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tempèrent ordinairement l'atrocité de ces lois. Encore les a-t-on vus, dans les guerres civiles ou nationales, égorger le vaincu qui se rend, et jusqu'aux prisonniers. Le sol de l'Espagne a été plus d'une fois ensanglanté par ces odieuses représailles; mais ces cruelles exceptions sont le droit commun des peuples barbares. Envers qui Bonaparte se serait-il montré humain et généreux ? Envers un ennemi sans foi, qui égorgeait ses prisonniers', qui ne répondait aux sommations ou aux ouvertures de paix, qu'en coupant la tête aux messagers et aux parlementaires; qui assouvissait sa rage brutale jusque sur des cadavres et se faisait des trophées de leurs têtes. Si, renvoyant sur parole les prisonniers de Jaffa, certain que le lendemain il les retrouverait armés contre lui, Bonaparte eût éprouvé une défaite, c'est alors qu'on l'aurait accusé, avec raison, d'avoir compromis le salut de son armée par une sotte générosité et une folle imprévoyance. Quelque insensibilité que l'on suppose général, depuis longtemps accoutumé au spectacle des champs de bataille, il est absurde d'admettre que celui qui, des murs sanglans de Jaffa, écrivait au Directoire, que jamais la guerre ne lui avait paru aussi hideuse, et qu'il avait fait fu

à un

'C'était et c'est un fait de tout temps notoire et avéré. Miot lui-même dit au sujet de la mort du malheureux Mailly, qui périt dans le premier assaut de Saint-Jean-d'Acre: Jamais les Turcs auxquels nous faisions la guerre ne faisaient de prisonniers (page 164). En ménageant la garnison de Jaffa, il n'y avait donc pas même l'espoir d'être imité par les Turcs.

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siller des prisonniers, eût cru avoir commis une action odieuse, et eût voulu, profitant du droit rigoureux de la guerre, flétrir, par un massacre inutile, une si belle gloire, une si grande renommée.

Certes, s'il usa de son droit, en se portant à cette dure extrémité, il faut bien croire qu'un général qui savait tout prévoir et tout calculer eut, pour s'y déterminer, des raisons majeures, que, malgré l'éloignement des temps et des lieux, aucun homme impartial ne peut méconnaître.

Cependant la peste régnait dans l'armée. Depuis qu'elle avait quitté les confins de l'Égypte, elle avait toujours marché au milieu de ce fléau le traînant avec elle. A Qatieh, on avait reconnu des pestiférés dans la division Kléber, venant de Damiette. On en avait trouvé à El-Arych '. Pendant le siége de Jaffa, plusieurs malades avaient péri rapidement d'une fièvre pestillentielle, accompagnée de tumeurs bleuâtres aux aines et de pétéchies gangreneuses. Le sac de la ville où la peste régnait, les rapports des soldats avec les femmes du pays, et surtout l'imprudence qu'ils commirent en s'emparant d'un grand nombre de pelisses et d'habillemens turcs qui en étaient infectés, étendirent les progrès de la maladie dans l'armée. Le général en chef ordonna à tous les

'Larrey, Relation chirurgicale de l'armée d''Orient.

Assalini, dans son ouvrage sur la peste, attribue aux exhalaisons des cadavres des Turcs fusillés à Jaffa, les premiers germes de la maladie qui affligea bientôt les Français. Il est évident qu'il y a ignorance ou mauvaise foi dans cette assertion.

soldats d'apporter leur butin sur la place; on y brûla tout ce qui était vêtement. On établit, dans un vaste couvent, un hôpital pour les fiévreux, séparé de celui des blessés. On prit toutes les précautions possibles pour éviter les trop grandes communications, et préserver le soldat de la maladie. Toute la troupe campa sous la ville. Mais la crainte de la peste répandait la terreur dans l'armée. Il était prouvé que ce fléau devenait plus dangereux quand l'imagination était frappée. Des hommes habitués à braver à chaque instant la mort dans les combats, succombaient à la seule pensée qu'elle pouvait les frapper dans leur lit. Il fallait donc guérir le moral du soldat; c'était aussi l'opinion du médecin en chef Desgenettes, et en général des gens de l'art; elle était fondée sur l'expérience. Voyant la fàcheuse influence que le prestige des dénominations exerçait sur les esprits, il crut devoir traiter l'armée comme un malade qu'il est presque toujours inutile et souvent dangereux d'éclairer sur la nature de sa maladie; il se concerta avec le général en chef, pour que le mot peste ne fut plus prononcé, et on l'appela maladie, épidémie, ou fièvre accompa gnée de bubons.

Le 21 ventôse, on répandit dans le camp que plusieurs militaires étaient tombés morts en se promenant sur le quai. C'étaient les cadavres d'hommes morts à l'hôpital dans la nuit, et que les infirmiers turcs avaient négligemment déposés à la porte. Le bruit en parvint sous la tente du général en chef. Il alla, suivi de son état-major,

faire la visite des deux hôpitaux, et commença par celui des blessés auxquels il fit distribuer un sac de piastres. Il se transporta ensuite dans celui des fiévreux, parla à presque tous les militaires, et s'occupa, pendant plus d'une heure et demie, de tous les détails d'une prompte organisation. Se trouvant dans une chambre étroite et trèsencombrée, il aida à soulever le cadavre hideux d'un soldat, dont les habits en lambeaux étaient souillés par l'ouverture d'un bubon abscédé 1. On dit même qu'il toucha un pestiféré, en lui disant: Vous voyez bien que cela n'est rien ". Desgenettes essaya, sans affectation, de reconduire Bonaparte hors de l'hôpital, et lui fit entendre qu'un plus long séjour pouvait lui être funeste. « C'est mon devoir, répondit-il, je suis général en chef. » Néanmoins, le médecin fut blâmé, et on murmura contre lui, dans l'armée, parce qu'il ne s'était pas opposé formellement à la longue visite du général. « Ceux-là le connaissent bien peu, répondit Desgenettes, qui croient qu'il est des moyens faciles pour changer ses résolutions, ou de l'intimider par la crainte de quelques dangers 3. »

Maître de Jaffa, Bonaparte essaya de soumettre les habitans de la Palestine. Il leur fit porter des paroles pacifiques et des menaces proférées,

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Desgenettes, Histoire médicale de l'armée d'Orient, p. 49.

Ce trait inspira, dans la suite, à Gros, son beau tableau des Pestiférés de Jaffa, qui plaça son auteur au rang des premiers peintres d'histoire.

3 Desgenettes, Histoire médicale de l'armée d'Orient, P. 50.

comme l'exigeaient les lieux et les hommes, dans le style d'un inspiré et du ton d'un prophète. Il envoya une proclamation aux cheyks, ulémas et habitans de Gaza, Ramleh et Jaffa, pour leur annoncer qu'il était entré en Palestine, afin de combattre le seul Djezzar. « De quel droit en effet, leur disait-il, Djezzar a-t-il étendu ses vexations sur vos provinces qui ne font pas partie de son pachalic? De quel droit avait-il également envoyé ses troupes à El-Arych? Il m'a provoqué à la guerre ; je la lui ai apportée; mais ce n'est pas à vous, habitans, que mon intention est d'en faire sentir les horreurs.

Restez tranquilles dans vos foyers; que ceux qui, par peur, les ont quittés, y rentrent. J'accorde sûreté et sauve-garde à tous. J'accorderai à chacun la propriété qu'il possédait.

Mon intention est que les qadys continuent, comme à l'ordinaire, leurs fonctions, qu'ils rendent la justice; que la religion surtout soit protégée et respectée, et que les mosquées soient fréquentées par tous les bons musulmans. C'est de Dieu que viennent tous les biens; c'est lui qui donne la victoire.

Il est bon que vous sachiez que tous les efforts humains sont inutiles contre moi; car tout ce que j'entreprends doit réussir. Ceux qui se déclarent mes amis, prospèrent; ceux qui se déclarent mes ennemis, périssent. L'exemple de ce qui vient d'arriver à Gaza et à Jaffa, doit vous apprendre si je suis terrible pour mes ennemis, je suis

que
TOME II. GUERRE D'ÉGYPTE.

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