Le bruit, se répandit alors dans l'armée que ce général, voulant trouver un moyen licite de gagner de l'argent, pour payer les nombreux créanciers qu'il avait laissés à Paris, avait ambitionné de commander l'escorte de la caravane de la Mekke; il fallait être musulman, et il espérait que Bonaparte lui donnerait les fonctions d'émir-haggi. Dans la correspondance de Menou avec le général en chef, on ne trouve pas un seul mot qui ait trait à un semblable projet, ni à son mariage, ni à son changement de religion. Dans cette circonstance, la conduite de Menou fut toute politique. Il crut faire un acte de dévoûment au succès de l'expédition pour laquelle il était passionné; mais cet acte, peut-être utile au général dans ses rapports avec les habitans, fut sans influence sur l'entreprise. Sa femme était, disait-il, une schériffe, descendante de Mahomet. Il l'épousa, suivant l'usage du pays, sans la connaître et sans l'avoir vue. Le hasard ne le servit pas trop mal c'était une bonne personne.

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Les journaux français publièrent, pendant l'expédition d'Égypte, un Entretien de Bonaparte dans l'une des pyramides avec plusieurs imans et muphtis. Parmi les personnes attachées à l'expédition, les unes ont attesté que cet entretien avait eu lieu, les autres ont dit que c'était une pure fiction, et se sont fondées sur ce que, à la date que porte cet entretien, 25 thermidor (12 août), Bonaparte était en route de Salhieh pour

le Kaire. Cette dernière version est la seule qui soit exacte. Quoi qu'il en soit, cet entretien, dont la rédaction a sans aucun doute ensuite été soignée, porte le cachet de la couleur locale, et a un genre de grandeur et de mysticité où se déploient à l'envi la politique des prêtres de Mahomet et celle du général en chef '.

Quoique Bonaparte voulût paraître mahométan aux yeux des sectateurs de l'islamisme, il n'en protégea pas moins tous les cultes. Les chrétiens cophtes profitèrent de la présence de l'armée pour lui demander l'abolition des restrictions apportées à l'exercice de leur religion.

Il répondit à l'intendant général :

pro

« J'ai reçu la lettre que m'a écrite la nation cophte. Je me ferai toujours un plaisir de la téger désormais elle ne sera plus avilie, et, lorsque les circonstances le permettront, ce que je prévois n'être pas éloigné, je lui accorderai le droit d'exercer son culte publiquement, comme il est d'usage en Europe, en suivant chacun sa croyance. Je punirai sévèrement les villages qui, dans les différentes révoltes, ont assassiné des Cophtes. Dès aujourd'hui, vous pourrez leur annoncer que je leur permets de porter des armes, de monter sur des mules ou sur des chevaux, de porter des turbans et de s'habiller de la manière qui peut leur convenir. Mais si tous les jours sont marqués de ma part par des bienfaits, si j'ai à restituer à la nation cophte une dignité et des droits

' Voyez pièces justificatives, no. I.

inséparables de l'homme, qu'elle avait perdus, j'ai le droit d'exiger, sans doute, des individus qui la composent, beaucoup de zèle et de fidélité au service de la République.

Je rends justice à votre zèle et à celui de vos collaborateurs, ainsi qu'à votre patriarche dont les vertus et les intentions me sont connues, et j'espère que, dans la suite, je n'aurai qu'à me louer de toute la nation cophte *. »

Une caravane de 4 à 500 hommes et autant de chameaux, venant de Tor et du Mont-Sinaï, arriva aux portes du Kaire. Elle envoya à Bonaparte une députation de 24 Arabes, accompagnés d'un moine qui leur servit d'interprète. Il leur donna audience. Ils demandèrent la permission de vendre leurs marchandises au Kaire; elle leur fut accordée. Suivant l'usage de l'Orient, ils offrirent au général en chef un présent. C'étaient des raisins excellens, des poires et des pommes estimées au Kaire, et provenant du couvent grec du Mont-Sinaï. Ces Arabes approvisionnaient surtout la ville de charbon de bois. Ils n'étaient pas venus depuis l'invasion des Français, et reprenaient leur commerce, rassurés par la protection que Bonaparte lui accordait. La caravane resta campée hors de la ville; on alla la visiter. Les Français et les Arabes se traitaient amicalement. On leur demanda ce qu'ils pensaient de Bonaparte; ils répondirent: Son bras est fort, et ses paroles sont de sucre. Le moine qui les accompagnait avait été chargé

'Lettre du 17 frimaire.

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