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quelque chance de salut? Ceux qui n'ont pas quitté le territoire, étaient-ils bien en position d'en sortir et de trouver, au dehors, une situation préférable? En faisant l'application de cette observation à la généralité des individus, on comprendra combien était conforme à la justice cet esprit d'impartialité dont je me suis toujours inspiré, en m'attachant à les considérer tous avec un égal intérêt dans leurs malheurs, à ne juger de leurs intentions que par leur conduite depuis la cessation des crises révolutionnaires, et à ne tenir aucun compte d'actes sur lesquels tant d'infortunes avaient jeté un voile que la prudence et l'équité commandaient de ne plus soulever.

CHAPITRE II

Départ pour l'Inde.- Agression des Anglais.- Les Marattes. L'ile de France.

1791-1794

Nous appareillâmes de la rade de Brest le 26 avril 1791, notre traversée fut prolongée par les calmes du passage de la ligne et par les vents contraires qui ne nous permirent de doubler qu'avec peine le cap de Bonne-Espérance; nous mouillâmes à l'île de France le 31 juillet. Ces trois mois passés ainsi entre le ciel et l'eau sans relations avec la terre que menaçaient des bouleversements inouïs, me semblèrent un temps de calme et de repos bien nécessaire à mon cœur flétri par de si tristes et de si pénibles spectacles. Aussi en vis-je arriver le terme avec une indifférence bien rare chez un marin qui vient de faire une longue traversée.

Nous ne tardâmes pas à voir succéder au calme moral dont nous jouissions au milieu des mers, les agitations incessantes auxquelles étaient alors en

proie les colonies aussi bien que la métropole. Dès le lendemain de notre entrée dans le port, nous allâmes en corps rendre visite au gouverneur, à l'intendant, au président de l'assemblée coloniale, et à la municipalité. Je me trouvais avoir des lettres de recommandation pour M. Rivals Saint-Antoine, président de l'assemblée coloniale, et pour M. Flessanges, maire du Port-Louis. Quand je me présentai chez le premier, il était absent et je ne pus le joindre dans aucun des lieux où l'on me conduisit avec l'espoir de le trouver; je finis par remettre la lettre à son frère et je n'en entendis plus parler. Il en fut de même de M. Flessanges, quoique en son absence j'eusse fait remettre la lettre à sa femme. La réputation d'aristocrate, attachée à mon uniforme, fut sans doute la cause de ce froid accueil, si étranger aux mœurs hospitalières du pays et au caractère honorable de ces deux fonctionnaires. Quoi qu'il en soit, ces lettres que ma famille avait eu beaucoup de peine à se procurer, me furent ainsi complètement inutiles, mais je n'en éprouvai aucun regret quand j'appris que MM. Rivals Saint-Antoine et Flessanges étaient en lutte avec l'autorité métropolitaine que représentaient M. de Cossigny, gouverneur de l'île, et M. de Saint-Félix. Deux jours après notre arrivée, il nous fallut assister avec toutes les autorités à un service solennel pour Mirabeau. Je rapporte ces détails insignifiants en eux-mêmes, que je trouve consignés dans ma correspondance avec ma famille, parce qu'ils servent à reporter le lecteur au milieu de l'atmosphère de cette époque. Trois semaines après arriva dans la colonie la nou

velle de la fuite du malheureux Louis XVI et de son arrestation à Varennes; des élections eurent lieu, et l'assemblée coloniale, complètement renouvelée, se trouva composée des mêmes hommes sous l'administration desquels avait eu lieu l'assassinat de M. de Macnemara. Le premier acte de cette nouvelle assemblée fut le refus de reconnaître au gouverneur le droit de sanction dont il avait joui jusque-là conformément aux décrets de l'Assemblée constituante. Les membres de l'ancienne assemblée coloniale et les autres adversaires de la nouvelle administration formèrent de leur côté des clubs, et les deux partis étaient chaque jour sur le point d'en venir aux mains.

C'est dans cette situation que nous laissâmes la colonie lorsqu'après quatre mois de séjour, nous partîmes pour aller dans l'Inde rejoindre à la côte Malabar la frégate la Résolue, que M. de Saint-Félix y avait envoyée déjà depuis deux mois. La troisième frégate de la division de M. de Saint-Félix, l'Atalante, venait d'être expédiée au cap de BonneEspérance pour porter à M. d'Entrecasteaux, qui était envoyé à la recherche de M. de La Pérouse, quelques renseignements sur le lieu du naufrage de cet infortuné navigateur. Ces renseignements avaient été fournis par une barque hollandaise drossée par les courants dans un des archipels de l'océan Pacifique; on disait avoir vu passer des pirogues montées par des insulaires vêtus à l'européenne, sans doute avec les habits de nos compatriotes naufragés. Quelque incertains et peu circonstanciés que fussent ces détails, ils n'en sont pas moins remarquables en

ce qu'ils ont été confirmés depuis en 1826 et 1827 par la découverte dans les îles de Mallicolo d'une poignée d'épée et de différents autres objets, qui n'ont plus permis de douter que l'expédition de M. de La Pérouse n'eût réellement fait naufrage dans ces archipels.

Peu d'instants avant de mettre sous voiles pour la côte Malabar, nous apprîmes, par l'officier qui en avait été la victime, qu'une révolte avait éclaté en rade de Mahé dans l'équipage de la frégate la Résolue que nous allions rejoindre. Le peu d'ordre qui avait régné à bord de la Cybèle pendant les quatre mois que nous venions de passer à l'ile de France, la constante fréquentation de nos matelots et surtout de nos canonniers avec les membres des clubs établis dans la ville, l'exemple journalier des désordres commis par les troupes de terre qui composaient la garnison du Port-Louis, tout nous faisait craindre que la subordination, que nous avions eu jusque-là le bonheur de maintenir sur notre frégate à force de patience et de modération, ne fût gravement compromise à la première occasion. Nous ne tardâmes pas à voir nos appréhensions se réaliser avec plus d'éclat et de dommage pour l'honneur national que nous n'eussions pu le supposer alors.

Il semble que la Providence, en vue du poste élevé auquel je devais être un jour appelé dans ma patrie, se soit plu à me rendre témoin dans les diverses parties du globe de l'empressement de nos éternels rivaux, les Anglais, à faire tourner au profit de leur puissance l'état de désorganisation, de démence et de faiblesse où nous avait jetés la Révo

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