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J'ai été mis par les circonstances en position de faire cet essai; je crois pouvoir être utile en rendant compte de ce que j'ai vu, su ou fait dans le cours de ma vie politique. A défaut d'utilité, je m'estimerai encore heureux de faire plaisir à ceux qui me liront; ils peuvent compter sur ma véracité. Beaucoup d'autres sans doute écriront sur le même sujet; plusieurs l'ont déjà fait. C'est le propre des époques de désordres et de révolutions d'appeler au maniement des affaires des hommes qui, en d'autres circonstances, n'y eussent jamais pris part; il est naturel qu'ils soient tentés d'attacher au rôle inattendu qu'ils ont joué, assez d'importance pour vouloir en perpétuer le souvenir.

Une autre cause doit multiplier les écrits de ce genre dans les temps troublés par les partis et les factions. Les passions exaltées rendent aveugle et injuste; on est mal jugé par ses contemporains, on craint de l'être aussi par la postérité, on cherche à se soustraire à ce danger en rendant compte soimême des événements auxquels on a été mêlé. C'est ce qui est arrivé à l'époque de la Fronde et je ne doute pas qu'il n'en soit de même de nos jours. Je le vois et j'y compte, sans être détourné par là du projet d'écrire mes Mémoires, car ce n'est pas une apologie que je veux faire, mais une narration simple et véridique. Que d'autres la fassent à leur point de vue; c'est cette diversité qui éclaire et qui m'a toujours plu dans ce genre d'ou

vrages. Il m'est arrivé plus d'une fois d'être mis par un sot sur la voie des erreurs d'un plus habile. Ceux qui me liront pourront lire aussi ce qu'auront écrit sur les mêmes événements des amis, des ennemis, des apologistes, des détracteurs, des indifférents, peu m'importe. Ils compareront; ils jugeront; je l'ai déjà dit, c'est là une tendance naturelle de mon esprit. Ce que je fais avec plaisir moi-même, pourquoi le redouterais-je dans les autres?

Quelques motifs plus sérieux encore me portent à entreprendre ce travail. J'ai servi des princes malheureux et qui seront probablement mal jugés dans l'avenir, comme ils l'ont été depuis leur chute. Je suis du nombre de ceux qui les ont vus de près à toute heure et en toute occasion, qui ont connu leurs dispositions constantes, leurs pensées les plus intimes et leurs vues les plus secrètes. Abondonner leur mémoire à la discrétion de leurs ennemis et des nombreux détracteurs du malheur, ce serait manquer aux devoirs que m'imposent la justice et la reconnaissance. J'ai moi-même des enfants pour lesquels la réputation de leur père est un bien précieux; j'ai des amis, d'anciens collègues intéressés à ce que la marche politique, les actes auxquels ils ont plus ou moins participé, ne soient pas livrés sans défense aux attaques de ceux qui ont suivi des voies divergentes ou opposées. J'ai été invité par plusieurs d'entre eux à écrire ces Mémoires, je n'ai promis à aucun de le faire. J'ai

répondu à de pressantes sollicitations sur ce sujet avec une assez grande indifférence; c'était en effet le sentiment que j'éprouvais en ne considérant que ce qui me concernait personnellement.

Maintenant qu'il me reste quelques loisirs après avoir heureusement rempli mes derniers devoirs de père de famille par l'établissement de mes enfants, je vais rechercher, parmi les documents que j'ai conservés, ceux qui pourront m'aider à rassembler mes souvenirs. Je commence donc cette œuvre de longue haleine, ne sachant trop si à mon âge je puis avoir l'espérance de la terminer.

J'en adresserai la première partie à mes enfants, parce qu'elle sera consacrée à des détails qui auront spécialement pour eux un véritable intérêt; elle n'en offrira que pour ceux des lecteurs qui tiendront à connaître la position sociale et le caractère personnel de celui dont ils voudront apprécier les actes et la conduite publique.

J'adresserai la seconde partie de ces Mémoires à l'héritier légitime des deux rois que j'ai servis. Si pour le bonheur de la France qui ne saurait trouver sécurité, prospérité, liberté ni honneur, en dehors des voies qui l'ont placée à la tête des nations, la Providence et le retour de mes concitoyens à une juste appréciation de leurs intérêts, appellent ce jeune prince à remonter sur le trône de ses ancêtres, je désire qu'il puisse trouver, dans ce qu'il m'a été donné de connaître, quelque lumière sur

les exemples à suivre, les erreurs et les fautes à éviter dans la direction des affaires de l'État.

Cette division m'a paru convenable, bien qu'elle ne réponde pas à mon goût personnel. Quand je lis des Mémoires, les notices sur ceux qui les ont écrits m'intéressent vivement, me semblent toujours insuffisantes et m'aident merveilleusement à distinguer dans le cours du récit la vérité de l'erreur. Dans le système que je suis, les lecteurs qui ne partageront pas cette manière de voir, pourront lire à leur gré, soit la totalité de ces Mémoires, soit la partie seulement qui est spécialement consacrée à ma vie politique.

CHAPITRE PREMIER

Jeunesse de M. de Villèle. · L'École de Marine. Saint

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Désorganisation de la marine française.

1788-1791

Ma famille est originaire du Lauraguais, qui faisait partie de la province de Languedoc. Dès le xu siècle, Arnaud de Villèle possédait des terres et fiefs à Montesquieu en Lauraguais. Guillaume de Villèle, un de ses descendants, prêta, comme le prouve le Trésor des Chartes, foi et hommage le 1er décembre 1249 entre les mains des commissaires envoyés par la reine Blanche au nom d'Alphonse, comte de Poitiers et de Jeanne sa femme, fille et héritière de Raymond VII, comte de Toulouse, qui venait de mourir.

Arnaud et Raymond de Villèle prêtèrent aussi foi et hommage au roi Philippe III, en octobre 1271, entre les mains de Guillaume de Cohardon, sénéchal de Carcassonne et de Béziers.

Jean de Villèle, fils de Raymond, acquit la terre

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